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Jean Jacques Rousseau, Lettres écrites de la montagne, Lettre 8

Publié le 17/02/2012

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rousseau

OBJET DU TEXTE : que veut montrer Rousseau ?

Contre l’opinion commune qui définit la liberté comme l’absence de contraintes extérieures (i.e. comme l’indépendance) Rousseau montre qu’il ne peut y avoir de liberté que si celle-ci est garantie par des lois auxquelles tous doivent obéir.

STRUCTURE DU TEXTE et EXPLICATIONS

I-              Distinction voir opposition entre indépendance et liberté.

Lignes 1-2 : Point de départ : Rousseau annonce qu’il va corriger une opinion commune qui consiste à identifier indépendance et liberté. Non seulement ces deux termes ont des sens distincts mais plus encore, indépendance et liberté, « ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement ». Rousseau montre donc qu’il veut marquer une opposition entre indépendance et liberté.

Lignes 3-4 : Rousseau part donc du sens, de la définition commune de l’indépendance pour montrer que ce n’est pas la liberté. Etre indépendant, c’est faire ce qui nous plaît : c’est le pouvoir d’agir selon son bon plaisir. Or, « on fait souvent ce qui déplaît aux autres » on est engagé dans un rapport de forces.

Exemple : Je peux écouter fortement de la musique pendant la surveillance du bac, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, puisque rien ne m’en empêche.

Ainsi, un état libre n’est pas une conjonction d’individus indépendants, car ceux-ci s’opposeraient à la liberté de leur prochain, et réciproquement, celle des autres serait par définition négation de la leur. Or Rousseau ajoute un peu plus loin « La vraie liberté n’est jamais destructrice d’elle-même » (=elle ne se détruit pas elle-même)

Lignes 4-7 : Que produit l’indépendance ? Quelles sont ses conséquences ?

Dans cette partie Rousseau tire les conclusions de ce qu’il vient de dire. L’indépendance ne produit que le despotisme et son corolaire, l’esclavage. Pourquoi ?

En faisant ce qui me plaît, « ma volonté », je ne « règle » pas sur la volonté d’autrui : je me place dans une position du « supérieur », du « maître » et je me donne un pouvoir arbitraire (puisque dépend de ma seule volonté, puisque fondé sur mon bon vouloir) et immédiatement absolu = définition de l’Etat despotique : Il y a une autorité absolue. Mais cela s’accompagne immédiatement d’une « soumission de la volonté d’autrui à la notre » (Ligne 6). Cela signifie donc une obéissance de l’autre sans bornes (sans contraintes) et définit l’Etat d’esclavage.

L’indépendance, en produisant le despotisme et l’esclavage, produit aussi la disparition de la liberté puisqu’un homme peut, sans être inquiété, imposer sa volonté à celle d’autrui. Et même « quiconque est maître ne peut être libre, et régner c’est obéir ». Qu’est-ce-que cela signifie ?

Rousseau écrit dans une note « Tous veulent commander, à ce prix, nul ne craint d’obéir » Dans un régime despotique, on a d’autant plus de pouvoir qu’on se montre servile et soumis à l’égard de ses supérieurs. Nous voulons tous exercer notre pouvoir (=puissance personnelle, faculté d’agir sur l’autre). A trop vouloir imposer sa volonté à l’autre j’en dépends.

Prolongement du texte :

Rousseau, ici, vise implicitement ce qu’il a fait dans le contrat social : montrer que l’Etat despotique et l’Etat d’esclavage sont un non sens : il n’y a en réalité aucun contrat. Or puisque l’indépendance produit l’esclavage, cela laisse entrevoir qu’il n’y aura une liberté que dans le cadre de l’Etat, produit par le contrat social qui donnera naissance à des lois ; c’est ce qu’il démontrera dans la 2nde partie de son texte.

Pourquoi dans l’Etat d’esclavage ou despotique n’y a-t-il pas de contrat ?

Rappel : Ce qui est au cœur du contrat social c’est la volonté générale, dans un Etat d’esclavage ou despotique elle est absente.

La volonté générale est définie (1ère version du contrat social) comme étant « dans chaque individu un acte pur de l’entendement qui raisonne dans le silence des passions sur ce que l’homme peut exiger de son semblable, et sur ce que son semblable est en droit d’exiger de lui ».

2ème Version du contrat social : La volonté générale n’est pas la volonté de tous car la 1ère « ne regarde qu’à l’intérêt commun » la 2nde regarde à l’intérêt privé.

La volonté générale ne peut se prononcer sur un fait ou sur un homme particulier. La volonté générale se règle sur un principe de justice qui ne renvoi pas à un contenu effectif mais qui vise « l’équité et la réciprocité ».

Quand je réalise cet acte pur de l’entendement, en visant l’intérêt commun, le bien commun, je me règle sur un critère, une norme. C’est cette norme qui permet à chaque individu de calculer son propre intérêt en faisant taire l’instinct indifférent aux exigences des autres et de considérer, en termes juridiques, ses droits « ce que l’homme peut exiger de son semblable » et ses devoirs « ce que son semblable est en droit d’exiger de lui » à partir d’un principe de justice dont le seul critère est que chacun puisse le recevoir. (Idées d’équité et de réciprocité).

Appliquons ce schéma à l’Etat d’esclavage il y aura alors un non sens voir même une nullité de l’acte. En ne faisant que sa volonté, le maître ne fait qu’exiger de son esclave, il ne fait que « parler ses droits ». Ainsi, il ne fait pas taire son instinct, indifférent aux exigences des autres : le maître ne tient compte que de ses droits, pas de ses devoirs. Absence de volonté générale, or la volonté générale est au cœur du contrat social. Mais plus encore, il n’y a pas d’engagement, par conséquent, l’acte est nul. En en tenant compte que de ses droits, le maître ne tient pas compte des droits de l’Etat et même, il lui prend ses droits. «  Ainsi quel droit l’autre aurait-il contre moi  puisque tout ce qu’il a m’appartient et que son droit est le mien ? » (Du contrat social, Chapitre IV) Même le maître n’est pas libre (A trop  vouloir dominer l’autre, on montre qu’on dépend de lui). « Quiconque ne peut être libre, et régner c’est obéir ».

En définitive il n’y a pas de DROIT. A l’Etat d’esclavage (et donc dans l’indépendance), on reste dans le domaine de la FORCE.

Réponses aux questions :

-       Cela permet donc de dire que chez Rousseau le droit du plus fort est aussi un non sens.

-       Le pouvoir comme faculté d’agir sur quelqu’un (la force) ne fonde pas le droit.

-       La domination sur l’autre ne fonde pas le droit.

Conclusion de la 1ère Partie :

L’indépendance se situe hors contrat, et demeurant dans le domaine de la force (domination sur l’autre), elle supprime l’individu puisqu’elle supprime ses droits et par conséquence la liberté. Or, la liberté, s’opposant à l’indépendance, se situe donc u cœur du contrat et avec lui l’apparition du droit et des lois.

II-            Liberté et Lois. (Ligne 9 – Fin)

Ligne 9 : « Il n’y a donc point de liberté sans loi, ni ou quelqu’un est au dessus des lois ». Rousseau va montrer que c’est dans l’obéissance aux lois que je vais réaliser ma liberté. Qu’est-ce-que la loi ? De quel type d’obéissance s’agit-il ?

Définition de la loi : « l’expression de la volonté générale » et la volonté générale c’est MOI comme être rationnel, qui doit mettre constamment mon propre intérêt en rapport avec celui des autres : Je dois viser l’intérêt commun. Mais en le visant, je vise aussi le mien. Donc, quand j’obéis à la loi, qui est l’expression de la volonté générale, je n’obéis qu’à moi-même. Je suis libre. Plus encore qu’intérêt commun, intérêt de tous = obéissance à tous donc à personne.

Dès lors qu’un homme ne vise que ses intérêts particuliers (il ne fait pas taire son instinct, il ne fait plus la volonté générale). Comme la loi est l’expression de la volonté générale, alors ce « quelqu’un se situe au dessus des lois » et il n’y a plus de liberté.

Ligne 10 : Rousseau fait une analogie à l’Etat de Nature pour « insister » sur le fait qu’obéissance et liberté ne sont pas contradictoires. « Dans l’Etat même de nature, l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous ».

Loi naturelle : Ensemble de règles et de conditions que nous impose la nature originelle. Exemple : L’instinct de conservation.

De plus, si Rousseau fait une analogie à l’Etat de nature, c’est pour montrer que la définition de la liberté donnée ici s’applique en quelque manière à l’Etat de nature : Les hommes étaient libres, non pas en raison du respect de la loi politique ou civile mais en vertu de celui de la loi naturelle. Celle-ci innée en l’homme tenait lieu de loi civile grâce aux commandements qu’elle prescrit, lesquels étaient naturellement inscrits dans le cœur de tous et sans cesse rappelés par la voix de la conscience. C’est elle qui exigeait des hommes qu’ils respectent leur prochain et lui portent secours en cas de danger. Toutefois la loi politique garantissant par la force commune ce que les hommes connaissent alors par sentiment intérieur, a réussi à instaurer cette liberté de manière durable et sûre. Dans l’Etat de nature, elle était précaire, constamment menacée par le pouvoir et la force de ceux qui préféraient écouter la voix de leur appétit et de leurs intérêts.

Liberté et obéissance sont liés. De quel type d’obéissance s’agit-il ?

Lignes 11-14 : Distinction entre « servir » et « obéir ».

« Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas : il a des chefs et non pas des maîtres, il obéit aux lois mais il n’obéit pas qu’aux lois, et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes ».

Ne sert pas = servir, être esclave, être soumis.

La liberté est « obéissance à la loi qu’on s’est prescrite ». Je n’obéis pas à des puissants hommes, sinon je servirai, je serais soumis, esclave et donc il y aurait une perte de liberté.

La liberté est une obéissance à la loi librement consentie et même je n’obéis qu’à moi-même ce n’est donc pas une soumission à l’autre. J’ai des chefs i.e. des dirigeants qui gouvernent selon les lois de la cité et non pas des maîtres (ceux qui exercent une domination par la contrainte). Au fond, faire une distinction entre servir et obéir revient à en faire une entre contrainte et obligations.

 

 
 

Contraintes et obligations.

 

 

 

Pour les sujets suivants :

 

J’obéis à moi-même.

 

 

Je sers, je suis soumis.

 

- Se sentir obligé est-ce renoncer à sa liberté ?

 

       
   
 
     

 

 

 

 

 

n  Pour les sujets suivants :

- Se sentir obligé, est-ce renoncer à sa liberté ?

- La liberté de l’homme se réduit-elle à l’absence de contraintes extérieures ?

Ainsi Rousseau inscrit l’exercice de la liberté dans le cadre de l’Etat : on ne peut pas alors lui objecter qu’une loi puisse être injuste et un pouvoir tyrannique. L’Etat évoqué, en réalité, par Rousseau est l’Etat de droit qui se reconnait donc au fait que les citoyens obéissent à l’expression de la volonté générale qu’incarnent les lois, sans avoir à servir les intérêts d’un tyran.

Ce qui est légal est-il nécessairement juste ? La loi est l’expression de la volonté générale la mienne et celle des autres étant juste.

« C’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes ».

La loi émane de la volonté générale, elle indique une règle impérative possédant une puissance de coercition (action de contrainte) mais émanant de la volonté générale, cette règle lorsqu’elle est prescrite, appliquée par une autorité (ce sera la fonction du pouvoir exécutif), cette autorité est elle-même tenue au respect de la volonté générale. (Force des lois = force commune) C’est encore dans l’intérêt de tous, et donc à moi-même, que j’obéis aux lois et quand bien même je chercherai à m’en détourner de l’intérêt commun : « on me force à être libre ».

Est-ce la même chose de faire respecter le droit par la force que de fonder le droit sur la force ?

Ligne 14 – fin : Conséquence, Rousseau montre que dans un Etat libre, Etat de droit, personne n’est au dessus des lois. Les gouvernants eux-mêmes doivent servir les lois (les ministres sont en quelque sorte des serviteurs), et non servir des lois pour leur propre intérêt.

« Ils » signifient les magistrats, à l’époque, ce terme avait une signification plus large que de nos jours, le juge mais aussi celui qui détient la puissance exécutive, en sont les ministres non les arbitres ; ils doivent les garder non les enfreindre.

Conclusion : « un peuple est libre, quelque forme qu’ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne, il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loi ».

Peuple = Groupe de personnes rassemblées et ayant en commun des institutions.

La loi ne considère jamais un homme comme individu ni une action particulière.

« Ainsi la loi peut bien statuer qu’il y aura des privilèges mais elle n’en peut donner momentanément à personne » et « ce qu’ordonne même le souverain sur un objet particulier n’est pas non plus une loi mais un décret ».

La loi se définit par un cadre, une norme générale et abstraite. Elle garantit contre la domination de l’autre.

« En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles, je ne sache rien de plus certain ».

Conclusion / Texte : La véritable liberté n’est pas l’indépendance, c’est celle que Rousseau nomme : « la liberté civile » qui est une liberté politique. Elle ne se réalise que dans l’obéissance à la loi, expression de la volonté générale : c’est donc une obéissance librement consentie.

Ainsi Rousseau en instaurant un Etat de droit sauve l’individu parce que la liberté civile me garantit contre la domination de l’autre. Mais plus encore, si dans l’Etat d’esclavage ou despotique la liberté est supprimée car l’individu est « anéanti », cela signifie que la liberté définit la nature de l’homme. C’est ce qui fera dire à Rousseau que « la liberté est inaliénable en droit. »

Ainsi dans « Du contrat social » (Livre I, Chapitre VI) « ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre, ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède.

La perte de la liberté naturelle ne comporte aucunement le sacrifice des libertés dont les sujets doivent jouir en tant que particuliers : étant illimités et imparfaites à l’état de nature, elles deviennent limitées et garanties par la volonté générale dans la société. 

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