Boubouroche
Publié le 30/03/2013
Extrait du document
«
.---- --- ---- EXTRAITS
L'incroyable révélation d'un inconnu
LE MONSIEUR.
-...
Depuis huit ans,j' ai pour
voisine de palier cette personne que, naïve
ment, vous ne craignez pas d'appeler votre
« amie » ; depuis huit ans, invisible au-
diteur,
je prends, à travers la cloison
f·.l~"· ..
·· ....
·· . ..
q .
ui sépare nos deux l_o~en:ents, !,.
;.
./ ma part de vos v1c1ss1tudes
_, .-: 1,, :{ ; .
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.
, amoureu~es ; depuis huit
.
..
, i{ ,P:," .,,,, .
,,,,. c · ans, 1e vous entends
.:.-,··· ·.
.;:;~ aller et venir, rire, ./ :..'I'( causer, chanter
:: .
< « Le Forgeron de la
.
'.', .
paix » avec cette
..
'· ~· belle fausseté de
~~ ..
..··.
voix qui est l'indice
": ..
:, .
des consciences '-.: ""· , calmes, cirer le
«Un homme
était là! ••• »
parquet, remonter
la pendule, et vous
plaindre (non sans
aigreur) de la
cherté du poisson :
car vous êtes homme
d~ ménage et volontiers
vous faites votre marché vous-même.
C'est
exact?
BOUBOUROCHE.
-Rigoureusement.
LE MONSIEUR.
-Depuis huit ans, je m' asso
cie à vos joies et à vos misères, compatis
sant à celles-ci et applaudissant à celles-là,
admirant votre humeur égale dans
la bonne
comme dans la mauvaise fortune et l'infinie
grandeur d'âme qui vous porte à ne pas ca
lotter votre
« amie » chaque fois qu'elle l'a
mérité.
Eh bien! monsieur.
..
-Ici je réclame
de vous un redoublement d'attention
...
-de
ces huit ans, pas
un jour ne s'est écoulé qui
n'ait été pour votre « amie » /'occasion
d'une petite canaillerie nouvelle ; pas un
soir, vous ne vous êtes couché qu' excellem
ment jobardé et cocufié comme il convient;
pas une fois, vous ne franchîtes le seuil du
modeste logement
payé de vos écus où
s'abritent vos plus chers espoirs, qu'un
homme -vous entendez bien ? - n'y fût
caché.
BOUBOUROCHE (qui bondit).
- Un homme!
LE MONSIEUR.
-Oui, un homme .
.
BOUBOUROCHE.
-Quel homme?
LE MONSIEUR.
-Un homme dont j'entends la
voix quand vous n'êtes pas arrivé, et les
rires quand vous êtes parti.
La rouerie d'une fille d'Ève
ADÈLE.
- ...
Ça ne fait rien ; les apparences
sont contre moi et
je ne saurais t'en vouloir
de la faiblesse d'âme qui te pousse à t'en re
mettre à elles, en aveugle.
Si tu ne l'avais,
tu ne serais pas homme.
BOUBOUROCHE.
-C'est possible, mais moi je
dis une chose ; c'est que cacher un
homme chez soi
n'est pas le fait
d'une honnête femme.
ADÈLE.
- Si je n'étais une hon
nête femme,
je ne ferais pas ce
que
je suis en train de
faire :
je ne sacrifierai
pas ma vie au respect
de la parole donnée, à
un secret d'où dépend,
seulement, l'honneur
d'une autre ! Inutile
de discuter ; nous ne
nous entendrons ja
mais -ce
sont là
de ces sentiments
féminins que les
hommes ne peuvent
pas · comprendre.
Séparons-nous ;
nous
n'avons plus
que cela à faire.
(Sa
voix se mouille) Je
ne te demande pas de m'embrasser, mais
je
voudrais que tu me donnes la main
(Boubouroche lui donne la main).
Sois heu
reux, voilà tout le mal que
je te souhaite ;
pardonne-moi celui que
j'ai pu te faire, car
je ne l'ai jamais fait exprès.
«Eh bien,
monsieur, elle vous
trompe.»
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Boubouroche est un très remarquable
épisode
à ajouter aux "Jocrisse" de l'amour.
L'exagération des traits y paraît de même
qualité que celle
des meilleures
bouffonneries classiques.
Boubouroche
n'est pas à proprement parler un vaudeville.
Ce serait plutôt, par la simplicité et la vérité
du sujet et par
je ne sais quel comique
élémentaire et puissant, quelque chose
comme l'équivalent moderne des farces de Molière.
Joignez
qu'on y trouve assez
souvent, dans la forme, quelque chose
comme l'équivalent du
style« burlesque»
du dix-septième siècle.» Jules Lemaître,
le Journal des débats, mai 1893.
«Je le répète, et c'est ma conviction, un
vrai auteur comique nous est né.
Sans
système préconisé par la réclame, sans
préface bruyante, sans ambition d'école,
avec modestie, un jeune homme nous a
véritablement donné -et il ne nous l'avait promise
que par des œuvres -une comédie
où la vie abonde.
On demandait des
"tranches" de vie? En voici une, saignante,
pantelante, et amusante.
M.
G.
Courteline,
avec
l'air de ne pas le faire exprès, a réalisé
ce que tant d'autres nous faisaient depuis si
longtemps espérer, sans le réaliser jamais.
Et 1 'avenir tiendra les promesses
d'aujourd'hui.»
Catulle Mendès, le Journal, mai 1893.
1 coll.
Viollet 2, 3, 4, 5 gravures de F.-L.
Gottlob, Calmann-Lévy, Paris, 1907 COURTELINE 03.
»
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