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L'INTÉRÊT LITTÉRAIRE DE LA NOUVELLE HELOISE DE ROUSSEAU

Publié le 28/04/2011

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   Les défauts.    Il y a bien des choses dans le roman, et d'un intérêt fort inégal. Il y a d'abord trop de choses. L'œuvre n'est pas née d'un dessein précis, ni d'une inspiration directe et continue. Elle reflète les aspects successifs d'une vie incertaine et contradictoire. Elle fut d'abord un rêve d'amour ; elle aurait pu être un roman d'amour. Mais dès que Jean-Jacques pense à le publier, il songe en même temps qu'il a dénoncé les dangers de la littérature. Ce serait un scandale s'il imprimait l'histoire d'un amant et d'une maîtresse qui s'aiment, au mépris de la pudeur, au mépris des lois. Il faut donc qu'ils restent « vertueux «, tout en étant coupables. Et puisqu'ils ne pratiquent pas la vertu, ou du moins des vertus essentielles, il faudra donc qu'ils en parlent, avec d'autant plus d'ardeur qu'ils lui manqueront plus gravement.

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« emprunté, pour une part créé son langage de l'extase et de l'adoration.

Il nous choque aujourd'hui souvent ou nousgêne.

Il ne nous semble pas ridicule d'aimer Julie comme un « ange du ciel » et comme une « fille sublime » ; il noussemble fâcheux de le lui dire dans ces termes.

Les « attraits incomparables » et les « charmes divins » nousparaissent une musique désuète, une romance banale.

Le vocabulaire sentimental de Rousseau date, très souvent. Le Génie. Mais la Nouvelle Héloïse n'est pas seulement une grande œuvre du passé.

Quels que soient ses paradoxes, sesconfusions, ses prolixités, ses hors-d'œuvre, elle reste, par fragments, un roman éternellement pathétique, uneadmirable expression des égarements et des sagesses du cœur. C'est d'abord parce qu'elle a été moins une œuvre d'art qu'un élan.

Elle est (Pascal mis à part) la première œuvrefrançaise qui soit née non du calcul d'un homme de lettres, mais des aspirations et des tourments d'une âme toutentière possédée par son objet.

Elle est la première œuvre qui soit vivante parce que l'auteur s'y est mis toutvivant.

Non pas que ce soit un roman-confession, un Obermann, un Adolphe, un René.

La confession y est cachée.Seule la publication des Confessions près de trente ans plus tard, a permis de la deviner. Rien ne vient, à l'ordinaire, gêner le lecteur en lui montrant trop clairement Rousseau sous le masque de Julie ou deSaint-Preux.

Mais il s'est confondu avec eux, profondément.

Il leur a donné son âme ; ils lui ont, pour une part,donné la sienne.

Nous avons vu ce que le roman y avait perdu.

Mais, il y a gagné un puissant intérêt.

Il y avait eu,avant la Nouvelle Héloïse, bien des œuvres vraies : les tragédies de Racine, la Princesse de Clèves, Manon Lescautétaient vrais, mais d'une vérité humaine générale.

C'étaient moins Hermione, Phèdre, Mme de Clèves, Manon qu'uneamante, une victime de l'amour, une femme qui n'aime plus son mari, une courtisane.

Aussi bien Panurge, frère Jeandes Entommeures, Gil Blas étaient vrais comme le seront le Père Goriot, Grandet, le cousin Pons, comme sont vraisles gens que nous côtoyons, que nous fréquentons, que nous observons et croyons comprendre.

Us sont vrais endehors de nous.

Mais la vérité de la Nouvelle Héloïse était la vérité de nous-mêmes et la vérité la plus mystérieuse,la plus profonde.

Il semble que les frémissements de ses héros passent en nous, que leurs palpitations soient cellesde notre cœur.

L'œuvre de Rousseau crée la communion totale de l'œuvre et du lecteur.

Elle est réellement, à cetégard, la première grande œuvre vraiment lyrique de notre littérature. C'est qu'elle est la première œuvre où s'exaltent toutes les puissances du sentiment, c'est-à-dire toutes celles quine sollicitent pas l'assentiment de l'intelligence, l'acquiescement de la volonté mais qui créent cet état de sympathieoù l'on croit, où l'on obéit, où l'on collabore parce qu'on n'est plus capable de se distinguer.

Julie, Saint-Preux, Claireparlent de vertu, de devoir, de sagesse, mais en réalité ils n'obéissent jamais qu'à l'amour, à des amours.

M.

deWolmar lui-même ne commence à vivre que du jour où il aime Julie, et pour ce goût de vivre il commet la cruautéd'épouser une fille dont il sait qu'elle aime un autre.

Pour eux, comme pour Rousseau, le sens de la vie, la raison devivre et, au fond la règle de la vie, c'est de chercher un objet d'amour et de s'y livrer tout entier.

Tout ce que peutfaire la raison c'est, quand il le faut, de dévier ou de tenter de dévier l'amour des objets défendus vers des objetspermis, de Saint-Preux, qui fut l'amant, vers des enfants, vers un foyer, vers Dieu.

On a dit, copieusement, combiencette conception de la vie était périlleuse et vers quelles erreurs elle conduirait les romantiques.

Nous n'avons pas àjuger le procès.

Mais on peut croire du moins qu'en donnant à son roman cette âme Rousseau lui donnait une vieintense et frémissante. Il ne faut pas oublier non plus qu'en livrant ses héros aux puissances d'amour il ne les enfermait pas dans leségoïsmes, les erreurs et les trahisons de la passion.

Julie et Saint-Preux ont le tort littéraire de le dire trop souvent,mais ils aiment vraiment, profondément, la vertu.

C'est un déchirement de leur être que d'y manquer et ce serait unsi terrible déchirement de l'oublier tout à fait qu'ils préfèrent le déchirement de la séparation.

Ils n'ont pas devolonté ou ils n'en ont guère, mais ils aiment du plus profond d'eux-mêmes à vivre dans la sincérité, la fidélité, ledévouement.

Quoi qu'elle en dise, Julie mariée, aimée, mère de famille, n'est pas heureuse ; l'autre amour veille et laronge.

Mais, il y a pourtant des répits où dans son honnête foyer, dans son domestique harmonieux et prospère, ellegoûte cette plénitude de cœur, cet état d'amour, de diffusion de soi qui, pour Rousseau, est le bonheur.

Enfin, parl'amour, elle se hausse à la seule force qui puisse, selon Rousseau, régler l'amour et le hausser, quand il le faut, delui-même, jusqu'à Dieu.

On peut penser ce qu'on veut des raisonnements religieux de l'Héloïse et de leur convenancelittéraire.

Mais ils sont émouvants, ils sont nobles parce qu'ils sont la démarche naturelle d'une âme comme celle deJulie, comme celle même de Saint-Preux.

Le roman est la première fiction religieuse de la littérature française. C'est par cette puissance d'aimer que la Nouvelle Héloïse a non pas créé mais recréé le sentiment de la nature.

Legoût de la campagne et même de la nature existe, avant Jean-Jacques, chez La Fontaine, Mme de Sévigné, Huet,tous ceux dont nous avons parlé et d'autres.

Mais c'est un goût, un des plaisirs de la vie, comme le jeu, laconversation, le théâtre.

On va aux champs comme à la comédie ou au café.

Comme on aime des conversations oudes amis « simples » et « naturels » on goûte, vers 1750, des jardins, des campagnes qui soient « vrais ».

Mais si onse plaît en leur compagnie, on ne cherche pas à se confondre avec eux.

On leur reconnaît des « agréments » et des« beautés » ; on ne leur prête pas une âme ou du moins une âme qui puisse comprendre la nôtre.

La nouveauté dusentiment de la nature, dans la Nouvelle Héloïse, c'est, comme pour le reste, qu'il est l'amour, la communion.

C'estque dans les montagnes du Valais, dans les rochers de Meillerie, dans les clairs de lune, Saint-Preux et Julietrouvent les confidences de leur âme.

C'est qu'au lieu d'être un divertissement ou un spectacle la nature devient laconseillère, la consolatrice, la complice et que par elle le cœur et l'amour disposent de la diversité et de l'immensitédu monde.. »

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