À quel genre appartient Un roi sans divertissement?
Publié le 05/08/2014
Extrait du document
Un roi sans divertissement est un roman difficile à définir, Giono lui-même ayant hésité entre deux genres — « l'opéra bouffe « et la chronique —. Le lecteur, quant à lui, penche davantage pour un roman policier au début de sa lecture, puis s'oriente pro¬gressivement vers une étude morale et philosophique.
«
152
Il.
Les interprétations du lecteur
Un roman policier
La première partie du roman relève sans conteste de l'intrigue policière.
Le lec
teur est plongé dans un milieu clos et étouffant : un village
de montagne en plein
hiver, cerné par les nuages et recouvert par la neige qui tombe interminablement.
Des
villageois disparaissent mystérieusement
l'un après l'autre : Marie Chazottes, puis
Bergues et Callas Delphin, enfin Dorothée, sans compter Georges Ravanel qui réus
sit à s'échapper, cinq en tout et seules des traces de sang sur la neige attestent à
chaque fois leur enlèvement.
Les disparitions sont relatées par un narrateur qui
n'en
sait pas plus qu'un enquêteur de roman policier, puis il nous raconte encore l'arrivée
des gendarmes, la découverte par un villageois, Frédéric II, des cadavres dans le hêtre
de la scierie et
du meurtrier qui vient d'y déposer le corps de Dorothée; enfin Frédéric
II se lance à la poursuite de !'assassin à travers bois et champs, traque qui nous est
décrite de son point de vue, de façon très cinématographique.
Les motivations de
M.
V., un bourgeois de Chichiliane apparemment sans histoire, ne nous sont pas
expliquées, pas plus que celles du gendarme Langlois qui l'exécute de deux balles
dans le ventre, en dehors de tout jugement de justice.
Le mystère demeure jusqu'à la
fin.
On ne sait pas non plus pourquoi Langlois revient s'installer au Café de la route
au printemps suivant, dans la seconde partie du récit, ni pourquoi il est devenu taci
turne
et solitaire alors qu'il était sociable auparavant.
Dans la troisième partie, c'est
par déduction que nous devinons que la mystérieuse et craintive brodeuse à laquelle
Mme Tim
e.t Saucisse rendent visite, n'est autre que l'épouse traquée de M.V.
Bien
des caractéristiques du roman s'écartent donc de l'intrigue policière classique.
Une étude morale et philosophique
La troisième partie du roman permet au lecteur de partager les inquiétudes des
amis de Langlois, les
« amateurs d'âme » que sont Saucisse, Mme Tim et le
Procureur, concernant l'évolution morale de Langlois.
L'ennui qui l'envahit progres
sivement, comme contaminé par la contemplation
du portrait de M.V., qui le plonge
dans une pétrifiante fascination, est combattu par des divertissements qui semblent
bien dérisoires : une fête à
Saint-Bauctille, la construction d'une maison et même son
mariage avec Delphine!
Par l'intermédiaire de Saucisse, dont la connaissance du
genre humain est justifiée par ses années à Grenoble, Giono commente la dérive
inquiétante de Langlois.
L'exécution consentie de M.V., puis la mise à mort du loup,
ont constitué pour lui un plaisir de la cruauté qu'il cherche ensuite à reproduire par
des substituts, comme la vue de l'ostensoir
de l'église et du sang de l'oie sur la neige.
Si pour Pascal, le divertissement détourne à tort! 'homme de la misère de sa condition
et de l'amour de Dieu, pour Giono l'homme malgré ses efforts est gagné fatalement
par la barbarie, perverse échappatoire à l'ennui existentiel.
Mais Giono ne dit rien de
tout cela explicitement,
c'est au lecteur de le déduire des réflexions de Saucisse et de
Mme Tim sur
« la marche du monde » et surtout du suicide de Langlois, seule issue
pour éviter la fatalité de la violence.
Pas de leçon donc, mais un constat amer sur la
nature humaine à l'issue d'une période dramatique de !'Histoire du
XXe siècle..
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