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Commentaire Littéraire - "chacun Sa Chimère", Charles Baudelaire

Publié le 05/12/2010

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baudelaire

C’est à la fin du XIX ème siècle qu’est apparu le symbolisme, mouvement littéraire dont l’un des buts est d’exercer un pouvoir évocateur et suggestif sur l’imaginaire du lecteur. L’un des grands auteurs de cette époque est Baudelaire, connu, entres autres, pour ses chroniques littéraires et artistiques ainsi que pour ses poèmes en prose. Le poème « Chacun sa chimère « fait partie de l’un de ses principaux recueils : Le Spleen de Paris, publié en 1862. Ce poème relate la rencontre du narrateur avec des hommes mystérieux portant des chimères.

Ce texte fantastique se déploie selon plusieurs mouvements : nous avons, d’une part, la description du paysage suivie de celle des chimères et d’autre part de courts passages de narration ou de réflexion du narrateur sur ce qu’il voit.

Mais quelle peut-être la symbolique de ce poème ?

Tout d’abord, nous étudierons la mise en place d’un décor caractéristique du spleen, puis nous verrons comment, grâce à ce récit allégorique, Baudelaire exprime sa vision des hommes et du poète.

 

Dans ce poème, nous pouvons observer que l’auteur nous décrit un décor étrange qui est, en fait, un puissant symbole du spleen. En effet, nous allons voir que la scène se déroule dans un monde complétement onirique, avec des lieux irréels et pendant un temps indéterminé.

Tout d’abord nous pouvons remarquer que le paysage est décrit une première fois, au tout début de poème. Il est, à ce moment, caractérisé par « un grand ciel gris « (vers 1) et « une grande plaine poudreuse « (vers 1), ce qui nous donne l’impression, avec la répétition de l’adjectif « grand «, d’être au milieu d’un endroit immense. Celle-ci est renforcée par la sensation de vide qui se crée avec la répétition de « sans « aux vers 2 et 3 : « sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie… «. Cette gradation met en évidence l’absence des hommes et de la végétation, même hostile. C’est donc un paysage de désolation, triste et fade, comme si nous étions dans un rêve. C’est le vide, le néant qui domine dès le début. Au fil du texte, d’autres précisions sont apportées avec les expressions « coupole spleenétique du ciel « (vers 26) et « la poussière d’un sol aussi désolé que le ciel « (vers 27), qui font ressortir une grande mélancolie ainsi qu’une impression d’écrasement par le « poids « du ciel. Et à la fin du poème, l’auteur renforce la première impression d’un paysage immense en nous parlant des courbes et de « la surface arrondie de la planète « (vers 32). Finalement, l’auteur réussit à nous ancrer, dès le début, dans un paysage particulier et proche du néant.

De plus, les couleurs jouent un rôle important dans le monde imaginé ici. En effet, dès le début du poème, Baudelaire associe « un ciel gris « (vers 1) et « une plaine poudreuse « (vers 1). Puis, un peu plus loin, il fait allusion à « un sac de farine ou de charbon « (vers 7). La fusion du blanc farineux et du noir charbonneux nous donne comme couleur dominante un gris, semblable à celui du ciel. Par ailleurs, ce gris est retrouvé au niveau du sol, celui-ci étant « aussi désolé que le ciel « (vers 27). Il est, en d’autres termes, aussi terne que le ciel. Le gris est donc la couleur dominante de ce monde. 

Si on associe la poussière du sol à cette teinte mélancolique, nous obtenons un renforcement de la désolation et du vide exprimés auparavant. Mais ce monde onirique, symbole du spleen, est-il seulement caractérisé par un paysage fantastique et des couleurs exprimant le néant ?

Evidemment, nous pouvons ajouter que le manque de précisions concernant les lieux est un détail important du décor inventé par Baudelaire. En effet, ce dernier utilise tout au long du poème des articles indéfinis : « un «, « une « (vers 1), « aucun « (vers 25), lorsqu’il évoque l’endroit où se déroule la scène, ce qui rend toute localisation impossible. Même avec la description du paysage il nous manque des éléments géographiques afin de situer cet endroit. Nous avons ici un lieu représentatif de n’importe quel lieu, preuve flagrante que nous nous trouvons dans le rêve. Mais Baudelaire fait tout de même référence à quelques endroits symboliques qui lui sont chers, comme par exemple la « coupole « (vers 26) ou « l’horizon « (vers 31). Par ailleurs, l’indéfini se fait plus présent lorsque « plusieurs hommes « (vers 3) apparaissent. Nous n’avons aucune précision sur leur nombre, ce sont les hommes en général. Enfin, nous pouvons dire que l’auteur ne fait presque aucune référence au temps qui s’écoule, excepté « quelques instants « (vers 34), et « condamnés à espérer toujours «. On peut donc imaginer que cette histoire dure une éternité car l’action paraît un peu longue. La mélancolie, ainsi que le spleen évoqués précédemment sont renforcés par cette impression de perpétuité en des lieux impossibles à déterminer.

Ainsi nous avons là un univers onirique, terrestre et céleste à la fois, caractéristique du spleen avec sa grisaille éternelle et lugubre ; comme décor principal du poème. Cependant cela ne suffit pas pour expliquer la symbolique de ce texte allégorique.

 

En effet, dans un autre passage du poème, Baudelaire nous décrit avec détails le passage des hommes portant leur chimère sur le dos. Ceci va nous permettre de découvrir la signification de ces apparitions, puis nous verrons l’impact de cette rencontre sur les pensées du narrateur.

Tout d’abord, nous pouvons remarquer que Baudelaire nous fait une description très complète des chimères. Il utilise le champ lexical de la laideur, de l’horreur : « monstrueuse bête « (vers 8), « bête féroce « (vers 22), « tête fabuleuse « (vers 12), « énorme chimère « (vers 5-6), « écrasantes chimères « (vers 38). Il compare la tête de l’animal à un « casque horrible « (vers 13) et son poids à un « sac de farine et de charbon « (vers 6). L’auteur décrit donc la bête comme étant affreuse et insupportable, normalement il est impossible de garder une telle chose sur le dos.

Qu’a-t-il donc voulu nous montrer ?

En fait le mot « chimère « a un double sens. Dans la mythologie, une chimère était un fabuleux monstre à tête de lion, corps de chèvre et queue de dragon, qui vomissait des flammes. Cela correspond donc à la description faite ici. Au sens figuré une chimère est une illusion, une imagination vaine. Finalement, Baudelaire joue sur le sens du mot « chimère «. Il décrit les rêves irréalisables que portent les hommes en eux comme si c’était des chimères sur leurs dos. Nous avons donc ici l’allégorie principale du texte. Ainsi, lorsqu’il compare la lourdeur de la bête à des sacs « de farine ou de charbon « (vers 5), il veut parler du poids des rêves que l’on porte.

De plus, cette allégorie nous montre que la chimère, l’illusion, est à la fois accablante et nécessaire à la vie. En effet, dans le texte, on observe une gradation dans l’emprise de la bête sur l’homme : « elle enveloppait et opprimait « (vers 9) puis « elle s’agrafait « (vers 11) et enfin « elle est suspendue à son cou et collée à son dos (…) comme faisant partie de lui-même « (vers 23 à 25). Et pourtant les hommes n’ont pas « l’air irrité contre la bête « (vers 22). Tout ceci accentue le deuxième sens de « chimère « : cette illusion fait partie intégrante de notre esprit ; on ne peut s’en débarrasser et on l’accepte sans rien dire. D’ailleurs l’allitération en « ch « dans le texte : « chose «, « chimère «, « chacun «… nous ramène bien à l’univers du rêve, à l’illusion. Cependant, malgré cette emprise permanente, la chimère est nécessaire à la vie : « ils étaient passés par un invincible besoin de marche « (vers 19-20). En effet, cette hyperbole nous montre, à travers l’image de la bête, que la chimère nous entraîne toujours plus loin dans la vie, comme une sorte de motivation qui nous fait avancer. Comme on dit de nos jours « l’espoir fait vivre «. Pour finir, on peut voir l’emploi d’une double négation : « ni lui, ni les autres « (vers 18) qui accentue le fait que les hommes ne savent pas où ils vont : c’est un symbole du mystère de l’avenir de l’Humanité.

Mais quel effet produit cette rencontre sur le narrateur ?

D’abord, nous pouvons remarquer que le narrateur est présent dans le décor avec l’utilisation du pronom personnel « je « (vers 3). Puis celui-ci fait la rencontre de l’étrange cortège auquel il s’intéresse particulièrement puisqu’il nous en fait une description minutieuse et nous rapporte son dialogue avec l’un des marcheurs aux vers 16 à 20. Cependant, le manque de précisions dans la réponse de l’homme le laisse désemparé ; il voudrait en savoir plus. Son expression « chose curieuse à noter « (vers 21) marque une évolution dans ses réflexions. C’est ce qui le rend différent : il est seul en face d’un groupe d’hommes, dans un milieu désertique et il se pose des questions contrairement à eux qui ne savent même pas où ils vont. Cela met en évidence la condition solitaire du narrateur.

Enfin, après le passage du cortège, le narrateur se retrouve seul à nouveau et continue à s’acharner « quelques instants « (vers 34), « à vouloir comprendre ce mystère « (vers 34-35), ce qui met en évidence sa volonté de savoir. Mais finalement il n’échappe pas à « l’irrésistible Indifférence «, allégorie, mise en relief par la majuscule et l’attribution d’un article et d’un adjectif, qui traduit le profond accablement du poète. Finalement, c’est à travers le narrateur que Baudelaire nous exprime son point de vue. En effet, l’effort du narrateur de vouloir comprendre les mystères de la condition humaine aboutit donc à un échec, sa curiosité étant insatisfaite. Cela met en valeur sa solitude tragique. Lui aussi a sa propre chimère à porter, à chacun la sienne.

 

En définitive, grâce à l’allégorie qui est prose par son aspect concret, narratif et descriptif, et poésie par sa valeur symbolique, Baudelaire a parfaitement réussi à décrire, à travers la vision de ce monde onirique : le drame de la condition humaine, « condamnés à espérer toujours «, et la solitude désespérée de poète qui est en fait la sienne. D’ailleurs dans « l’Albatros «, un de ses autres poèmes paru en 1859, Charles Baudelaire a cette fois choisi un oiseau, l’albatros, pour représenter cet être incompris qu’est le poète ; cloué au sol et aspirant à l’infini. Et finalement, l’auteur exprime sa mélancolie, son malaise, son spleen et ses visions du monde à travers ses œuvres multiples et variées.

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