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cours: NATURE / CULTURE (c de e)

Publié le 22/02/2012

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culture

2.     De l'animalité de l'homme ? (textes de Rousseau)

- Est-il légitime de comparer certains êtres humains à des animaux pour ce qu'ils sont ou pour ce qu'ils ont fait ? A-t-on jamais vu des animaux faire ce que l'on dit être bestial ? Non point.

- Paradoxalement, c'est dans les actes réputés bestiaux, ceux qui s'éloignent le plus de ce que nous tenons pour humain, que nous nous distinguons le plus des animaux, parce qu'aucun animal n'est bestial au sens où nous l'entendons. Ces actes s'écartent certes de ce qui est tenu pour humain, mais en aucun cas ils ne manifestent une régression au stade de l'animalité, ils s'en éloignent au contraire le plus fortement qui soit. Rien n'est plus humain qu'être inhumain. Ce que l'on appelle inhumain n'a rien d'une régression au stade de l'animalité, mais est une transgression des normes que l'on applique aux humains, transgression qui en réalité éloigne de l'animalité au moins autant que les normes communes.

- Luc ferry (in La sagesse des modernes) souligne que le mal radical est une des caractéristiques essentielles de l’homme. Ce mal radical que la nature ignore réside dans le fait, pour l’homme, de prendre le mal en tant que tel comme projet. Il n’existe rien, dans le monde animal, qui s’apparente à la torture, par exemple. Il existe à Gand, en Belgique, un musée de la torture qui laisse songeur. Les animaux commettent eux aussi des actes que l’on pourrait qualifier de cruels. Mais ce n’est pas le mal comme tel qu’ils visent, leur cruauté ne tenant qu’à l’indifférence qui est la leur à l’égard de la souffrance d’un autre; lorsqu’ils tuent, ils ne font qu’exercer au mieux un instinct qui les guide et les tient en laisse.

- L’être humain, lui, n’est pas indifférent : lorsqu’il torture gratuitement, il est en excès par rapport à tout logique naturelle. Exemple des miliciens serbes qui obligent un grand-père croate à manger le foie de son petit-fils, des Hutus qui coupent les membres de nourrissons vivants pour mieux caler leurs caisses de bière. C’est cet excès qu’on peut appeler, selon Luc Ferry, la liberté. En clair, les hommes sont trop méchants pour que cela soit naturel ! Si les hommes étaient entièrement liés à la nature, ils ne seraient ni méchants ni malheureux, ils seraient bêtes. Pour quelle raison?

- Selon la tradition humaniste incarnée notamment par Rousseau et Kant et défendue actuellement par Luc Ferry, ce mal radical renvoie à une faculté proprement humaine qui constitue le critère essentiel séparant l'animalité de l'humanité : la liberté. C'est ce que montrent ces deux textes de Rousseau extraits du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.

Exercice :

- Après avoir lu attentivement ces deux textes de Rousseau et dégagé, pour chacun d'eux, la problématique, la thèse et les idées principales, vous expliquerez ce qui, selon Rousseau, distingue l'homme de l'animal.

Texte n° 1 : " Je ne vois dans tout homme...son âme "

- Dans ce texte extrait de la première partie du Discours sur l'inégalité, Rousseau traite de l'homme naturel qui diffère de l'homme civil. Il examine ce qui caractérise cet être naturel. Rousseau se demande où se situe la ligne de partage entre l'homme et l'animal. Il montre que l'homme se distingue de l'animal par la conscience de sa liberté.

- Dans le premier paragraphe, il souligne que l'animal est une machine, tandis que l'homme est un agent libre. L'animal, dit Rousseau, est une "machine ingénieuse", c'est-à-dire une combinaison complexe d'organes pouvant exécuter des mouvements déterminés. Rousseau reprend ici à son compte la théorie cartésienne de l'animal-machine, même s'il s'en distingue quelque peu.

- Rappelons que pour Descartes, le sujet, le cogito, ne peut être le seul et unique pôle de sens; la nature est désinvestie de toute valorisation morale; le monde matériel est sans âme, sans vie, il est réduit aux seules dimensions de l'étendue et du mouvement. L'animal en fait partie : il ne parle pas; sa parole, quand elle a lieu par imitation, n'est pas un langage, mais l'effet d'une machinerie, sans âme ni signification.

- Les animaux sont donc des automates, réduits à un corps; ils sont dépourvus de pensée. La perfection de l'animal est d'un autre ordre que l'imperfection humaine. Si les actions de l'animal sont précises, elles restent néanmoins mécaniques. Faible polyvalence de l'humain par rapport à la spécialisation de l'animal.

- L'homme, au contraire, souligne Rousseau, est un " agent libre ", c'est-à-dire un être qui peut agir par un choix conscient et sans contrainte.

- Le deuxième paragraphe établit que l'animal agit par " instinct " et l'homme par un " acte de liberté ". L'instinct est un comportement inconscient, stéréotypé et préformé.

- Le troisième paragraphe opère une nuance très intéressante : il n'y a qu'une différence de degré, du point de vue de l'entendement, entre l'homme et l'animal. Ici Rousseau se sépare de Descartes et subit l'influence de Condillac. Comme les idées ont leur origine dans les sens, il faut admettre, quant à la pensée, qu'il n'y a qu'une différence de degré entre l'homme et l'animal. De l'animal à l'homme il y a continuité en ce que certaines idées leur sont communes.

- Les idées sont des impressions des sens : j'ai l'idée de ce que mes sens m'indiquent; ces idées sont des idées sensibles (le froid, la soif, la peur, etc.); ces idées sensibles sont déterminantes pour l'animal qui ne peut s'y soustraire. Du point de vue physique et de ses conséquences intellectuelles, l'homme est seulement plus perfectionné que l'animal : il a plus d'idées, elles sont plus complexes : différence de degré, non de nature.

- Ce qui sépare totalement l'homme de l'animal, ce n'est pas l'entendement (faculté intellectuelle, en rapport avec les idées et leur combinaison; les idées étant de tout ce que l'animal se représente) mais la conscience de la liberté. C'est l'opposition de l'instinct qui prévaut entre l'homme et l'animal. L'homme est certes sensible comme tout animal. Mais en lui se manifeste une puissance non naturelle, métaphysique : sa volonté, sa liberté. L'homme est cet être qui se dépasse lui-même.

1.     Texte n° 2 (" Mais...âme ")

- Rousseau, dans ce texte, découvre une nouvelle faculté, propre à l'homme, la perfectibilité, qui s'oppose à la fixité de l'animal. La possibilité d'acquérir progressivement de nouvelles qualités et perfections, la faculté de dépasser le mécanisme et les bornes de l'instinct caractérisent l'homme. Cette perfectibilité rend d'ailleurs possible le langage.

- Le premier paragraphe : à la différence de l'animal, l'homme peut acquérir de nouvelles qualités.

- La perte de ces qualités ramènerait l'homme plus bas que la bête.

- Enfin, la capacité de se perfectionner est à l'origine de tous les maux. L'homme sort de l'état de nature et il perd ainsi le bonheur originel.

- Que l’homme est un être qui n’a pas d’essence, de nature, que la nature humaine n’existe pas.

- Commentaire :

- Livré à lui-même, l'animal est prisonnier des déterminations qui programment ses comportements, alors que l'homme est indétermination, inventivité. L'animal est absent à lui-même : il fait mais il ne sait pas qu'il fait. L'homme contribue de lui-même, de sa propre volonté, à sa survie : il peut refuser de s'alimenter, de se soigner.

- C'est cette distance originaire entre son corps et lui-même, cet écart de soi à soi qui le rend présent à lui-même. Exemple que donne Rousseau : la nécessité naturelle s'impose uniformément et irrémédiablement au pigeon : que les circonstances changent et il ne peut assurer sa survie. L'homme, au contraire, est si peu programmé par la nature qu'il peut commettre des excès (boire, fumer, etc.), jusqu'à en mourir.

- Il y a bien sûr chez certains animaux une souplesse d'adaptation (cf. Texte de Bergson, devoir n° 1. Mais les acquisitions qui témoignent d'un début de plasticité (fabrication d'outils...) ne se transmettent pas d'une génération à l'autre : les sociétés animales n'ont pas d'histoire. Les écarts observés par rapport au déterminisme de la nature sont souvent le fruit d'un dressage initial : soumission animale, patience et ingéniosité de l'homme. La fin du deuxième paragraphe (" C'est ainsi que les hommes dissolus...se tait ") indique l'ambivalence du statut humain  : l'homme est capable du meilleur comme du pire précisément parce qu'il est un être libre. C'est l'indétermination de la nature qui ouvre le chemin de la liberté et de l'éthique.

- Ce qui fait donc la plus grande différence entre l’homme et l’animal, c’est que l’homme se transforme et se perfectionne à l’infini, alors que l’animal ne peut pas dépasser ce que la nature a fait de lui (“[] un animal est au bout de quelques mois ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce au bout de mille ans ce qu’elle était la première année de ces mille ans”, Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité). Les animaux n'ont presque pas besoin d'éducation (l'espèce humaine qui, de toutes les espèces animales, connaît la période de juvénilisation la plus longue) : exemple des jeunes tortues qui trouvent spontanément, aussitôt sorties de l'oeuf, la direction de l'océan et savent immédiatement accomplir les mouvements qui leur permettent de marcher, de nager, de survivre.

- Au contraire, les sociétés humaines progressent, changent, sous l'effet d'une double historicité : celle de l'individu (l'éducation), celle de l'espèce  (la politique). Ce qui fait l’identité des hommes, c’est qu’ils sont tous des hommes de culture. La nature de l’homme consiste alors, si l’on peut dire, à ne pas en avoir a priori. Nature absolument libre, l’homme peut se faire, se choisir, il n’a pas d’essence prédéfinie. C’est donc la liberté qui fait l’homme, ce pouvoir de choisir qui fait du sujet humain la cause première et volontaire de sa conduite, et en lequel résident la dignité et la responsabilité humaines. C’est cette ouverture permanente vers les possibles dont témoigne l’historicité humaine.

- Et c'est parce qu'il est libre, qu'il n'est prisonnier d'aucun code naturel ou historique déterminé, que l'être humain est un être moral. Il faut pouvoir s'écarter du réel pour le juger bon ou mauvais, de même qu'il faut pouvoir se distancier de ses appartenances naturelles ou historiques pour acquérir ce que l'on nomme " l'esprit critique ". Comment pourrait-on d'ailleurs imputer à un être humain de bonne sou de mauvaises actions s'il n'était libre de ses choix (la liberté est au fondement de la responsabilité).

- Où l'on voit que la liberté est la faculté de s'écarter de soi en même temps que du monde ou des contextes particuliers dans lesquels on est englué (les droits de l'homme considèrent qu'un être humain est respectable indépendamment de ses appartenances communautaires à une langue, une nation, une race, une religion). A l'animal, même le plus doué (les singes bonobos), manque la relation au sens et à l'universel qui permet de se faire comprendre, de comprendre autrui, de se distancier de soi afin de s'intéresser à l'autre suffisamment en profondeur pour lui imputer des intentions, prendre plaisir à partager des expériences ou des connaissances avec lui. Faute de décentrement, le sens de la réciprocité fait défaut à l'animal.

- Et c'est justement aussi pour cette raison que l'on ne saurait parler de droits des animaux. En effet, lorsque nous parlons de droits de l'homme, par exemple, nous incluons dans cet ensemble un certain nombre de devoirs d'assistance envers les autres. Au-delà de l'action proprement humanitaire, nous voyons des humains secourir des animaux, plaider en faveur de la cause des baleines. Or, l'on n'a jamais vu la réciproque sinon dans les mythes d'enfants élevés par des bêtes. Aucun animal sur terre ne se soucie du sort  es Kurdes, des Kosovars, de l'humanité en général.

- C’est ce que soutient également Sartre dans L’existentialisme est un humanisme. L’homme n’a pas de nature, à la différence des objets ou des êtres inertes; il a une condition et une histoire, une histoire individuelle qui prend place dans une histoire collective. Or, tout ce qui a une histoire n’a pas de définition parce que tout ce qui a une histoire est en devenir et on ne peut définir que ce qui ne devient pas, ce qui est déterminé de telle sorte que quoi qu’il arrive, ce qui est ne devient pas, ou pas foncièrement, pas essentiellement. Exister , c’est toujours être ce qu’on n’est pas, et ne pas être ce qu’on est. Exemples du voyou (Jean Genet) et du mythe de l’éternel féminin (Simone de Beauvoir).

- Cette non-coïncidence de l’homme avec soi-même ou avec une situation (caractéristique de la conscience), Sartre l’appelle le néant. Je suis toujours séparé de moi-même par ce néant qui est la marque de la conscience. “L’existence précède l’essence ”: c’est par son choix que l’homme détermine son essence. En choisissant, il se choisit en quelque sorte lui-même dans ce choix. L’homme est entièrement libre dans toutes les circonstances et dans chacun de ses actes. La liberté est l’essence de notre existence.

3) Conclusion : la culture comme norme

- De tout cela il faut retenir l'idée que c'est par la culture que l'homme conquiert son humanité, en s'arrachant à la nature, en surmontant son simple statut biologique.

- Thème de l'éducation : On entend généralement par éducation le processus par lequel une ou plusieurs fonctions se développent, progressivement et graduellement, par l’exercice (ex : l’éducation de l’ouïe), mais aussi l’ensemble des opérations et des procédés par lesquels les adultes développent les facultés et qualités de l’enfant.

- Selon Kant, n’étant pas dirigé par l’instinct, l’homme doit conquérir par la culture ce que la nature lui a refusé; étant par nature inachevé, déficient, il doit se construire lui-même, se donner ses propres lois, faire usage de sa propre raison et de sa liberté.

- Quels sont les différents éléments d’une éducation ? ses buts ? Kant explique que le but de l’éducation est de conduire l’homme à sa propre humanité et autonomie. L’éducation comporte deux aspects : la discipline (partie négative de l’éducation) doit habituer l’enfant à supporter la contrainte des lois; l’instruction (partie positive) consiste à former et à enrichir l’esprit par la transmission du savoir et par l’étude.

- L’éducation n’est pas uniquement l’apprentissage positif des normes ou des valeurs d’une société : elle est ce par quoi l’homme devient humain, cela même qui permet à l’individu d’atteindre le point de vue de l’universel. Qu’est-ce qu’une éducation réussie ? Celle qui, tout en habituant l’individu à se soumettre à la raison et à la contrainte légale, cultive en lui la liberté. Tout le problème de l'éducation est le suivant : comment orienter la discipline, l’acquisition des comportements fondamentaux, vers le libre exercice du jugement individuel, l’aptitude à discuter les décisions nécessaires ?

- En somme, si la culture est l'horizon final de l'humanité réalisée, en ce sens qu'elle est à la fois une action (l'acte de cultiver ou de se cultiver) et le résultats de cette action (la culture comme état, comme quand on dit de quelqu'un qu'il est cultivé), la culture ne se contente pas de se substituer à la nature, elle fait de la nature sa subordonnée, son instrument, en vue de sa propre réalisation. La culture est la norme vers laquelle l'homme doit tendre et faire tendre la nature.

14.  La culture nous offre alors le paradoxe d'une nature de substitution, d'une nature construite. 

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