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CYRANO DE BERGERAC : sa vie et son oeuvre

Publié le 22/11/2018

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CYRANO DE BERGERAC Savinien de (1619-1655). Un net regain d’intérêt se manifeste aujourd’hui à l’égard de Cyrano, par des publications, mais aussi des productions destinées au plus large public (une pièce de théâtre à Chaillot en 1978, une émission télévisée de FR3, en 1980) : quoique mêlant œuvre, biographie et légende, elles font connaître Cyrano. Cette attention renouvelée est salutaire pour l’auteur et l’œuvre, avec qui le contact direct peut briser le carcan d’une légende réductrice et tenace; pour la connaissance de la littérature du xviie siècle, dont les écrits de Cyrano éclairent des aspects trop peu ou trop mal connus; salutaire enfin et surtout pour le lecteur, qui trouve désormais à sa disposition une œuvre où le sollicitent la verve et la fantaisie créatrice, la hargne polémique et le désir de liberté d’un libre penseur romancier, épistolier dramaturge et, fondamentalement, poète.

 

La légende et la biographie

 

Une certaine historiographie romantique puis le Cyrano d’Edmond Rostand (1897) ont entretenu une légende aussi répandue que prégnante. Les grands traits de cette caricature sont connus : une silhouette affublée de deux appendices démesurés, le nez et la rapière; une psychologie stéréotypée : bravoure et susceptibilité, amour malheureux et amitié virile, solitude et génie méconnu. L’œuvre, pour sa part, y est occultée.

 

En fait, les documents historiques concernant Cyrano sont assez rares, et l’on ne sait que relativement peu de chose sur sa biographie et sa personnalité réelles. Cependant quelques certitudes et quelques très fortes probabilités sont établies qui révèlent des contradictions que la « légende » ignore.

 

Savinien de Cyrano naît à Paris en 1619. Son père, avocat au parlement, possède les fiefs de Mauvières et de Bergerac (vallée de Chevreuse). Savinien passe sa petite enfance à Mauvières, très tôt il est mis en pension chez un curé de campagne. Il fait ses études au collège de Dormans-Beauvais, dans le quartier Latin. Le principal du collège est l’érudit Jean Grangier que Cyrano ridiculisera dans le Pédant joué. Ses études terminées (1638), Cyrano fréquente les tavernes et vit librement (son père a vendu Mauvières et Bergerac en 1636). En 1639, Cyrano s’engage dans la compagnie des gardes de M. de Carbon. Il est blessé au siège de Maizon. Grièvement blessé au siège d’Arras en 1640, il doit quitter la carrière militaire. A partir de 1641, ami de Chapelle, il suit peut-être les leçons de Gassendi, fréquente Tristan l’Hermite, d’Assoucy, Bernier, peut-être Molière; il vit dans la gêne; sa réputation de bretteur et de libertin s’établit. Son père meurt en 1648, Cyrano dilapide son héritage. En 1653, il se brouille avec ses anciens amis. Après avoir appartenu à la clientèle des Conti, il devient un protégé du duc d’Arpajon. En 1654, à peu de temps d’intervalle, il est victime d’un accident (une poutre lui tombe sur la tête) et le duc d’Arpajon lui retire sa confiance. Cyrano meurt en 1655 chez son cousin, à Sannois; le curé du lieu déclare qu’il est mort en bon chrétien.

 

Ainsi, à bien des égards, la carrière de Cyrano apparaît conforme aux habitudes de son temps : issu de la bourgeoisie de robe en voie d’anoblissement, il se tourne d’abord vers la carrière militaire, puis vers la politique (dans la clientèle des grands), enfin vers la littérature.

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« Mais sous cette apparente banalité se discernent des signes d'instabilité.

Les diverses orientations de sa car­ rière apparaissent non comme les étapes d'une progres­ sion « normale>> , mais comme autant de tentatives sui­ vies d'échecs et de replis.

S'il est issu d'un milieu aisé, son enfance a été très tôt privée de la protection fami­ liale, et, largement abandonné à lui-même, il a manifesté un esprit de révolte, à J'ég ard de ses maîtres notamment.

De même, dans la vie littéraire, il ne prend place de façon durable dans aucun groupe.

Très lié aux libertins érudits, ami de Scarron et de D'Assoucy, les maîtres du burlesque, il se broui lle avec les uns et les autres.

Avec d'Assoucy, relation et rupture sont d'ordre passionnel (leur liaiso n fut très probablement homosexuelle).

Avec les libertins, les causes de conflit sont mal connues : disciple de Gassendi et adepte de la libre pen sée, Cyrano ne renie nullement ses opinions, au contraire; peut-êt re s' agit -il de divergences sur des questions de po li tiqu e immédiate.

Mais surtout, il semble que so n moi social manifeste une instabilité de son moi intime, qui fait de Cyrano, non le marginal, J'excentrique de sa légende, mais un isolé.

[Voir LIBERTINS].

La littérature comme quête de la liberté Les mêmes contradictions entre une apparente confor­ mité à la norme et un non-conformisme profond caracté­ risent son œuvre.

Comme la grande majorité des écri­ vains de son temps, Cyrano est polygraphe, et, comme eux, il suit la mode.

JI pratique les genres en vogue : mazarinades [voir MAZARINADES], durant la Fronde; let­ tres, quand l'art épistolaire est au cœur de l'actualité; tragédie ...

De même, comme beaucoup de ses confrères, il s'adonne aussi bien au style burlesque (dans le Pédant joué, 1645, et dans certaines Lettres) [voir BURLESQUE] qu'au style noble (la Mort d'Agrippine, publiée en 1654).

Mais, de façon remarquable, il passe d'un genre à l'autre, d'un ton à un autre, sans entreprendre d'exploi­ ter de façon un peu suivie une même veine.

La polygra­ phie «normale >> devient chez lui, plutôt qu'une confor­ mité à la mode du mom en t, la démarche d'une exploration des divers re gi stres de la symbolique litté­ raire, le signe et Je moyen d'une recherche qui se jo ue sur un autre plan.

La littérature est, pour Cyrano, une quête de la liberté, et son œuvre peut se lire comme une série de mises en cause du principe d'autorité.

C'est en matière politique qu'i l est le moins viru le nt.

Certes, dans ses premières mazarinades, il attaque dure­ ment Mazarin, proclame sa haine de la tyrannie, défend les droits du petit peuple et l'égalité de principe de tous les hommes.

Mais ce sont là des thèmes somme toute banals dans Je genre, et Cyrano ne remet en cause ni le principe monarchique ni les hiérarchies sociales.

Il finit d'ailleurs, rejoignant en cela l'attitude de la plupart des libertins, par se rallier au pouvoir en place.

Car, pour lui comme pour tout le courant libertin, les conflits essentiels se joue nt dans J'ordre des croyances et de la morale individuelle.

La revendication d'une morale individuelle débarrassée des prétendus codes de valeurs politiques et religieux caractérise sa tragédie de la Mort d'Agrippine.

L'intrigue repose sur l'échec du complot d'Agrippine et de Séjan pour assassiner J'empereur Tibère.

Tous les personnages sont des êtres de duplicité, tous les propos des mensonges : les valeurs morales ou politiques ne servent qu'à justifier l'ac comp li s sem ent des pulsions individuelles.

Et dans les moments où se dévoilent les pensées secrètes, Je désir -qu'il soit de puissance, de vengeance ou amoureux -s'exprime en même temps que le mépris de la crainte des dieux.

Pièce du double langag e, violente, scandaleuse en son temps, elle mérite aujourd'hui d'être lue.

Mais J'œuvre la plus connue de Cyrano, son roman de l'Autre Monde (1650, publié en 1657), met en cause le principe d'autorité en matière philosophique et reli­ gieuse.

Le narrateur, inventeur d'une fusée, visite d'abord la Lune.

Il y trouve le paradis terrestre, mais en est chassé.

Il tombe au pouvoir de géants, qui Je traitent en animal familier.

Libéré grâce à l'intervention du démon de Socrate, il découvre la société lunaire.

Revenu involontairement sur la Terre, il est emprisonné comme sorcier.

Il s'évade grâce à une nouvelle machine qui Je transporte dans le Soleil, qu'il visite en se dirigeant vers le pays des philosophes.

Mais Je récit s'interrompt au moment où il rencontre Descartes ...

Une telle trame est propice à des descriptions, discus­ sions, réflexions, aventures où se manifestent les idées de Cyrano (sans qu'on puisse l'identifier totalement au narrateur).

Il apparaît comme un héritier d'Épicure et affirme J'unité de la matière.

Il déf en d les principes novateurs de l'héliocentrisme, de 1 'attraction des corps, de l'infinité et de l'éternité de J'univers.

Malgr é ses déclarations de croyance en Dieu, Cyrano apparaît là matérialiste, athée, confiant dans l'investigation scienti­ fique sans pour autant négliger la magie de l'im ag ina­ tion.

(Voir UTOPIE, VOYAGES IMAGINAIRES).

L'écriture comme exercice de la liberté Car l'écriture, exercice de l'imaginaire, est exercice de la liberté.

Le thème des hiérarchies renversées, symb ole de révoltes rêvées, de revanches à prendre, est omniprésent : sur la Lune, les fils commandent aux pères; dans Je Soleil, les oiseaux jugent et condamnent les ho m m es pour inhumanité.

Même esprit de révolte imaginaire et compensatrice dans le Pédant joué où Cyr an o ridiculise son ancien maître de collège, dont il fait un cuistre, un avare et un rival en amour de son fils qui bien sûr, en fin de compte, le berne.

La liberté de l'imagination s'accompagne d'une liberté conquérante dans le langage.

Le ton de Cyrano est volontiers polémique.

Surtout, il oppose à la rhétorique conventionnelle la rhétorique libératrice de la fantaisie : agressivité, souvent débordante, pointes, ironie, person­ nages atteints de délire verbal abondent dans les Lettres (1654) et dans Je Pédant.

Cyrano a Je sens du comique : dans sa comédie, le personnage du mata m ore et celui du paysan sont de pures créations verbales, et certains effets d e dialogue seront repris par Moliè re (p our la scène de la galère des Fourberies de Scapin); dans ses Lettres, il manie aussi bien l'injure allègre à l'égard d'un confrère et/ou ex-ami que l'équivoque, Je discours à double sens.

Car, alors que les maîtres du genre épistolaire (Guez de Balzac et Voiture) présentent toujours leurs exercices littéraires comme des missives authentiques, Cyrano donne les siennes pour auta n t d'exercices du plaisir d'écrire.

De ce fait, les conventions éclatent, et l'ironie décapante peut se donner libre cours.

Ainsi, dans une lettre contre une demoiselle qu i ex ig e de l'arg ent (Let tr e III) : te un animal raisonnable, mais je vois bien qu'il me faut me résoudre à cesser d'être ce que je suis, du moment que je cure de fouiller à ma poche.

Corrigez, je vous prie, cette humeur qui convient fort mal à votre jeunesse, et à cette générosité dont vous vous faites toute blanche; car il vous est honteux d'être à mes gages, moi qui suis, mademoiselle, votre serviteur.

>> Dans le même mouvement, le refus de la rhétorique traditionnelle ouvre la voie à J'écriture poétique.

Cyrano n'est pas versificateur, mais la poésie, comme jeu du l ang age, innerve son œuvre.

Les accumulations, pointes et métaphores n'y sont pas de simples ornements, mais sont génératrices d'images et de sens :. »

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