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Le Dormeur Du Val

Publié le 28/09/2010

Extrait du document

 

Introduction : 

 

- Ce poème a été écrit en 1870. Arthur Rimbaud n'a que 16 ans lorsqu'il écrit ce poème. Adolescent anticonformiste et marginal, il a le sentiment d' étouffer à Charleville (dans les Ardennes) ;  il lui arrive donc  régulièrement de fuguer. Ce poème aurait été écrit à la suite d'une de ces fugues. 

- En 1870, on est en pleine guerre franco-prussienne qui se soldera par la défaite de la France et la chute de l'Empire de Napoléon 3. Lors d'une fugue, dans une région dévastée par la guerre, il traverse un champ de bataille jonché de cadavres. Dans le poème que l'on va étudier, l'auteur manifeste donc sa révolte contre la guerre.

 

Lecture du poème

 

Structure : 

Rimbaud construit son texte en respectant le cadre traditionnel du sonnet, forme poétique présentant 4 strophes (deux quatrains, deux tercets). 

Chacune des strophes possède en principe son autonomie syntaxique et constitue sur le plan du sens une étape du texte. C’est bien le cas ici. Chaque quatrain se termine par un point et contient une phrase. Les tercets contiennent deux phrases chacun. On notera, sans que ce détail ait une grande conséquence, que Rimbaud prend certaines libertés avec le système de rimes classique : il n’emploie pas le même jeu de rimes dans les deux quatrains et remplace les rimes embrassées traditionnelles par des rimes croisées.  

Rimbaud commence par présenter un cadre champêtre (1er quatrain);  puis il décrit un personnage semblant dormir dans cet environnement paisible (2ème quatrain et 1er tercet). Comme souvent dans les sonnets, le dernier vers constitue « une chute « : il s'agit d'une formule brève, frappante qui donne toute sa force au sonnet. C'est bien le cas ici puisque dans la dernière strophe, le lecteur comprend que ce soldat, allongé dans l'herbe n'est pas en train de dormir mais qu'il est mort. Ce sonnet repose donc sur une subtile opposition entre l'évocation d'un spectacle charmant et la réalité cruelle de la mort.

 

Problématique : 

 

Comment, à travers la description surprenante d'un être sans vie, Rimbaud dénonce-t-il l'absurdité de la guerre ?

 

Plan : 

I.Un tableau en apparence idyllique

 

1. La description du paysage

2. La description du personnage

 

II.Une découverte macabre / la découverte d'une réalité tragique

 

1. Un poème habilement construit

2. La dénonciation de la guerre

I.Un tableau en apparence idyllique

 

1.La description du paysage

 

a) Un tableau

 

Ce poème fonctionne un peu comme un tableau. On a tout d'abord, dans le premier quatrain,  la description d'un paysage : le premier quatrain nous présente donc l'arrière-plan de ce tableau.

Le lieu est décrit avec précision : 

→ «un trou de verdure « (v. 1), c'est-à-dire une vallée étroite qui donne l'impression d'un endroit abrité. Un peu plus loin, cela sera appelé « un petit val « (v. 4) (expression qui reprend le terme du titre.)

→ « une montagne « (v. 3), dans la direction de laquelle on peut voir le soleil.

→ « une rivière « (v. 1)

 

b) Le jeu de couleurs et de lumière

 

On trouve aussi de nombreuses notations de couleurs où domine le vert :

→ « herbes « (v. 2), « l'herbe « (v. 7), « trou de verdure « (v. 1), « son lit vert « (v. 8), « le frais cresson bleu « (v. 6) = proche du vert.

 

Les autres couleurs présentes sont des nuances de blanc renvoyant à l'idée de lumière.

→ le « soleil « est cité 2 fois (v. 3 et 13).

→ cette idée est reprise par le verbe « luit « (v. 4)

→ la métaphore « haillons d'argent « (v. 2-3) décrit le fait qu'il y a des gouttes d'eau sur les herbes proches de la rivière et que la lumière du soleil s'y accroche = lambeaux de lumière (les haillons sont des vêtement déchirés).

→ autre métaphore : « mousse de rayons « = la lumière est si compacte qu'elle semble liquide, presque palpable.

→ troisième métaphore associant là encore la lumière et un élément liquide : « où la lumière pleut «.

 

Importance du champ lexical de la lumière. Cette lumière est mise en valeur, on l'a vu, grâce aux trois métaphores mais aussi  par la versification qui met en relief.

→ « d'argent « et « luit « sont mis en rejet aux vers 3 et 4.

→ « mousse de rayons « et « la lumière pleut « sont situés à la rime et qui plus est en fin de quatrains.

Les deux quatrains s'achèvent donc sur des notations de lumière.

 

Par ailleurs, dans cette description de la Nature, Rimbaud mêle les perceptions sensorielles : la vue (les couleurs), l'odorat (« les parfums «), le toucher (« chaudement «, « frais «) et l'ouïe (« chante «). La Nature propose des sensations agréables sur les plans visuel, olfactif, tactile et sonore.

 

c) La personnification de la Nature

 

- Trois personnifications : « chante une rivière « (v. 1) / « follement « (v. 2) / « la montagne fière « (v. 3). Ces personnifications décrivent la nature environnante comme une nature en fête. 

- La rivière notamment semble une fée dotée du pouvoir magique d'habiller d'argent les herbes qui l'environnent : l'oxymore « des haillons / d'argent «, appuyé par le rejet du vers 3, semble être là pour exprimer ce pouvoir de métamorphoser la pauvreté en richesse.

- Le décalage constant de la phrase et du vers, notamment dans le premier quatrain, peut être une façon pour l'auteur de montrer le caractère exubérant, joyeux et fantaisiste des éléments de cette Nature qui n'en fait quà sa tête.D'autant que l'on a dans les quatrains une impression de mouvement : « accrochant «, « mousse «, « pleut «.

- Enfin, au vers 11, la Nature est dotée d'une majuscule. Elle est ainsi personnifiée par l'apostrophe :  le poète s'adresse directement à elle et elle est implicitement comparée à une divinité maternelle.

 

►L'ensemble nous donne donc la vision d'une nature gaie et heureuse. Cadre lumineux et coloré = décor idyllique.

 

2.La description du personnage

 

On a vu que le poème s'apparentait à un tableau : le paysage décrit en serait l'arrière-plan. Vient ensuite, à partir de la deuxième strophe, la description d'un personnage. Au premier plan de ce tableau figure donc un homme en train de dormir au milieu de végétaux, cette fois à l'échelle humaine (« herbe «, « cresson «, « glaïeuls «).

 

a) L'organisation de la description

 

- Important champ lexical du corps. En suivant ce champ lexical, on peut observer comment s'organise la description du personnage :

→ le personnage est introduit dans le deuxième quatrain avec la mention de son identité (« un soldat «) et de son âge (« jeune «).La description fonctionne comme un zoom avant puisque l'on voit progressivement les détails de son corps.

→ la description commence par le haut du corps : « bouche « / « tête « / « nuque «.(Q2) Elle descend ensuite jusqu'aux « pieds « (T1) et remonte (T2) jusqu'au coeur  puisqu'il est question de la « poitrine « pour découvrir sa blessure : « deux trous rouges au côté droit «.

On a donc l'impression que le regard observe attentivement ce personnage et qu'il parcourt ce corps pour découvrir finalement son secret.

 

A noter que la description de ce soldat se fait par des éléments singuliers : « sa narine «, « sa main « par opposition aux élements pluriels de la Nature. De manière très significative, le seul pluriel est là pour évoquer les « deux trous rouges « là où un seul aurait suffi. 

De plus, cette mention des « deux trous rouges « fait écho au « trou de verdure « du début et donne ainsi une construction circulaire au poème.

 

b) Un personnage endormi et serein 

 

Dans la description de ce personnage, le champ lexical du sommeil et du calme est très développé.

 

→ Le corps est allongé. Cette information est répétée avec insistance :

- « la nuque baignant dans le frais cresson bleu « (v. 6)

- « il est étendu dans l'herbe « (v. 7)

- « dans son lit vert « (v. 8)

 

→ Le verbe « dormir « à la troisième personne est répétée 3 fois, toujours en position privilégiée.

- en rejet au début du vers 7

- en rejet, après la césure au vers 9

- en début de vers au vers 13

Le thème du sommeil est repris par « il fait un somme « (v. 10). 

Enfin, le rejet de l'adjectif « tranquille « au vers 14 met nettement en relief la même idée. 

 

→ La description de la bouche ( « bouche ouverte «, « souriant «) indique aussi la sérénité heureuse de ce « dormeur «(cf. titre) qui s'abandonne plaisiblement au sommeil.

 

Tous ces indices visent à tromper le lecteur sur le sens réél de la scène. Ils lui suggèrent une fausse piste. En effet, la description de ce personnage donne lieu à une première interprétation : ce jeune soldat semble dormir. L'ambiguïté sera habilement maintenue par Rimbaud jusqu'au dernier vers où le lecteur comprend qu'en fait, ce jeune homme est mort.

 

II.Une découverte macabre / La découverte d'une réalité tragique

 

1.Un poème habilement construit

 

A travers la composition de ce poème, le poète cherche vraiment à créer un effet de surprise chez le lecteur. 

 

a) La progression du poème.

Pour celui qui lit le texte pour la première fois, le dernier vers ne peut manquer de produire un puissant effet de surprise. En effet, comme nous l’avons montré précédemment, les indications rassurantes ont été répétées avec une réelle insistance, depuis le titre jusqu’à l’adjectif « tranquille «, au début du vers 14. 

Le changement de perspective opéré par le dernier vers est si radical qu’il implique nécessairement une seconde lecture du texte. En effet, cette fin invalide l’interprétation optimiste de la scène. Prenant conscience d’avoir été abusé par une adroite stratégie d’écriture le lecteur est porté à refaire le chemin pour étudier la progression du texte et comprendre comment le piège a fonctionné.

 

En fait, plusieurs expressions inquiétantes laissaient présager le pire et pouvaient mettre le lecteur sur la voie.

On l'a vu, le premier quatrain est consacré à l’évocation du cadre, l’impression est entièrement celle d’une belle journée d’été où toutes les conditions sont rassemblées pour être heureux. 

 

→ Le deuxième quatrain, lui,  présente le dormeur, et à y regarder de près, on est frappé par l’ambivalence des informations apportées par le texte.En effet, dans la 2ème strophe, la plupart des termes qui décrivent le jeune homme sont ambivalents et peuvent signifier aussi bien le repos que la maladie et la mort :  

- Ainsi, la nuque du soldat baigne dans le frais cresson bleu : cette fraîcheur, en plein soleil, peut être considérée comme un indice de bien-être ; mais inversement, si le cresson (= plante aquatique) y pousse, c’est peut-être que le terrain est marécageux et dans ce cas, comment le soldat peut-il ne pas être gêné par l’humidité de l’endroit ? 

- De même sa « bouche ouverte «, indice possible d’un abandon voluptueux au sommeil, peut être interprété aussi comme le rictus de la mort. 

- Sa pâleur est-elle le signe d’une beauté délicate ou de la maladie ? 

-« Son lit vert « est-il un lit de repos ou de douleur ? Très habilement, Rimbaud a choisi des expressions permettant une double interprétation. 

 

→ Avec les tercets se produit une nette évolution : les indices alarmants prennent le dessus même si l'ambiguïté est maintenue.

- Le pas est franchi au vers 10 avec l’expression « Souriant comme / Sourirait un enfant malade «. Pour la première fois, un indice ouvertement morbide est offert au lecteur. En outre, son arrivée est dramatisée par l’effet de contre-rejet et d’enjambement qui permet de retarder l’arrivée de l’élément-clé : « enfant malade «. 

- Plusieurs détails suggèrent l'absence de sensations. Ainsi, au vers suivant, nous apprenons que l’enfant a froid (malgré la chaleur du soleil). 

- Puis, dans le second tercet, qu’il ne respire plus les parfums : « les parfums ne font pas frissonner sa narine « (il ne sent plus ?)

- Enfin, il nous est décrit dans l’attitude qu’il est d’usage de donner aux cadavres : « la main sur sa poitrine «. 

Comment pouvons-nous avoir manqué ces informations à la première lecture ? C’est que Rimbaud a pris soin de les compenser par des indices contraires : il répète que son soldat « fait un somme « (v.10), « dort « (v.13), « souriant « (v.9), « tranquille « (v.14). Cela suffit à maintenir jusqu’au bout une certaine  marge d’hésitation.

Ces signaux alarmants sont perçus, bien sûr, suffisamment pour semer le doute, mais pas suffisamment pour permettre d’anticiper sur la révélation finale : « Il a deux trous rouges au côté droit «. 

 

2.La dénonciation de la guerre à travers un hymne à la vie

 

- L’ingéniosité avec laquelle Rimbaud ménage un suspense tout au long du poème a pour conséquence la brutalité de l’effet de surprise final. C’est sans aucun doute ce dispositif qui produit sur le lecteur une émotion particulière.

Cette révélation brutale faite au dernier vers est qui plus est mise en relief par la versification. L’effet  provoqué par cette dernière phrase est d’autant plus saisissant que Rimbaud a eu l’idée de placer en rejet l’adjectif « tranquille «, réduisant à neuf syllabes la dernière unité grammaticale du texte. La coupe forte occasionnée par le rejet produit une rupture qui détache cette courte phrase. C’est ce qu’on appelle une chute. 

L’art de la chute consiste à terminer un texte par une formule brève, inattendue, apportant un éclairage nouveau sur le sens du poème. Cette technique est traditionnelle dans le sonnet. Mais elle a rarement été utilisée aussi spectaculairement que dans ce poème de Rimbaud.

Le monde décrit aurait pu être beau, radieux et heureux, mais il n'est qu'apparence. En neuf syllabes, les dernières, le poème invite son lecteur à une relecture. Le sommeil et la mort offrent la même apparence. La périphrase "Il a deux trous rouges au côté droit" (14) est un euphémisme d'une neutralité efficace, au puissant pouvoir de suggestion. Le constat dépourvu de toute affectivité place le lecteur devant le fait accompli. La mort arrive comme une surprise macabre, une révélation ultime. Cette découverte macabre prend la forme d'une simple constatation ce qui donne encore plus de force au texte.

   - Une autre vertu du procédé de composition choisi par Rimbaud réside dans la sobriété, la simplicité de ce réquisitoire indirect contre la guerre. Il n'y a pas ici à proprement parler d'images choquantes. C'est au lecteur de lire ce qui n'est dit qu'à demi-mot. Le sens de ce poème n'en est que plus fort (litote). Car il s'agit bien de dénoncer la guerre et sa stupidité. Rimbaud veut ici nous montrer que tout cela n'a pas de sens : dans une nature pleine de vie, un soldat qui aurait l'âge de profiter de tous les bonheurs terrestres est étendu parce qu'il est mort.

 

Rimbaud opte en effet pour une condamnation indirecte de la guerre qui s'avère très efficace.

Ce n’est pas ici par la polémique qu’il tente de convaincre son lecteur mais par l’évocation lyrique de ce que la guerre met en péril : le droit de vivre, le droit de profiter pleinement de ce que la nature nous offre : la chaleur du soleil, les parfums (si joliment évoqués par l’allitération en /f/ du vers 12 au moment même où le poème en évoque la privation), et tous les plaisirs des sens. Autrement dit, ces images de bonheur que le poème nous propose ne sont pas seulement des fausses pistes destinées à mettre en relief un dénouement spectaculaire. C'est une façon de mettre en avant la beauté du monde et de la vie;  ce sont donc des arguments contre la guerre, les meilleurs qu’on puisse trouver. 

 

- Enfin, paradoxalement, cet éloge de la vie semble se combiner avec une image sublimée de la mort. Une mort paisible, sous la protection d’une Nature magnifiée par un N majuscule et décrite comme une mère berçant son enfant (« berce-le chaudement « v.11). On notera avec quelle insistance Rimbaud utilise la préposition « dans « chaque fois qu’il évoque la situation du soldat mort : il dort « dans le frais cresson bleu «, « dans l’herbe «, « dans son lit vert «, « dans les glaïeuls «, « dans le soleil «. Il semble alors que la mort du soldat soit une sorte de dissolution au sein de la nature, celle-ci offrant même au jeune homme un doux tombeau (« trou de verdure «).

A travers ce poème, Rimbaud envisage donc la mort comme un retour à la Nature, une nature protectrice, présentée comme une véritable mère. Nature et homme sont alors pleinement unis.

 

Conclusion : 

 

- (Par le thème choisi, le ton adopté mais surtout quelques audaces de forme, ce poème annonce une vision neuve de la poésie : Rimbaud est à la reherche d'un rythme neuf qui démembre l'alexandrin à force de rejets, contre-rejets et de ponctuations fortes au milieu du vers).

 

- En plaçant un cadavre dans un paysage champêtre, dans un tableau idyllique, Rimbaud tente de faire réfléchir le lecteur sur l'absurdité et l'horreur de la guerre conduisant au massacre de toute une jeunesse. Il veut provoquer un choc, une émotion puisque l'image de ce jeune homme mort contraste avec la vision d'une Nature pleine de vie. Ici, le jeune poète de seize ans ne recourt pas au ton de l'indignation ; il feint de découvrir, avec le lecteur, le spectacle désolant de la mort comme un phénomène anodin. Le choc provoque ainsi la stupeur et accentue encore plus la dénonciation.

 

- Ce poème a une valeur intemporelle et universelle : L'indétermination du lieu (un val, n'importe lequel), la valeur des présents d'habitude (la guerre est de tous les temps) font que ce poème dénonce toutes les guerres et, en nous présentant ce combattant dans une posture noble et calme, Rimbaud  rend hommage à tous les soldats morts dans toutes les guerres. (« le dormeur « devient vite « un soldat «).

 

- Dans un autre poème intitulé « Le Mal «, Rimbaud dénonce aussi les ravages de la guerre mais d'une façon beaucoup plus directe et virulente. Ce qui est sous-entendu dans « Le Dormeur du val « est très explicite dans «Le Mal « et le poète apparaît beuoup plus révolté contre la guerre et ses barbaries.

 

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