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« Avant-propos » à L'espèce humaine, Robert Antelme

Publié le 23/09/2012

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Dans son « Avant-propos « à L'espèce humaine, Robert Antelme évoque le retour des camps et le problème de la parole, « le désir frénétique de dire [notre expérience] telle quelle «. Or ce discours de témoignage ne rencontre pas d'auditoire : « On nous dit, écrit-il, que notre apparence physique était assez éloquente à elle seule. «4 Et il poursuit en écrivant ceci, qui nous met directement en contact ave...

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« l’aspectualisation, au-delà du jeu d’homonymie sur le terme « interdit », nous met déjà sur la voie du semi-symbolisme.

La modalité, qui projette sa structure d’actants, nous installe dans l’immanence du plan du contenu d’un discours.

L’aspectualité, pour sa part, implique dans sa définition un sujet en prise sensible avec ses énoncés et met du jeu dans la relation entre les plans de l’expression et du contenu simultanément actualisés : condition première du semi-symbolisme. Dans le même ouvrage, Jacques Rancière pose d’une autre manière le problème de l’irreprésentable.

Que veut-on dire quand on affirme que des événements, des êtres ou des situations sont irreprésentables ? Cela peut signifier, en première approche, qu’on ne peut « trouver un représentant de [leur] absence à la mesure de ce qu’il*s sont+ », qu’on ne peut trouver « un schème d’intelligibilité à la mesure de [leur] puissance sensible » 9 .

Problème qui relève en quelque sorte de la maîtrise du discours… Mais Rancière va plus loin en se demandant si cet échec ne tient pas à la nature même des moyens de l’expression et de la représentation, c’est-à-dire à la réalité symbolique des langages et aux conditions de leur impérieuse scénographie. En sollicitant librement les propositions de l’auteur, nous pouvons retenir trois propriétés de cette réalité symbolique scénographiée, propriétés qui impliquent par leur nature même la « distance » impossible à combler dont parlait Antelme, « entre le langage dont nous disposions et cette expérience que (…) nous étions en train de poursuivre dans notre corps ».

La première propriété est celle d’un excès de présence de toute mise en scène, en image ou en récit, qui ne peut que sélectionner des traits et du même coup, en les isolant, intensifier des caractères dans l’événement et occulter corrélativement d’autres traits.

Ce faisant, la représentation prend acte de son impossible présentation sensible intégrale et la soumet alors aux manipulations du langage propres à la rhétorique, comprise comme une discipline de l’inadéquation aux choses mêmes, entre intensification et atténuation, entre excès de présence et réalité de l’absence 10 .

La deuxième propriété, associée à cette présence matérielle de la sémiosis qui impose son illusion de mimesis, est l’ affaiblissement de la chose représentée qui perd son poids d’existence et, à l’instar du roman, tend à se fictionnaliser et à s’irréaliser dans sa présentation à proportion que cette dernière s’intensifie.

Entre cet excès et ce défaut, la troisième propriété concerne la réception, le pathos de l’auditoire à qui l’expression artistique, ou même documentaire, fait éprouver des sentiments et des émotions, entre curiosité et plaisir, entre distanciation et peur contrôlée, incompatibles avec le statut de l’expérience ainsi excessivement et imparfaitement restituée. Comprise de cette manière, la représentation procède d’un paradoxe constitutif : « excès de présence » de la représentation en vertu de ses lois d’immanence et d’autonomie symbolique, « soustraction d’existence » de l’expérience qui du même coup s’absente, fait « ab-sens », et enfin « incompatibilité des affects » entre perception de l’expérience et perception de la représentation.

On est dans le régime du simulacre comme le définit Greimas : condamnation au paraître illusoire du sens, soumission à son « écran de fumée ».

Or, Antelme nous semble résoudre, au moins en partie, ce paradoxe dans son récit, très précisément parce qu’il façonne l’écriture de manière à resserrer les relations entre ces trois propriétés disjonctives : il affaiblit l’excès de présence du langage, il intensifie le poids d’existence de la chose représentée, et il transfère le pathos du lecteur d’un registre esthétique à un registre. »

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