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MOLIÈRE ET LA TRADITION COMIQUE - L'INTRIGUE — LA FARCE — LA FANTAISIE

Publié le 26/06/2011

Extrait du document

Nous avons dit que le moindre souci des prédécesseurs de Molière était la vraisemblance et la cohérence de l'intrigue. Il leur faut avant tout, à l'école des Espagnols, des Italiens, de la tragi-comédie, de la tragédie et des romans, des événements singuliers, des hasards miraculeux, accumulés jusqu'à être, du moins à la lecture, tout à fait inextricables. Assez souvent même ils se soucient peu de l'une des règles, légitime celle-là, élaborées par les doctes : la liaison des scènes. Les personnages arrivent ou s'en vont sans autre raison que la commodité et la paresse de l'auteur. Sur ce point le progrès est médiocre depuis. Mélite et les premières comédies de Boisrobert jusqu'à Quinault ou Thomas Corneille. Molière n'a aucune velléité de réagir contre ces nonchalances. Son moindre souci est la construction de son intrigue. Sans doute, la plupart de ses comédies, parce qu'elles sont des peintures de caractères ou de moeurs, ont une action beaucoup moins complexe que le Geôlier de soi-même ou les Trois Orontes. Mais les dénouements sont rarement beaucoup plus vraisemblables. Quelle rencontre miraculeuse de hasards (dont chacun pris à part est déjà un miracle), il faut supposer pour permettre, à la fin de l'Avare, que Cléante épouse Mariane et Valère mise.

« plaisanteries qu'il serait inutile de renouveler puisqu'elles soulèvent toujours les mêmes rires.

Si l'on cherche lessources de ses traits de comique burlesque, on les trouve partout et l'on ferait une très courte liste de ceux quisemblent vraiment lui appartenir.

On ne peut pas dire non plus que la farce devienne chez lui plus discrète et que le rire y soit, malgré le genre, de meilleurecompagnie que chez les contemporains.

Evidernment, même le Mariage forcé ou le Médecin malgré lui ou M.

dePourceaugnac sont des pièces moins populacières que les farces de Tabarin, de Gaultier-Garguille ou les prologuesde Bruscambille ou la commedia dell'arte.

Il y a chez Molière beaucoup moins d'indécences et beaucoup moinsmarquées et beaucoup moins de cornique de pots de chambre que dans telle comédie-farce de Boisrobert ou deScarron.

Mais il y en a tout de même.

La gauloiserie tient sa place dans pas mal de ses farces et l'on sait, pour nousen tenir à cet exemple, le rôle que jouent les clystères dans M.

de Pourceaugnac.

D'ailleurs, ce n'est pas seulementchez Molière qu'on voit la jovialité s'obliger à plus de pudeur et de mesure.

Le goilt a plus d'exigences dans toute lalittérature comme dans les moeurs.

La satire ordurière et violemment caricaturale qui plaisait au début du siècle etjusque vers 164o devient la satire plus décente et plus judicieuse de du Lorens ou de Furetière.

Le burlesque sansdoute a fait fureur pendant une quinzaine d'années.

Mais, s'il n'a pas disparu, il a perdu une bonne part de sonprestige vers 166o.

Ce n'est pas seulement chez Molière mais chez tous les contemporains qu'on met dans lesfarces moins de poivre et de gros sel.

Les farces de de Visé, de Brécourt, de Chevalier, de Boursault ou des autressont beaucoup plus soucieuses, et peut-être plus soucieuses que celles de Molière, de respecter les délicatessesdes honnêtes gens.

De Visé, par exemple, en 1667, choisit un sujet qui aurait pu prêter, cinquante eu même trenteans plus tôt, à des jovialités où la chasteté n'aurait pas trouvé son compte : l'Embarras de Godard ou l'accouchée.La femme de Godard est sur le point d'accoucher et l'on n'arrive pas à trouver une sage-femme ; deux amants, dontla fille de Godard, sont empêtrés dans l'affolement.

De Visé atteste que sa pièce n'est point une farce bien quecertaine scène en tienne un peu.

Nous ne nous en douterions peut-être pas aujourd'hui, mais elle est évidementmoins haute en couleur que le Médecin malgré lui ou Monsieur de Pourceaugnac.Molière n'a pas davantage le mérite d'avoir agencé ses farces avec des marionnettes nouvelles.

Assurément, il n'y aplus chez lui un seul capitan, plus un seul parasite.

Ses pédants sont très différents du docteur traditionnel de lacomédie italienne.

Il conserve la dame d'intrigue mais par exception.

Il donne une bien plus large place au valetbouffon tantôt capable de toutes les bourdes tantôt habile à ourdir les trames les plus ingénieuses et les plusprofitables.

Mais ce valet existait plus ou moins dans la réalité ; l'une des marques des gens de qualité était qu'ilsétaient toujours suivis de leurs gens et pour le moins d'un valet ; au collège les élèves bien nés qui étaient interneslogeaient avec un valet (ou un précepteur) qui prenait soin de leur garde-robe, les peignait, etc...

La familiaritéétait grande très souvent entre M.

le comte ou M.

le marquis et Champagne ou Picard ; et dans les bagarres oualgarades que suscitaient les collégiens ou auxquelles ils se mêlaient volontiers, Picard et Champagne tenaientsouvent un rôle que l'on appréciait.

D'autre part, ce valet de farce se transforme chez Molière comme son nomchange.

C'est Molière qui crée sans doute le nom de Mascarille et c'est lui qui invente le type de Sganarellebeaucoup plus souple que les types conventionnels de la farce, puisqu'il est marié aussi bien que garçon et sonmaître aussi bien que valet.

Mais cette évolution, ce besoin de renouvellement existent chez les contemporains.

Illeur arrive d'avoir encore recours, après 1660, au capitan, au parasite, au docteur traditionnels, mais c'est parexception.

Et l'on veut si bien que le valet bouffon ne soit plus tout à fait le même qu'on a besoin de lui donner desnoms nouveaux: Carpalin, Philipin du Jodelet.Pourtant Molière a bien renouvelé la farce même lorsqu'il s'agit des pièces qui, d'un bout à l'autre, ne sont qu'unefarce.

On a en a donné, dès qu'on n'a plus seulement traité ces farces par le mépris, une raison qui est claire et quiest solide.

La farce chez Molière reste, comme il convient, une caricature, mais ce n'est pas toujours une caricaturequi se propose seulement d'épanouir la rate.

C'est la caricature-portrait où nous reconnaissons, sous des traitsappuyés et grossis, les visages mêmes de la vie.

Il suffirait d'atténuer telle grimace, de mettre un peu plus dediscrétion dans telle plaisanterie pour que les Précieuses ridicules ou la Comtesse d'Escarbagnas fussent descomédies de caractère ou de moeurs et ne puissent plus s'appeler des farces.

Dans le Mariage forcé, Pancrace etMarphurius sont bien des pédants et des docteurs à l'ancienne mode, chargés d'apporter du galimatias et unescience imbécile là où il ne faudrait que du bon sens.

Ils sont les cousins des docteurs italiens, du Pédant joué deCyrano, du pédant médecin Hippocrasse de la Clarice de Rotrou, du Métaphraste du Déniaisé de Gillet de laTessonnerie, etc...

sans parler de toute la lignée des pédants de la satire et du roman, du Barbon de Balzac, del'Hortensius du Frandon, du parasite Mormon de l'ami de Molière, l'abbé Le Vayer, etc...

Mais ils ne sont pas leursfrères.

L'outrance de la caricature est telle, chez les autres, qu'on peut bien rire, mais qu'on ne songe pas plus à laréalité, à des personnages vivants que si l'on regarde Guignol rossant le commissaire ou les monstres d'une tentationde saint Antoine.

Tous ceux qui avaient au contraire été au collège et fait leur philosophie, tous ceux qui avaientargumenté dans les facultés pouvaient reconnaître, à travers la farce de Molière, le ridicule d'un enseignement quiprenait un argument en forme, la fidélité aux méthodes de la dialectique scolastique pour une raison raisonnable etune vérité claire et certaine.

Tous pouvaient retrouver dans l'ire de Pancrace celle des docteurs qui allaient presqueréussir, en 1671, à faire traîner dans les prisons, par les soins de l'autorité, ceux qui croyaient à Descartes, âGassendi et à la circulation du sang.

" Vous voulez peut-être, dit Pancrace à Sganarelle, savoir si la substance etl'accident sont termes synonymes ou équivoques à l'égard de l'être ?...

si la logique est un art ou une science ?...

sielle a pour objet les trois opérations de l'esprit ou la troisième seulement ?...

s'il y a dix catégories ou s'il n'y en aqu'une ?...

", etc...

Ce sont exactement des problèmes que la métaphysique et la logique des collèges posaient etprétendaient résoudre.

Mais ce sont seulement dix lignes de style scolastique (le reste n'étant que du verbiagesolennel et vide).

Dans l'Ecole des cocus de Dorimon, le Docteur comme notre Pancrace s'enlise et nous enlise dansle même jargon inintelligible pour ceux qui ne sont pas des initiés.

Mais Dorimon en a entassé les phrases, membresde phrase et vocables de façon qu'ils soient inintelligibles pour ceux mêmes qui enseignaient la scolastique ; et cesont cinquante lignes de charabia et non dix.

Marphurius, lui, applique à la rigueur les principes de la doctrinesceptique.

Aux questions de Sganarelle il ne répond que par. »

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