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La transgression des interdits est-elle forcément une régression ?

Publié le 25/02/2004

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A première vue, il semble bien que nous ne pouvons que répondre par l'affirmative à la question qui nous est posée : la transgression d'un interdit est forcément une régression, car l'édiction d'un interdit est une conquête sur la nature humaine, le moyen de régler la méchanceté fondamentale de l'homme pour favoriser la vie en société. Transgresser, c'est donc nécessairement régresser, dans la mesure où il n'y a pas de transgression sans destruction d'un interdit dont l'effet est bien souvent de permettre aux hommes de vivre ensemble. Cependant, n'y a-t-il pas lieu de voir dans la transgression d'un interdit quelque chose de plus qu'une nécessaire régression, dans la mesure où dans certains domaines (tels que la politique ou l'art) la transgression est le moyen d'un avènement du nouveau, l'instrument qui favorise la production du progrès ? Mais nous verrons dans un dernier temps que la valorisation automatique de la transgression dans tous les domaines peut conduire à l'aporie, et qu'il doit s'établir une dialectique savante et raisonnée entre le désir de transgresser et la valeur sociale de l'interdit.

« déconstruisant la société et menaçant cette dernière d'un retour au chaos, c'est-à-dire à un état antérieur àl'organisation sociale.

Telle est la thèse défendue par Spinoza :« Ce qu'est le meilleur régime pour tout État, on le connaît facilement en considérant la fin de la société civile :cette fin n'est rien d'autre que la paix et la sécurité de la vie.

Par suite, le meilleur État est celui où les hommespassent leur vie dans la concorde, et dont le Droit n'est jamais transgressé.

En effet, il est certain que lesséditions, les guerres et le mépris ou la transgression des lois doivent être imputés non tant à la malignité dessujets qu'au mauvais régime de l'État.

Les hommes, en effet, ne naissent pas aptes à la vie en société, ils ledeviennent.

En outre, les passions naturelles des hommes sont partout les mêmes ; si donc, dans un corpspolitique, la malignité humaine assure mieux son règne que dans un autre, et si on y commet plus de péchés, celavient certainement de ce qu'un tel corps politique n'a pas assez pourvu à la concorde, n'a pas établi son Droit avecassez de sagesse et, en conséquence, n'a pas acquis le droit absolu qui est celui d'un corps politique.

Car unesociété civile qui n'a pas éliminé les causes de sédition, où il faut toujours redouter une guerre, et où enfin les loissont presque toujours violées, ne diffère pas beaucoup de l'état naturel, où chacun vit selon ses inclinations, maisavec un grand péril pour sa vie.

»Ce que ce texte nous permet de voir, c'est que la transgression des interdits est nécessairement une régressionvers le chaos, dans la mesure où la fin de l'Etat n'est pas autre chose que de permettre la concorde au moyen del'édiction d'interdits et d'un effort pour les faire respecter.

Nous dirons donc que la transgression des interdits estune régression dont l'Etat est en dernier recours responsable, puisqu'il n'a pas fait respecter ses interdits avecsuffisamment d'autorité, ou, du moins, d'efficacité.

II.

La transgression ne s'implique pas nécessairement d'une régression mais peut être facteur de progrès a.

Les interdits ne sont pas justes pour être en cours Cependant, nous ne pouvons affirmer sans plus d'examen que la transgression représente forcément une régression.En effet, nous pouvons fort bien penser qu'un interdit n'est pas nécessairement valable et respectable pour êtreinstitué, et que l'éthique individuelle peut aller à l'encontre des contraintes édictées par l'Etat.

Pensons par exempleaux interdits en cours dans le système totalitaire : alors nous dirons qu'il est absolument légitime que dans certainescirconstances, l'individu transgresse les interdits et qu'un tel geste ne représente nullement une régression. Il existe plusieurs degrés d'arbitraire, selon le degré d'indépendance du pouvoir dont il est question : le pouvoir dudespotisme, de la tyrannie et le pouvoir totalitaire.

Ce dernier est le plus arbitraire, dans la mesure où rien ne vientlimiter la toute puissance du chef.

Comme l'écrit Hannah Arendt dans Le Système totalitaire : «L'autorité, sous quelque forme que ce soit, implique une limitation de la liberté, mais jamais l'abolition decelle-ci.

C'est cependant à cette abolition et même à l'élimination de toute spontanéité humaine en général,que tend la domination totalitaire, et non simplement à une restriction, si tyrannique qu'elle soit, de laliberté Dans le système totalitaire (….) il n'existe pas de niveaux intermédiaires responsables et susceptiblesde recevoir chacun leur juste part d'autorité et d'obéissance.

La volonté du Führer peut s'incarner en touslieux et en tous temps.

Lui-même n'est assujetti à aucune hiérarchie, pas même à celle qu'il aurait mise enplace ».

Le Système totalitaire , 3e partie. Il semble donc que l'individu est parfaitement fondé à transgresser les interdits en cours dans une société, lorsqu'ilssont formulés par une autorité aussi liberticide que celle de l'Etat totalitaire.

b.

La transgression de l'interdit en art est le mouvement même du progrès artistique Mais si nous considérons le domaine de l'art, nous verrons que la transgression des interdits n'est nullement unerégression automatique, mais au contraire le moyen de susciter un progrès.

Toute activité artistique s'inscrit en effet dans un champ déjà constitué qui définit un univers restreint de possibilités.

Un champ artistique, c'est ce quemontre Bourdieu dans Les règles de l'art , est un univers de forces où les détenteurs des places dominantes cherchent à conserver leur autorité, où les impétrants cherchent à faire chuter les dominants pour les remplacer.Par conséquent, l'activité artistique n'est pas le domaine d'une liberté transcendante, mais le domaine d'une quêtede pouvoir où la réalisation d'œuvres ne manifeste nullement une volonté de création épurée d'intentionsextérieures, mais une quête de pouvoir qui influe sur le choix des fins artistiques et des moyens pour les atteindre(peindre tel sujet de telle manière pour manifester le dépassement des actuels détenteurs des positions dominantes. »

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