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POIL DE CAROTTE: Tout le monde ne peut pas être orphelin. Jules Renard

Publié le 19/03/2020

Extrait du document

«annette. — Moi, à votre place, j’aurais dit la vérité à M. Lepic.

POIL DE CAROTTE, prenant le bol des mains d’Annette. — Qu’est-ce que je désire, Annette? Eviter les claques. Or, quoi que je fasse, M. Lepic ne m’en donne jamais; il n’est même pas assez causeur pour me gronder, tandis qu’au moindre prétexte, Mme Lepic...

Il lève la main, lâche le bol et regarde la fenêtre. annette (Elle ramasse les morceaux du bol.) — N’ayez pas peur: c’est moi qui l’ai cassé... A votre place, j’aurais dit la vérité.

poil de carotte. — Je suppose, Annette, que je dénonce Mme Lepic, et que M. Lepic prenne mon parti : pensez-vous que si M. Lepic attrapait Mme Lepic à cause de moi, Mme Lepic, à son tour, ne me rattraperait pas dans un coin ?

annette. — Vous avez un père... et une mère! poil de carotte. — Tout le monde ne peut pas être orphelin. »

« POIL DE CAROTTE, au fond d’un placard. Dans sa bouche, deux doigts; dans son nez, un seul : Tout le monde ne peut pas être orphelin. »

« poil de carotte. — Sais-tu comment je la définis, la famille? Une réunion forcée... sous le même toit... de quelques personnes qui ne peuvent pas se sentir.

M. LEPIC. — Ce n’est peut-être pas vrai dans toutes les familles, mais il y a, dans l’espèce humaine, plus de quatre familles comme la nôtre, sans compter celles qui ne s’en vantent pas.

POIL de carotte. — Et tu es mal tombé.

M. lepic. — Toi aussi.

poil de carotte. — Notre famille, ce devrait être, à notre choix, ceux que nous aimons et qui nous aiment. » (Scène 7)

« Je ne voulais pas recommencer le livre, sous prétexte de le continuer. Il ne me plaisait pas d’écrire un Poil de carotte en deux, trois, quatre... trente-six volumes.

C’est alors que je songeai au théâtre. C’était tentant et difficile. Tentant, parce qu’en cas de succès, Poil de carotte sortait de la pâle clarté du livre, bondissait en pleine lumière (je voyais déjà son nom cocasse en grosses lettres, sur les affiches). Difficile, parce qu’une pièce de théâtre est à peu près le contraire d’un livre. L’auteur est à l’aise dans le livre: au théâtre, il subit des lois presque inflexibles. Le lecteur fait crédit. Il a et il donne le temps. Il prend le livre, le pose, le reprend. Le spectateur est pressé. II faut agir sur lui vite et fort, fort et même gros, et, sauf des cas très rares, il n’y a qu’une impression qui compte, c’est la première. Si elle rate, c’est perdu. Voyez-vous un spectateur revenant le lendemain pour voir s’il ne s’est pas trompé dans son jugement? Il a bien autre chose à faire. Mais cette difficulté du théâtre est son attrait, son principal excitant. Le théâtre n’est pas, comme on l’a dit, un art inférieur. C’est un art particulier et limité! C’est l’art des minutes intenses, des secousses rapides, l’art des crises, crises de larmes ou crises de rire. »

« 33 • ORPHELIN (enfance malheureuse) / 251 de Mme Lepic.

Celle-ci est, à son égard, une mère abu­ sive, alors que les aînés, grand frère Félix et sœur Ernes­ tine, sont l'objet de la tendresse maternelle.

Le père, distant, n'établit guère de communication avec son insup­ portable épouse.

Différent par son physique (ses cheveux roux) et son caractère Gugé difficile car l'enfant est boudeur et buté), Poil de carotte est façonné par le rejet dont il est victime de la part de sa mère.

La famille est, en fait, vouée au silence.

Las de disputer sa femme bigote à l'influence du curé, M.

Lepic se tait.

Du coup, Poil de carotte devient le souffre-douleur de sa mère, qui se venge sur lui du silence hostile de M.

Lepic.

Il se réfugie en lui-même, se soumet­ tant extérieurement à la volonté maternelle, tout en subis­ sant silencieusement son malheur.

Il vit la peur au ventre, sauf quand il trouve refuge dans son lit ou dans son toiton (la cage à poules désaffectée).

Enfant martyr empêché par sa mère de conquérir la moindre autonomie, Poil de carotte se replie sur lui­ même, tout comme Jules Renard au cours de son enfance, lequel a transposé dans cette œuvre son expérience per­ sonnelle, choisissant, isolant, intensifiant, comme tout ar­ tiste, les moments les plus significatifs de sa vie, qu'il prête alors à son héros.

Dans une lettre à Marcel Shwob, Jules Renard, évoquant Poil de carotte, confie douloureu- · sement: «Je suis né noué.

Et rien ne tranchera le nœud.

» (10 sept.

1894) Jules Renard a passé à Chitry (dans la Nièvre) une en­ fance très proche de celle qu'il a évoquée dans Poil de carotte et il ne guérira jamais de son enfance.

Quand sa mère, Anna-Rosa Colin met au monde Pierre Jules Re­ nard, en 1864, elle ne s'entend déjà plus avec son mari, François Renard.

Malgré les apparences d'une vie nor­ male, l'enfant grandit privé d'amour.

Toute sa vie, Jules Renard sera habité par Poil de carotte et par les lieux de son enfance.

Dans Les Clopor­ tes, qui précède Poil de carotte puis ultérieurement dans La Bigote il évoque sa famille.

Plus tard, il reprend. »

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