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LIBERTINAGE

Publié le 23/01/2019

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LIBERTINAGE. Les courants intellectuels qui constituent le libertinage érudit du xviie s. se poursuivent au siècle suivant, mais tandis que les Lumières assument l'héritage de la libre pensée, le libertinage devient essentiellement mode de vie, conduite mondaine et sexuelle. Ce libertinage comme goût de la séduction et mise en scène de l'amour selon un code précis s'épanouit sous la Régence pair réaction à l'austérité de la fin du règne de Louis XIV et du fait du caractère de Philippe d'Orléans, le Régent, libertin d'idées comme de mœurs. À cette époque se répandent les termes de la famille de roué, « digne de la roue », par lesquels les libertins se désignent eux-mêmes. La recherche du plaisir se double d'une volonté d'indépendance morale, de scandale ou même de malfaisance. Le libertinage se développe durant tout le siècle, à la rencontre de la libération intellectuelle et philosophique qui caractérise l'âge des Lumières, et du raffinement mondain qui marque la vie de cour. Il constitue une vaste littérature qui va du licencieux au pornographique, du « gazé » à l'explicite et dont la diffusion est tantôt officielle, tantôt clandestine. Tous les genres sont susceptibles d'être requis par cet ensemble de modes et de courants. La poésie est épicurienne avec l'abbé de Chaulieu et le marquis de La Fare au début du siècle, burlesque avec la Pucelle de Voltaire et la Guerre des dieux de Pamy, idyllique avec les Poésies érotiques du même Pamy, qui chantent les facilités de la vie amoureuse sous les

 

tropiques, fugitive avec les œuvres de Dorât, qui tentent de saisir les divers moments de la séduction. La tradition du conte en vers, illustrée par La Fontaine au siècle précédent, se perpétue, narrant en mètres courts et dans un vocabulaire parfois archaïsant une anecdote piquante : le décor est souvent populaire et rustique. Elle est pratiquée par Voltaire, Piron, Gresset, Grécourt. Le jeune Laclos s'y essaie.

 

Au théâtre, le libertinage peut prendre les formes raffinées de la comédie classique et s'exprimer en alexandrins, ou devenir grossier dans la parade. Les théâtres de sociétés sont des scènes privées où aristocrates et grands bourgeois s'encanaillent, ils font représenter des amours vulgaires, fantastiquement populaires. Le libertinage côtoie la politique dans le genre du pamphlet, qui fleurit durant tout le siècle et dénonce les mœurs des gens en place, hommes et femmes de cour, sans épargner la famille royale. Le Régent y est accusé d'inceste avec sa propre fille, Louis XV d'orgies systématiques, Louis XVI d'impuissance. À la veille de la Révolution, Marie-Antoinette focalise toute une production pamphlétaire qui se répand après 1789. Des brochures révolutionnaires décrivent avec complaisance les mœurs dissolues de l'aristocratie.

 

Le genre principal du libertinage est le roman. Certains se contentent d'évoquer librement les rencontres et les étreintes qui forment le mode d'existence de certaines élites du temps, d'autres analysent la systématisation de cette vie à partir de principes et d'une volonté de puissance auxquels les critiques parfois réduisent le libertinage proprement dit. Le promoteur en est Crébillon fils, qui lance ses jeunes héros dans le monde où ils sont pris en charge par un roué ou une rouée, et dont ils apprennent les règles du jeu. Dans l'espace clos des salons et des boudoirs, ils expérimentent leur savoir et leur pouvoir de séduction, ils établissent un savant dosage de bienséances et d'audaces, et manient avec art le langage. Ils collectionnent naïves et femmes du monde, libertines et vertueuses. Aux Égarements du cœur et de l'esprit succèdent les nombreux autres titres de Crébillon fils, les Confessions du comte de de Charles Pinot Duclos, les Malheurs de l'inconstance de Dorât, Thémidore de Godard d'Aucourt. La nouvelle attribuée à Vivant Denon, Point de lendemain, résume en une vingtaine de pages les lois du genre. Celui-ci culmine, grâce à la maîtrise de la technique épistolaire et à l'ironie, dans les Liaisons dangereuses de Laclos, sans que le lecteur sache jusqu'où va le libertinage et où commence sa dénonciation. Valmont et Merteuil, par leur lucidité et leur absence de scrupules, sont devenus des figures emblématiques du libertinage et la présidente de Tourvel le symbole de la victime, vouée au malheur et à la mort. Le système se défait et les principes s'oublient dans le Faublas de Louvet de Couvray, où le héros n'est qu'un séducteur passif, larmoyant et moralisant, et chez Nerciat, qui décrit une franc-maçonnerie du plaisir et pour qui l'acte érotique n'est pas prise de possession. Il en va de même chez Mirabeau, qui occupe ses loisirs de prison en rédigeant des romans érotiques, ou chez Casanova, dont les Mémoires accumulent les figures féminines et des scènes de séduction qui ne sont pas actes de pouvoir. La recherche du plaisir rencontre la tradition anticléricale et la satire des couvents dans le Portier des chartreux attribué à Gervaise de La Touche ou la Capucinade de Nougaret. Elle a le pittoresque des parades et des contes en vers dans Margot la ravaudeuse de Fougeret de Montbron ou l'Histoire de M. Guillaume cocher de Caylus. Elle se perd dans le délire personnel chez Restif de la Bretonne, chez qui les obsessions de l'inceste et de la procréation étouffent la séduction, et chez Sade, dont les romans substituent aux règles de la mondanité la brutalité nue du désir animal et aux figures du libertinage la boucherie des tortures.

 

Il est difficile d'assigner un sens idéologique à ce libertinage multiforme, le plus souvent aristocratique et parfois imaginairement populaire. L'audace érotique peut se conjuguer avec le confor

 

misme politique et le roman s'achever par un retour aux bonnes mœurs et à l'ordre. Elle peut également s'accompagner d'une radicalité philosophique, qui frappe dans Thérèse philosophe, attribuée au marquis d'Argens. La leçon d'amour y est inséparable de la leçon de philosophie. La sexualité devient le modèle d'un univers matériel régi par les lois de l'attraction. La leçon est politique grâce à la transposition exotique dans un décor oriental avec les Lettres persanes de Montesquieu ou les Bijoux indiscrets du jeune Diderot. La séduction comme affirmation d'un pouvoir peut devenir le symbole d'une société oppressive et coercitive, d'un système politique condamnable. L'image que le xixe s. a gardée du libertinage du xviiie est faite de ces aspects contradictoires : libertinage à la fois aristocratique et philosophique, symptôme de l'Ancien Régime aussi bien que des Lumières, ce qui a permis à Baudelaire d'affirmer que la Révolution avait été faite par des voluptueux.

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