AGRÉER1, verbe.

AGRÉER2, verbe transitif.  

MARINE.  vieilli  \" Préparer ou travailler à la garniture, aux agrès d'un bâtiment, fourrer les dormans, estroper les poulies, garnir voiles, vergues, etc. : mais on dit plus souvent qu'on travaille à la garniture des mâts et des vergues, aux voiles et aux rechanges. \" (Dictionnaire de marine (JEAN-BAPTISTE PHILIBERT WILLAUMEZ), 1831) : 

Ø ... celui qui vaque, avec les gens de peu, sur les chantiers et sur les cales désertées par la foule, après le lancement d'une grande coque de trois ans; celui qui a pour profession d'agréer les navires; et celui-là qui trouve un jour le parfum de son âme dans le vaigrage d'un voilier neuf;...

ALEXIS SAINT-LÉGER LÉGER, DIT SAINT-JOHN PERSE, Exil,  1942, pages 225-226. 

Remarque : Nouveau dictionnaire portatif de la langue française (abbé Claude-Marie Gattel)1841 note également un emploi pronominal, inconnu ailleurs; Dictionnaire de marine (Jean-Baptiste Philibert Willaumez) 1831 précise que le mot ne doit pas être confondu avec gréer ni avec équiper. 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 889. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 2 704, b) 872; XXe.  siècle : a) 805, b) 518. 

AGRÉER1, verbe.  

A.—  Emploi transitif direct.  Trouver à son gré. 

1. [La personne qui agrée détient une certaine autorité] 

a) [L'objet est une personne; il peut être suivi d'un terme lui servant d'attribut]  Admettre, recevoir favorablement. Agréer quelqu'un, agréer quelqu'un comme ou pour : 

Ø 1. À quoi bon courir en Amérique? mon pays m'offre la situation qui me convient, il faut que Mme.  de Miossens ait un salon considéré à Paris, et que ce salon réponde de moi à la bonne compagnie. Par M. le Cardinal archevêque je puis me faire agréer de la congrégation. Ces deux belles préparations achevées, la porte m'est ouverte, c'est à moi d'entrer, si j'ai assez de vigueur dans les jambes.  

HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Lamiel,  1842, page 81. 

Ø 2. Je dis, mon cher Monsieur Péponet, que si vous avez jugé à propos d'agréer ce jeune homme pour gendre, ça n'a été sans doute qu'après y avoir mûrement réfléchi?

THÉODORE BARRIÈRE, ERNEST CAPENDU, Les Faux bonshommes,  1856, II, 10, pages 77-78. 

Ø 3. Elle entre, du premier instant elle sourit aux enfants, ils lui sourient, elle va d'un côté, de l'autre, elle les agrée, ils l'agréent. Je me disais; si quelqu'un a mérité la dénomination d'institutrice publique, c'est bien celle-là.

LÉON FRAPIÉ, La Maternelle,  1904, page 203. 

Ø 4. En nous agréant tous les deux dans son personnel technique Baryton faisait une bonne acquisition puisque nous lui avions apporté non seulement tout notre dévouement de chaque heure, mais encore de la distraction et ces échos d'aventures dont il était friand et sevré.

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Voyage au bout de la nuit,  1932, page 514. 

b) [L'objet est un inanimé]  Accueillir favorablement, accepter : 

Ø 5. —  Mon cher oncle, reprit Charles en le regardant d'un air inquiet, comme s'il eût craint de blesser sa susceptibilité, ma cousine et ma tante ont bien voulu accepter un faible souvenir de moi; veuillez à votre tour agréer des boutons de manche qui me deviennent inutiles : ils vous rappelleront un pauvre garçon qui, loin de vous, pensera certes à ceux qui désormais seront toute sa famille.

HONORÉ DE BALZAC, Eugénie Grandet,  1834, page 173. 

Ø 6. Et ma bonne tante ajoutait : « Demande-la toujours en mariage; on trouvera peut-être moyen de te tirer d'affaire, en discutant les conditions du contrat. » Cette perspective me soulagea. Et je consentis à écrire ma demande. Une heure après je repartais pour Paris. Je fus avisé le lendemain que ma demande était agréée. 

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Ma femme, 1882, page 672. 

Ø 7. Jacques, devenu le confident de leurs projets, l'était aussi des découragements que ces coeurs fervents rapportaient de Paris, quand ils avaient tenté sans succès de faire agréer leurs vues dans les bureaux.

EUGÈNE MELCHIOR, VICOMTE DE VOGÜÉ, Les Morts qui parlent,  1899, page 259. 

Ø 8. Pauline, elle, s'estimait en âge d'agréer les empressements des messieurs, sans se demander si son papa la trouvait assez bien formée, assez grande fille. Certainement elle avait besoin d'être surveillée par sa soeur et de plus près encore que ne le pensait M. Grange.

HENRI POURRAT, Gaspard des Montagnes, Le Pavillon des amourettes, 1930, page 150. 

Ø 9. Nos littérateurs arguent encore de ce que la science, avant d'atteindre à la netteté de l'idée, commence par l'accepter confuse. Ils omettent qu'elle n'agrée cette confusion qu'avec l'intention d'en sortir et que celui qui s'installe systématiquement dans l'idée exempte de netteté —  dans l'« inquiétude » —  avec la résolution d'y rester se pose essentiellement contre la science.

JULIEN BENDA, La France byzantine ou le Triomphe de la littérature pure.  1945, page 19. 

2. [Avec une idée de soumission de la part du demandeur, de condescendance de la part de celui qui agrée] 

a) Dans la langue religieuse.  [En parlant de Dieu ou des dieux]  Confer supra emplois a et b : 

Ø 10. Pendant la nuit qui précédait ce jour, il veillait, en plein air, les yeux fixés au ciel, observant les signes que les dieux envoyaient, en même temps qu'il prononçait mentalement le nom de quelques candidats à la magistrature. Si les présages étaient favorables, c'est que les dieux agréaient ces candidats.

NUMA-DENIS FUSTEL DE COULANGES, La Cité antique,  1864, page 232. 

Ø 11. Et les prêtres remplirent les églises d'un nuage de fumée, et dirent au peuple : « Nous prions pour vous; et Dieu agrée notre encens et bénit vos armes... »

CONSTANTIN-FRANÇOIS CHASSBOEUF, COMTE DE VOLNEY, Les Ruines ou Méditations sur les révolutions des empires,  1791, page 83. 

Ø 12. L'île aimait mieux que le recteur de Lescoff accueillît tout de suite le cercueil de François. C'était bel et bien un vrai prêtre, et une absoute donnée par lui, Dieu l'agréerait dans son ciel!

HENRI QUEFFÉLEC, Un Recteur de l'île de Sein,  1944, page 219. 

b) [Dans les relations sociales] :

Ø 13. —  Il faut agréer, Mr Arthur Rance, pour tout ce qui vient de se passer, toutes mes excuses...

GASTON LEROUX, Le Parfum de la dame en noir,  1908, pages 119-120. 

c) [Dans le style épistolaire, par égard pour le destinataire considéré par convention comme ayant le pouvoir de refuser]  Agréez, veuillez agréer + substantif abstrait.  Formule de politesse employée à la fin d'une lettre : 

Ø 14. J'userai aussi de toutes les permissions que vous me donnez, en homme bien convaincu de vos bontés. Agréez, Monsieur le commandeur, l'hommage d'un coeur reconnaissant, et l'assurance du respectueux attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monsieur le commandeur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

GABRIEL SÉNAC DE MEILHAN, L'Émigré,  1797, page 1647. 

Ø 15. C'est une lettre de la couturière : « Madame, nous avons l'honneur de vous remettre votre facture dans notre maison, en prenant la liberté de vous faire remarquer qu'elle dépasse le chiffre ordinaire de nos crédits. Notre caissier aura l'honneur de se présenter chez vous demain. Agréez, Madame, nos respectueuses salutations. »

HENRY BECQUE, Les Corbeaux,  1882, II, 2, page 147. 

Ø 16. Mais, comme je ne saurais modifier l'esprit de mon cours, et que je tiens essentiellement à me présenter devant mes élèves tel que je suis, en homme libre qui s'adresse à des intelligences libres, je ne vois d'autre solution que de vous donner ma démission.

Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'assurance de mes sentiments distingués.

ROGER MARTIN DU GARD, Jean Barois,  1913, page 297. 

Remarque : Même dans ces formules, agréer reste senti comme un mot vivant; d'où la possibilité d'en jouer avec ironie : 

Ø 17. Je veux bien agréer, selon votre désir, l'assurance de votre dévouement sincère, mais je veux bien aussi que le diable m'emporte si je devine le secret de m'en servir.

LÉON BLOY, Journal,  1893, page 95. 

d) Agréer que + subjonctif (plus rarement, avec un conditionnel).  Trouver bon que : 

Ø 18. Elle avait pourtant voulu revenir à pied, mais pour me faire agréer qu'elle n'irait pas le lendemain au Collège de France. La convenance le voulait ainsi, et pourtant la chose me fut très amère.

JULES MICHELET, Journal,  février 1849, page 19. 

Ø 19. On prie humblement ceux que la divine providence conduira dans ce monastère d'agréer qu'on les avertisse des choses suivantes;...

GEORGES-CHARLES, DIT JORIS-KARL HUYSMANS, En route, tome 2, 1895, page 77. 

Ø 20. Certes j'agrée que si je passe tu t'agenouilles car ainsi vont les choses, et la sève de la racine vers le feuillage.

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Citadelle,  1944, pages 741-742. 

Ø 21. Et moi je veux vous donner une pareille marque de confiance, et je vous supplie d'agréer que je me confesse à vous. Vous vouliez savoir jusqu'où j'étais pécheur. Vous le saurez.

HENRI DE MONTHERLANT, Malatesta,  1946, II, 5, page 479. 

3. Spécialement.  [Domaines du droit, de l'administration, de la diplomatie] 

a) Vieux.  [L'agent qui agrée est un particulier accomplissant un acte ayant valeur juridique]  Accepter définitivement quelque chose (confer agréeur1) : 

Ø 22. 1587. À l'égard du vin, de l'huile, et des autres choses que l'on est dans l'usage de goûter avant d'en faire l'achat, il n'y a point de vente tant que l'acheteur ne les a pas goûtées et agréées.

Code civil des Français (ou Code Napoléon)  1804, page 293. 

b) [L'agent qui agrée est une autorité politique ou administrative, explicite ou implicite] 

—   [Ce qui est approuvé est une disposition légale, administrative, etc.] :

Ø 23. La convention fut agréée par les princes et enregistrée au Parlement en solennel lit de justice.

PROSPER DE BARANTE, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois, tome 1, 1821-1824, page 194. 

Ø 24. Je remercie enfin Monsieur le Ministre de l'Éducation Nationale d'avoir agréé la transformation de cette chaire comme d'avoir proposé à Monsieur le Président de la République le décret de ma nomination.

PAUL VALÉRY, Variété V,  1944, page 298. 

Ø 25. Le ministère des Transports a également agréé certains « produits réflecteurs » dont une promenade expérimentale dans les environs de Rambouillet nous a confirmé l'efficacité.

Panneaux signalisateurs, Le Figaro.  19-20 janvier 1952, page 1, colonne 5. 

Ø 26. Enfin, si j'étais désireux de renouveler et de préciser, quelque jour l'alliance de fait qui unissait Français et Anglais, je ne voulais l'entreprendre qu'après avoir réglé avec Londres des questions fondamentales : sort de l'Allemagne, Rhin, Orient, etc., sur lesquelles l'accord n'existait pas. Bref, nous n'agréions pas le projet d'un pacte tripartite.

CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, Le Salut, 1959, page 68. 

—  Par métonymie.  [Ce qui est approuvé est une personne]  Être agréé pour un marché : 

Ø 27. —  Je vous citerai de jolies exceptions... Mais d'abord, moi, je ne suis pas un intermédiaire. Vous pourriez répondre que j'ai déjà été agréé pour un marché de cent mille grenades comme fabricant et que j'ai livré à votre entière satisfaction, je crois?

LOUIS FARIGOULE, DIT JULES ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, Verdun, 1938, page 155. 

B.—  Emploi intransitif.  Être trouvé au gré de quelqu'un, lui plaire. 

1. [Avec un complément indirect, le plus souvent pronominal atone, de la personne qui éprouve l'agrément] 

a) Agréer à quelqu'un..  Convenir, être agréable à quelqu'un. 

—  Rare.  [Le sujet désigne une personne] :

Ø 28. Au lieu de cela, je songe tout éveillé. Je rêve qu'elle me connaît, qu'elle me sourit, que je lui agrée; ou bien, cherchant les voies et moyens de lui être quelque chose, je la rencontre, je voyage avec elle, je la protège, je la défends, je la sauve entre mes bras;...

RODOLPHE TOEPFFER, Nouvelles genevoises, La Bibliothèque de mon oncle, 1839, page 141. 

Ø 29. —  Vous n'avez ni père, ni mari, ni amant, dit Vallombreuse, qui se puisse opposer à ce qu'un galant homme vous recherche et tâche de vous agréer. Mes hommages ne sont pas une insulte.

THÉOPHILE GAUTIER, Le Capitaine Fracasse,  1863, page 337. 

—   [Le sujet est un inanimé concret ou abstrait] :

Ø 30. Grand merci, monsieur, de vos bons avis. Je suis enchanté que mon petit cadeau vous agrée. Je n'ai point eu d'autre dessein que de plaire aux gens comme vous.

PAUL-LOUIS COURIER, Lettres de France et d'Italie,  1810, page 837. 

Ø 31. Si ma proposition ne vous agrée pas, gardez-moi le secret; si elle vous convient, adressez-moi votre réponse rue Sainte-Avoye, hôtel d'Asnières, vis-à-vis les Droits-Réunis, où j'ai l'honneur d'être, etc.

VICTOR-JOSEPH ÉTIENNE, DIT DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, tome 1, 1811, page 154. 

Ø 32. Va-t-en, voyage, vois tout, entends tout, effleure tout, goûte de tout, et si dans ta course tu n'as rien trouvé qui t'allèche, pas de ciel qui t'agrée, pas d'être qui te charme et t'attache, si tu n'as pas trouvé une plage belle où déployer ta tente, reviens;...

PETRUS BOREL, Champavert, les contes immoraux, Passereau, l'écolier, 1833, page 186. 

Ø 33.... tant qu'on n'attente point à sa vie, et qu'on n'en veut qu'à son honneur, elle est débonnaire. Un gouvernement de ce caractère m'agrée et me rassure. Tant d'autres furent impitoyables par amour-propre!

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, L'Orme du mail, tome 2, 1897, page 155. 

Ø 34. On n'a le peuple avec soi que quand on lui apporte des paroles de vie simple, claire, vigoureuse, et certaine. Il aime mieux un robuste mensonge qu'une vérité anémique. Le scepticisme ne lui agrée que lorsqu'il recouvre quelque bon gros naturalisme, ou quelque idolâtrie chrétienne.

ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, Dans la maison, 1909, page 978. 

Ø 35. Malheur au dindonneau inattentif au gloussement d'alerte de la dinde, trop lent à se blottir sous son aile! et encore au caneton s'ébattant sur une eau solitaire, et aussi à la petite pintade, soeur des perdrix, toujours en partance vers quelque taillis, quelque chaume isolé, dont le fumet de demi-gibier lui agrée plus particulièrement.

JOSEPH DE PESQUIDOUX, Chez nous, tome 2, 1923, page 186. 

Ø 36. Je suis sensible à votre hâte, mon cousin. Elle m'agrée beaucoup, beaucoup.

JACQUES AUDIBERTI, Le Mal court,  1947, II, page 154. 

b) Il m'agrée que, de..  Il me plaît que, de : 

Ø 37. J'ai encore ce malheur, ce grand malheur, de porter le mépris le plus absolu et la haine la plus franche à cette partie de l'Europe où je suis né. Il ne m'agrée pas de voir un peuple jadis si grand, désormais couché sur le sol, impotent, paralysé, à moitié pourri, se décomposant, livré aux niaiseries, aux misères, aux méchancetés, aux férocités, aux lâchetés, aux défaillances d'une enfance sénile, et propre à rien, sauf à mourir, ce que je lui souhaite sincèrement, afin qu'il tombe hors du déshonneur où il se vautre en ricanant d'imbécillité.

JOSEPH ARTHUR COMTE DE GOBINEAU, Les Pléiades,  1874, page 200. 

Ø 38. Si je n'avais pas le temps d'écrire ce chapitre de façon qui me satisfît, je pourrais parfaitement donner des parties de mon cours sur Tchekhov; ou si cela même ne me convenait pas, ma méditation sur Marius dont il m'agréerait qu'elle parût dans un périodique dirigé par moi.

CHARLES DU BOS, Journal,  septembre 1924, page 167. 

2. Rare, emploi absolu.  Plaire : 

Ø 39. La vie est un mets qui n'agrée que par la sauce.

VICTOR HUGO, Le Rhin,  1842, page 18. 

Ø 40. Allons, c'est décidé, tu feras plus de frais pour plaire, pour agréer; tu seras plus gentil et un petit brin plus homme de cour.

HENRI-FRÉDÉRIC AMIEL, Journal intime,  4 juin 1866, page 308. 

Ø 41. Augustin suggéra la reprise des conférences d'exégèse, commencées autrefois par le vieil aumônier du lycée. Mais le sujet agréa peu.

JOSEPH MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, tome 1, 1933, page 244. 

Ø 42. Voici plus grave encore. Le nouvel art de plaire est un art d'agréer pour subjuguer. Il y a un charme de réciprocité sympathique qui doit être soigneusement distingué du charme irréversible et agressif des magiciens;...

VLADIMIR JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, page 10.