Définition: BOURGEOIS, -OISE, substantif et adjectif.

Définition: BOURGEOIS, -OISE, substantif et adjectif. I.— Substantif. A.— FÉODALITÉ. 1. [Au Moyen Âge] Libre habitant d'une ville, jouissant de certains privilèges. Les bourgeois de Calais : Ø 1. Il n'y a guère, messieurs, que deux sources d'où puissent découler, dans la sphère politique, la grandeur de l'ambition et la fermeté de la pensée. Il faut avoir ou le sentiment d'une grande importance, d'un grand pouvoir exercé sur la destinée des autres, et dans un vaste horizon; ou bien il faut porter en soi un sentiment énergique d'une complète indépendance individuelle, la certitude de sa propre liberté, la conscience d'une destinée étrangère à toute autre volonté que celle de l'homme lui-même. (...). Ni l'une ni l'autre de ces conditions ne s'est rencontrée dans la situation des bourgeois du moyen âge. Ils n'étaient, vous venez de le voir, importans que pour eux-mêmes; ils n'exerçaient, hors de leur ville et sur l'état en général, aucune grande influence. FRANÇOIS GUIZOT, Histoire générale de la civilisation en Europe depuis la chute de l'Empire romain jusqu'à la Révolution française, 1828, page 32. — Par extension. a) Citoyen d'une ville. Des riches et honorables bourgeois. b) Helvétisme. Personne qui possède le droit de cité communal. Une commune ne traite pas toujours identiquement ses bourgeois et les autres citoyens du canton (JEAN-FRANÇOIS AUBERT, Traité de droit constitutionnel suisse, Neuchâtel, tome 1, 1967, page 371 ). · Titre honorifique. La ville de Vienne décernait à Beethoven le titre de bourgeois honoraire (JACQUES-GABRIEL PROD'HOMME, Les Symphonies de Beethoven, 1921, page 363) : Ø 2. Ils [les compagnons Imprimeurs] aimaient à se faire donner le titre de bourgeois de Paris, dont ils se distinguaient peu d'ailleurs en public par leur mise toujours soignée. LOUIS RADIGUER, Maîtres imprimeurs et ouvriers typographes (1470-1903), 1903, page 100. 2. [Sous l'Ancien Régime] Personne appartenant à la classe supérieure du tiers état (par opposition aux membres de la noblesse, du clergé et à l'homme du peuple) : Ø 3. C'était plus que la mort de son fils qu'il déplorait, c'était la mort de sa maison : une douleur inconnue aux bourgeois et aux manants. THÉOPHILE GAUTIER, Le Capitaine Fracasse, 1863, page 431. Ø 4. Bien des gens ont raconté l'histoire de la grande révolution du peuple et des bourgeois contre les nobles, en 1789. C'étaient des savants, des hommes d'esprit, qui regardaient les choses d'en haut. Moi, je suis un vieux paysan et je parlerai seulement de nos affaires. ÉMILE ERCKMANN ET ALEXANDRE CHATRIAN, DITS ERCKMANN-CHATRIAN, Histoire d'un paysan, tome 1, 1870, page 5. — [Par allusion à la comédie de Molière] Guitry, dans une longue robe de chambre à fleurs, ressemble au bourgeois gentilhomme (JULES RENARD, Journal, 1901, page 640) : Ø 5.... parfois l'on est stupéfait, tout au contraire du bourgeois gentilhomme, de voir un ordre bref devenir une très longue phrase, tout un discours. ANDRÉ GIDE, Le Retour du Tchad, 1928, page 933. B.— Usuel. Personne appartenant à la classe moyenne et dirigeante, n'exerçant aucun métier manuel et jouissant d'une situation aisée (par opposition au monde ouvrier ou paysan). Grand, gros bourgeois. Nous nous asseyions pour causer, nous mettant comme des bourgeois endimanchés en manches de chemise (EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, 1860, page 690 ); Vichy est peuplé de Rouennais et d'une quantité de bourgeois ignobles (GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance, 1863, page 96 ); une sagesse d'économe bourgeois lorrain (JACQUES-ÉMILE BLANCHE, Mes modèles, 1928, page 27) : Ø 6. On voit des familles entières de bourgeois et d'artisans qui partent à cinq heures du soir pour aller au Prater faire un goûter champêtre aussi substantiel que le dîner d'un autre pays, et l'argent qu'ils peuvent dépenser là prouve assez combien ils sont laborieux et doucement gouvernés. GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, De l'Allemagne, tome 1, 1810, page 120. Ø 7. Ils [Étienne, Rasseneur et Souvarine] parlaient l'un après l'autre, d'une voix désolée, et les doléances commencèrent. L'ouvrier ne pouvait pas tenir le coup, la révolution n'avait fait qu'aggraver ses misères, c'étaient les bourgeois qui s'engraissaient depuis 89, si goulûment qu'ils ne lui laissaient même pas le fond des plats à torcher. ÉMILE ZOLA, Germinal, 1885, page 1256. · Petit bourgeois, petite bourgeoise. Cette affreuse petite bourgeoise empâtée (HENRI DE MONTHERLANT, Le Démon du bien, page 1346) : Ø 8. Le marchand de Québec pensait que la France est un pays riche en églises, pauvre en baptêmes, et qui, par de petits bourgeois trop mesquins dans le détail et trop larges dans leurs vues, dirigeait depuis six ans l'Europe avec honnêteté et non sans honneur. JEAN GIRAUDOUX, Siegfried et le Limousin, 1922, page 142. 1. En particulier, péjoratif. [Le bourgeois considéré dans son caractère, sa conduite, etc.] Personne soucieuse de sa tranquillité et de son bien-être, dépourvue de grandeur d'âme et d'ouverture d'esprit. Des bourgeois étroits, précautionneux, trembleurs. Le bourgeois de Florence est plus mouton que celui de Paris (HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, De l'Amour, 1822, page 290 ); le bourgeois est avare, la bourgeoisie est prude (VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 2, 1862, page 616 ); c'est une de ces respectables bourgeoises à vices secrets et à principes inflexibles (GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Le Remplaçant, 1883, page 867) : Ø 9.... (Scribe et Capus, vos grands hommes parisiens, les artistes dont est digne votre société de bourgeois jouisseurs, hypocrites, enfantins, trop lâches pour oser regarder en face leur bassesse)... ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, Dans la maison, 1909, page 1009. · Effaroucher, épouvanter le(s) bourgeois; épater le(s) bourgeois. Terrifie les bourgeois par tes extravagances (GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance, 1858, page 273) : Ø 10.... pourquoi vous butez-vous à une chose que vous-même reconnaissez être absurde? (...) — C'est absolument pour épater le bourgeois! EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, 1879, page 27. Ø 11.... un critique épateur de bourgeois et dont les éreintements ou les magnificats semblent tirés au hasard dans un chapeau;... EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, 1889, page 964. · Traiter quelqu'un de bourgeois : Ø 12.... « Mais Laforgue, tu sais, on le méconnaît; c'est avant tout un ironiste », de l'air d'avoir trouvé que que chose! Et toi qui le traite [s] de bourgeois et de pleurnichard dans les lettres à sa soeur! JACQUES RIVIÈRE, Correspondance [avec Alain-Fournier] , 1906, page 248. — Domaine esthétique. Personne à l'esprit terre-à-terre, qui n'entend rien ou peu aux choses de l'art. Aux yeux des bourgeois la caricature fait beauté (HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, La Chartreuse de Parme, 1839, page 240) : Ø 13. Dans tout homme qui tient une plume (...) le bourgeois voit un inutile; dans chaque bourgeois, l'homme de lettres un ennemi. JULES VALLÈS, Le Réfractaire, 1865, page 111. 2. Spécialement. a) Vieux, populaire. Patron d'un apprenti, d'un domestique, etc. Comme le cocher demandait : « Où faut-il aller, bourgeois? » il répondit : « Où vous voudrez » (GUY DE MAUPASSANT, Bel-Ami, 1885, page 112) : Ø 14. [La fille :] Vous êtes ouvrier (...) quelqu'un peut dire à votre bourgeois qu'on vous a rencontré avec moi (...). Les maîtres n'aiment pas que leurs ouvriers se dérangent (...) [L'ouvrier :] Mon bourgeois ne demeure pas dans ce quartier. EUGÈNE SUE, Les Mystères de Paris, tome 1, 1842-43, page 152. — Maître de maison : Ø 15.... remplacer un jour la tante, qui était mortelle, et (...) devenir le vrai maître dans cette maison où il n'y avait rien à faire, et où le bourgeois passait pour être coulant, tel fut immédiatement son plan... EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Soeur Philomène, 1861, page 85. — Au féminin. Maîtresse de maison; par extension, femme, épouse : Ø 16. Vous avez vu la bourgeoise : elle n'est pas commode, (...) pour m'empêcher de sortir, elle (...) ne me laisse que des hardes trop usées pour la ville... GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Les Dimanches d'un Bourgeois de Paris, 1880, page 296. Ø 17. «... je vais mettre ma queue de morue et je reviens. Je vais faire dire à ma bourgeoise [Mme. de Guermantes] que vous l'attendez tous les deux » MARCEL PROUST, Le Côté de Guermantes 2, 1921, page 580. b) Argot. [Par opposition au truand] Celui qui n'appartient pas au " milieu ". 3. [En parlant de militaires, ecclésiastiques, etc.] (Être habillé) en bourgeois. Habillé comme un bourgeois. Policier, flic en bourgeois; officier en bourgeois. Leuwen vola chez lui, revint habillé en bourgeois (HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Lucien Leuwen, tome 2, 1836, page 217 ); un gendarme habillé en bourgeois l'accosta dans la rue (HONORÉ DE BALZAC, Splendeurs et misères des courtisanes, 1847, page 173 ); j'en ai connu, des prêtres, qui s'habillaient en bourgeois pour aller voir gigoter des danseuses (GUSTAVE FLAUBERT, Madame Bovary, tome 2, 1857, page 61 ). II.— Adjectif. A.— Qui est relatif, qui est propre aux bourgeois; qui est typique de la classe des bourgeois. Classe, société bourgeoise. L'horreur des bourgeois est bourgeoise (JULES RENARD, Journal, 1889, page 24 ); l'athéisme est un produit de la décadence bourgeoise (JACQUES MARITAIN. Humanisme intégral, problèmes temporels et spirituels d'une nouvelle chrétienté, 1936, page 74 ); grand-père m'avait élevé dans le respect de la démocratie bourgeoise (JEAN-PAUL SARTRE, Les Mots, 1964, page 147) : Ø 18. — L'énormité du risque, prononça-t-il, n'empêchera sûrement pas la société bourgeoise de faire encore la guerre. Et la guerre nous délivrera de la société bourgeoise. Pas d'autre solution. Il n'y aura de paix que dans l'ordre socialiste. GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Vue de la Terre promise, 1934, page 127. Ø 19.... le caractère sacré du travail manuel est une trouvaille purement et spécifiquement bourgeoise. HENRI DE MONTHERLANT, Les Célibataires, 1934, page 809. Ø 20. Un contre tous : c'était ma règle; qu'on cherche la source de cette rêverie morne et grandiose dans l'individualisme bourgeois et puritain de mon entourage. JEAN-PAUL SARTRE, Les Mots, 1964, page 122. SYNTAXE : a) L'éducation bourgeoise, les moeurs bourgeoises; une maison d'aspect bourgeois; b) L'humanisme, le libéralisme bourgeois; la culture, l'idéologie, la philosophie, la révolution bourgeoise. 1. Spécialement. — Vieux, populaire. Caution bourgeoise. Caution solvable. Comédie bourgeoise. Jouée par des amateurs. — Courant. Cuisine bourgeoise. Cuisine saine, simple et de bonne qualité. Pension* bourgeoise. 2. GASTRONOMIE. À la bourgeoise. Accompagné d'une garniture composée de carottes, de petits oignons et de gros dés de lard maigre. Du veau à la bourgeoise. 3. Helvétisme (principalement dans le Jura bernois). Qui se rapporte au corps des personnes qui ont le droit de cité dans une commune. Publications des autorités communales, bourgeoises et paroissiales (Feuille officielle du Jura bernois. 6 juillet 1974, page 522 ); famille bourgeoise (Feuille des avis officiels du canton de Vaud. 29 octobre 1974, page 2726 ). B.— Péjoratif (confer supra B 1) 1. Qui manque de grandeur d'âme par souci excessif de la sécurité et de la réussite matérielles. Tout ce qui est bas et plat dans le genre bourgeois me rappelle Grenoble (HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Vie de Henry Brulard, tome 1, 1836, page 111 ); une société boutiquière et bourgeoise (VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 1, 1862, page 519 ); tant d'indifférence aux malheurs de la patrie avait quelque chose de mesquin et de bourgeois (GUSTAVE FLAUBERT, L'Éducation sentimentale, tome 2, 1869, page 166) : Ø 21. Admirable, [Racine] sans doute, pour avoir rendu poétiques les sentiments les plus bourgeois et les passions les plus médiocres,... JOSEPH JOUBERT, Pensées, tome 2, 1824, page 208. Ø 22.... aussi (...) est-elle devenue [la noblesse] économe, sage, prévoyante, enfin bourgeoise et sans grandeur. HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette, 1846, page 126. Ø 23.... on sentait que Lucie hésitait entre ses aspirations bourgeoises, ses prétentions intellectuelles, et son propre goût qui, malgré son bon goût réputé, était vulgaire. SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, page 342. · Emploi comme substantif, vieilli. Du dernier bourgeois. Très vulgaire. Me feriez-vous l'honneur d'être jalouse? Prenez garde, ma chère, ce sentiment est du dernier bourgeois (GUILLAUME-VICTOR-ÉMILE, DIT ÉMILE AUGIER, Le Gendre de Monsieur Poirier, 1854, II, page 264) : Ø 24.... être à l'aise est (...) un souhait du dernier bourgeois. Il n'y a que des niais qui puissent prôner si fort le régime de la poule au pot. ERNEST RENAN, L'Avenir de la science, 1890, page 428. — Domaine esthétique. Qui traduit les travers, les sentiments peu élevés, etc. (considérés comme caractéristiques) des bourgeois. Le drame bourgeois, la comédie bourgeoise : Ø 25. À cette époque, dans l'art coquet, libertin et spirituel du dix-huitième siècle (...) apparaît un élément nouveau, l'élément sentimental et bourgeois. THÉOPHILE GAUTIER, Guide de l'amateur au Musée du Louvre, 1872, page 184. Ø 26. Ce n'était que la découverte d'une nouvelle méthode de travail de la matière, et quand trente ans plus tard, le roman bourgeois classique fut formé, on s'aperçut que les sentiments qu'il décrivait : avidité, avarice, envie, jalousie, amour-propre, vanité, etc., n'étaient pas le propre du tiers-état, mais étaient seulement montrés par lui avec un peu plus de franchise. Arts et littérature dans la société contemporaine (direction Pierre Abraham) 1936, page 5405. 2. Qui fait preuve d'un conservatisme étroit : Ø 27. La majorité est de mauvaise humeur. Le discours de Thiers contre lequel elle a voté lui a plu au fond (...) parce que la Chambre est bourgeoise et arriérée. PROSPER MÉRIMÉE, Lettres à la comtesse de Montijo, tome 2, 1870, page 317. Remarque : On rencontre dans la documentation le néologisme d'auteur bourgeoisifié, ée, adjectif [En parlant d'une personne ou d'une chose] Qui se donne ou reflète un caractère ou une allure de bourgeois. Un paysan bourgeoisifié (Edmond et JULES DE GONCOURT, Journal, 1865, page 126); une salle à manger bourgeoisifiée (IDEM, ibidem, 1856, page 284). STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 6 666. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 7 121, b) 14 075; XXe. siècle : a) 12 050, b) 7 483.