Devoir de Philosophie

La Fontaine

Publié le 09/03/2020

Extrait du document

fontaine
? Introduction C?est au c?ur du XVIIe siècle classique que Jean de la Fontaine, empruntant les traces de ses illustres prédécesseurs (Esope, Phèdre, Pilpay), livre à ses lecteurs ses Fables, véritable condensé de sagesse populaire. Fidèle aux mots d?ordre de son siècle, « plaire et instruire », il analyse les m?urs de son temps et développe des morales dont l?objectif est de permettre aux hommes de s?adapter au monde auquel ils sont confrontés. Ici, un cavalier fuit. Dans sa course, il évite un torrent et préfère se cacher dans un lit d?une calme rivière, pour son plus grand malheur, car il périra dans les flots faussement paisibles. Nous demanderons dans quelle mesure cette fable parvient avec efficacité à nous livrer une leçon de vie. Nous verrons que pour nous faire adhérer à son propos, l?auteur construit un récit plaisant. Il caractérise alors ses personnages avec grande précision, les opposant pour mieux nous guider dans la construction de la leçon. I. Le Torrent (vers 1 au vers 6). L?ouverture du texte, qui correspond à la situation initiale du schéma narratif, révèle clairement lune volonté de dramatiser de l?auteur : « Avec grand bruit et grand fracas ?campagnes ». On note l?évocation précise des effets produits par la violence du torrent, violence qui est mise en valeur par le parallélisme de construction et la répétition de « grand ». Le jeu de sonorité en « r » souligne également la violence sonore du cours d?eau. Le texte va imiter le fracas du torrent. L?auteur insiste sur le bruit avec la reprise d?un synonyme « bruit » et « fracas ». Utilisation du déterminant de base (article indéfini « un ») mais qui ne permet pas à lui seul d?identifier de façon univoque (qui n?est susceptible que d?une seule interprétation)le référent, ici le torrent. Pourtant différents éléments permettent de distinguer ce torrent. Son nom est mentionné par une majuscule qui le distingue. De plus, La Fontaine lui prête des traits humains, il agit comme un individu : le Torrent « tombe » (verbe de mouvement). Le torrent est ainsi une personnification. Le temps du passé correspond au récit narratif : l?imparfait est le temps de la description, l?auteur l'emploie pour exprimer une action passée dont la durée est indéterminée. « montagnes » ; « campagnes » : aucune localisation précise n?est donnée, mais le cadre choisi est fréquent dans les contes populaires et les récits brigands. Les montagnes et les campagnes situent l?action loin des villes qui suggère la barbarie. De la Fontaine accentue la mise en scène dramatique par la mise en place de ce milieu. La métonymie « Tout » appuie l?idée de la toute-puissance du torrent, accentuée par « devant lui » qui suggère le fait d?être soumis. On prête au torrent des sentiments humains : il fait trembler, fait fuir, et provoque l?horreur. Notons que « l?horreur » est personnifiée par le verbe de mouvement « suivre », ( + allégorie) :elle est désignée comme le serviteur du torrent qui se meut comme un homme dominateur. L?auteur insiste sur le thème de la peur et l?aspect terrifiant du torrent (champ lexical de la frayeur voire de la terreur : « fuyait », « l?horreur », « faisait trembler », « n?osait passer » ). La puissance tyrannique du torrent se poursuit dans les vers suivants et est dépeint comme un véritable obstacle (« barrière »), personne ne se permet de le franchir accentué par l?emploi de « Nul »". La souveraineté du torrent est d?autant plus accentuée par les pronoms « lui » (v3), et « il » (début du v4) et par l?intensif « si » placé avec l?adjectif qualificatif « puissante ». II. Un voyageur poursuivi (vers 7 au vers 12) Le second thème est nettement annoncé par la ponctuation au vers 7 « : » : on est dans la mise en place d?une structure narrative. Le récit traditionnel à l?imparfait et au passé simple où ici, le passé simple a donc une valeur ponctuelle accentuée par le verbe d?action (verbe voir). les ressources de la poésie sont mises au service du récit de la poursuite : Les alexandrins (v7,8,9 puis 12) rendent l?intensité de la course, qui se prolonge ; les moments de répit, de soulagement ont droit à la brièveté de l?octosyllabe (v10,11,13,14) Les 1ères rimes suivies (elles étaient croisées jusque-là) se trouvent au vers 9 et 10 : « ?que la peur/ sans profondeur » montrent une aisance rassurante, une facilité nouvelle. On remarque une impression d?enchaînement : « vit » (v7), « mit » (v8), « rencontra » (v13) « Un seul » : anonymat complet du voyageur qui n?empêche qu?on s?intéresse à lui. « voleurs » : sont aussi anonymes que le voyageur, mais les notations rapides qui les désignent suffisent à les rendre menaçants : « des voleurs » suggère un nombre indéterminé, mais redoutable. « se sentant pressé » : on est dans la conscience du voyageur qui enregistre les caractéristiques du lieu. Notations psychologiques suffisamment vraisemblables et précises, où s?accumulent les sifflantes « s » dans une allitération. Le vers 9 exprime la même idée que la précédente mais la formule négative souligne que l?émotion n?avait pas de véritable justification dans la réalité, la « peur » se révélant sans objet. L?antithèse est parfaitement organisée : elle exprime concrètement l?idées que les apparences sont trompeuses, et d?une certaine manière, étrangement régulière, presque mécanique : le torrent est effrayant, mais il ne présente en réalité aucun danger, et même il permet, provisoirement de se sauver ! L?art du récit de LF se manifeste aussi par des variations dans la relation du narrateur et du personnage du voyageur. Le lecteur a l?impression d?une certaine proximité entre le narrateur et le personnage. « Ce n?était que menace, bruit sans profondeur » (v9) semble restituer ce que pense le personnage. L?emploi du discours indirect libre manifeste une confusion entre les propos du narrateur et la parole intérieure, la pensée du personnage. On partage le soulagement. « Notre homme » : anonymat renforcé, mais proximité traduite par l?emploi du pronom possessif « notre ». une impression d?angoisse et la nécessité d?agir vite se fait ressentir à la fin du vers : « n?eut que la peur ». « ce succès lui donnant courage » : on participe au soulagement du voyageur pourchassé , ainsi qu?une nouvelle confiance. « les mêmes voleurs le poursuivant toujours » souligne l?acharnement manifesté par l?allitération en « r ». Le torrent paraissait redoutable, il se révèle inoffensif, et être du côté de la vie, ce qui confirme également, à la relecture. Certains éléments (référence au champ lexical du mouvement : « tombait », « pas ») permettent non seulement de personnifier le cours d?eau mais aussi par connotation être associé à l?idée de la vie. III. La rivière V 13 : Emploi du passé simple : il s?agit de la suite de la narration. « il rencontra » (v13) -> valeur ponctuelle du temps dans le passé. 4 vers sont consacrés à la description de la rivière. Personnification de la rivière : tout comme le torrent, le nom de la rivière est également mentionné par une majuscule et introduit par un article défini. LF a posé les deux cours d?eau sur un rang identique au niveau de la personnification. La rivière semble rassurer. Toutefois, l?article indéfini qualifiant la rivière est au féminin. Ainsi la rivière se révèle avoir des caractéristiques féminines. Ainsi le plus dangereux n?est pas celui qu?on croît, ainsi la vision de la féminité est celle véhiculée par la tradition, notamment religieuse, celle d?un être sournois et pervers. Vers 15 : On remarque le champ lexical de la tranquillité : « sommeil », « doux », « paisible », « tranquille » renforcé par la métaphore « image d?un sommeil doux ». L?utilisation de ce champ lexique rappelle également une attitude humaine. La rime en « -il » et l?assonance en « i » reflète un certain calme, la sécurité. Le fabuliste travaille une seconde fois son récit pour donner une 1ère image du cours d?eau. Vers 16 : « lui fit croire d?abord ce trajet fort facile » : Comme dans les tragédies où le spectateur sait à l?avance que le dénouement fatal est inévitable, le lecteur est prévenu. « Lui fit croire » suggère que le voyageur se trompe, qu?il est victime d?une illusion. La rivière renvoie à la dimension de l?horizontalité « trajet fort facile » + « sable pur et net » (v17). La encore les sonorités viennent confirmer, renforcer ce qu?exprime le sens des mots ; adéquation du fond et de la forme spécifique du langage poétique : allitération en « l » consonne dite « liquide »beaucoup plus douce que les occlusives relevées pour le torrent. Cette allitération en « l » contribue à donner l?impression d?un écoulement aisé, sans heurt (« facile » v16, « paisible » v15, « lui » v16, « tranquille » v15). Notons également avec ce dernier exemple, les assonances en « i », son que l?on peut associer à l?idée d?absence de profondeur et de clarté (son plus aigu, formé avec l?avant de la bouche). V17 : les 2 hémistiches créent une opposition entre le torrent et la rivière. On relève aussi des termes à connotations clairement mélioratives comme « pur » et « net ». Le rythme est accéléré grâce à une phrase nominale (suggérant une péripétie cruciale) et à l?enjambement v18/19 « le met/ A couvert des voleurs ». Ce vers donne une impression de proximité par l?emploi d?une focalisation interne : le fabuliste se colle ici au point de vue du personnage. Les procédés restituent au plus près la perception d?un homme traqué par des voleurs. V18-19: « Il entre et son cheval le met / A couvert des voleurs, mais non de l?onde noire » : le présent de narration succède au passé simple ; il nous fait assister à la scène (le présent de narration a une valeur actualisante). LF sait donc dramatiser à certains moments son récit pour mieux séduire son lecteur. Jusqu?au mot « voleurs », on pourrait croire à un dénouement heureux, mais nous sommes immédiatement détrompés par un coup de théâtre. Lorsque l?on considère la rivière, elle paraissait inoffensive mais se révèle particulièrement dangereuse et funeste. Elle est du côté de la mort comme le suggère la connotation de la couleur « noire ». Le climat tragique est enfin instauré par un vocabulaire noble (« l?onde noire »). « L?onde noire » suggère une méchanceté. IV. Le dénouement V20 : « Tous deux au Styx allèrent boire » : une impression de distance au contraire domine au dénouement. Une distance ressentie car ce n?est plus la tonalité dramatique que ressent le lecteur, mais un humour que l?on pourrait qualifier de noir. Il y a bien un changement de registre pour rapporter le dénouement de l?aventure. Le narrateur ne manifeste guère d?émotion devant le naufrage du malheureux. Il ne dissocie pas le sort du cavalier et de sa monture comme le suggère l?anaphore « Tous deux ».La dégradation du cavalier est déjà annoncée par l?enjambement du v18-19 (« son cheval met / A couvert des voleurs ») où la référence à l?homme , en position de complément d?objet, suggère un état de passivité et de dépendance peu valorisant. La rivière qui semblait si accueillante, voire salvatrice, se révèle mortelle. Elle est finalement plus redoutable que les voleurs ! La distance est donc évidente avec l?humour cruel que révèle l?emploi d?une périphrase pour désigner la mort (« Tous deux au Styx allèrent boire »). On remarque une représentation allégorique de la mort par le fleuve de la mythologie . Ces allusions mythologiques aux Enfers (« onde noire » v9, « séjour ténébreux » v22), que l?on associerait plutôt à la mort d?un héros d?une épopée, révèle aussi la présence d?une intention parodique. Cette tonalité burlesque maintient le lecteur à distance du personnage et l?empêche de compatir à son sort. Les références positives ou négatives explicites au sommeil, à l?absence de mouvements et à l?horizontalité qui servait à caractériser la rivière et qui semblait lui donner un côté inoffensif, prennent donc après-coup, dans une seconde lecture, qui connaît l?issue malheureuse, un sens différent qui renvoie à l?idée de mort. Insistance sur 4 vers (20 à 23) pour le dénouement sans employer le mot « mort » qui est la conséquence de la traversée de la rivière. On note alors une structure binaire qui prépare davantage la morale. En observant le schéma narratif, on voit nettement 2 péripéties parallèles avec dans les 2 cas une chute surprenante. L?opposition entre les 2 cours d?eau est au niveau aussi bien du paraître que de l?être, mais il y a aussi une contradiction à l?intérieur de chacun d?eux. Le torrent et la rivière sont double (« horreur » ? « sans profondeur » et « doux » ? « onde noire ») : cette opposition est plus difficile à cerner -> demande de la réflexion pour le lecteur. On notera aussi que la rivière est plus importante : c?est le centre de la démonstration. Au centre du texte se trouve l?hypocrisie (la rivière) car on nous met en garde sur ce que l?on ne perçoit pas tout de suite. V23 : « autres fleuves que les nôtres » : LF évoque les autres fleuves ceux du côté de la mort. Styx, entre autres, et de manière implicite, les allusions au Léthé, fleuve des Enfers qui apportait l?oubli à l?âme des morts, et à l?Archéon, fleuve que les âmes des morts, guidées par Archéon, devaient traverser. V. La morale 2 vers sont consacrés pour la morale -> distique (sous forme de deux vers) La typographie reflète l?aspect de l?apologue. La morale se détache du récit, elle n?en est que plus visible. (morale explicite). Les octosyllabes , le présent de vérité générale lui confèrent la netteté d?une sentence. Le présent de vérité générale est la forme habituelle de la morale. Le lien avec la société est d?ailleurs souligné par l?utilisation du terme « les gens ».le lecteur fait cependant des liens entre le récit et la morale. Pour interpréter la morale, il est nécessaire de relire le récit dans lequel se trouvent des indices. L?ensemble montre qu?il faut se méfier des apparences (-> mise en relief du thème de la fourberie, sournoiserie, méchanceté). Très habilement, LF a maintenu dans la morale une expression concrète « sans bruit », qui fait le lien avec le récit (v1) : il désigne ainsi les gens qui ne se mettent pas en colère, qui ne prononcent pas un mot plus haut que l?autre, mais dont l?hypocrisie est redoutable. Ainsi, on peut associer le présent de vérité générale à la tonalité didactique qui domine la morale, alors que la tonalité dramatique et humoristique domine dans la narration. La tonalité didactique est aussi évidente avec le retour à la généralité qui permet l?emploi au pluriel : « les gens » v24, « des autres » v25. Notons qu?avec la morale, on passe donc du particulier (récit -> torrent, tous deux et rivière) au général (« les gens ») alors qu?au début de narration c?était le mouvement inverse, on passait du général (« nul voyageur ») au particulier (« un seul vit des voleurs »). Notons encore, pour distinguer les 2 parties de la fable, la morale est beaucoup plus courte (distique) et ne contient pas d?alexandrin comme la partie narrée (cf à une maxime, ce qui fait sa force). Il ne faut toutefois pas exagérer cette opposition entre l?histoire et la morale (c?est pour cela que l?on parle d?opposition relative) car c?est une impression d?unité et de cohérence qui prédomine : la morale est construite autour d?une antithèse qui transpose l?opposition de l?être et du paraître sur le plan humain et exprime la même thèse que l?histoire : les apparences sont trompeuses. Conclusion Cette fable, comme de nombreuses autres, révèle le talent de La Fontaine. Le lecteur ne peut qu?être séduit par le jeu des tonalités et frappé par la manière de mettre en scène de fortes oppositions. Le fabuliste joue donc un rôle de moraliste en peignant les attitudes humaines. On voit que La Fontaine imagine une situation dramatique (c?est une question de vie ou de mort et le dénouement sera funeste) et dédouble les cours d?eau pour opposer le torrent et la rivière. Le souci de dramatiser et de mettre en relief une opposition centrale manifeste clairement l?art du récit célèbre du fabuliste français. En parallèle : fable d?Abtémius, humaniste italien, qui a inspiré LF : un paysan, qui veut traverser une rivière, essaie d?abord l?endroit où le courant lui paraît le plus calme, puis il se rend vite compte que l?eau est plus profonde qu?il ne le croyait. Il essaie alors un autre endroit, plus agité, qui se révèle être un gué praticable. Auteur indien Pilpay Les apparences sont donc souvent trompeuses. Ceci est beaucoup rapporté à la Cour, pour certaines images, ce qui nous prouve que cette fable est en fait une satire de la société. Une « leçon » parfaitement adaptée au monde des courtisans?mais qui est vraie dans tous les temps et dans tous les milieux- ce qui est le propre des fables, qui définissent des types humains.

Liens utiles