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La Rochefoucault, 10 premières maximes

Publié le 03/05/2012

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Intro : grand seigneur, appartient à la plus haute aristocratie. Bravoure et audace. Participe à la Fronde des nobles contre le pouvoir royal. Longues années d’exil sur ses terres puis retour à Paris (1656) : brille dans les salons, en particulier celui de Mme de Sablé où s’est développé l’art de la maxime.

→ forme brève, finement travaillée, et vigoureuse, lapidaire.

→ correspond à une image de l’homme du monde : le moraliste des Maximes n’est pas austère ni rebutant ; l’analyse du cœur humain et des travers des hommes passe par la finesse de l’esprit et l’élégance de la formule. Divertissement d’honnête homme.

L’ouverture du recueil (maximes 1 à 11) articule de grand thèmes de la réflexion morale : les vertus, l’amour-propre, les passions.

 

I Les maximes sous forme d’affirmations simples

Explorent un des aspects du thème abordé.

a) sous forme de définition

- présence réitérée du verbe être. Formules attributives : 2 , 4, 8.

- ménagent toujours un effet de surprise

: effet d’attente créé par le superlatif, c’est le dernier terme de la maxime qui en constitue le complément = « flatteurs » / intensité redoublée de l’affirmation « le plus, de tous » / choix d’un adjectif simple et polysémique (ici grand = convainquant, efficace, doué) / personnification ( les flatteurs connotent souvent les courtisans)

→ l’amour-propre nous « flatte », il nous entretient dans l’illusion sur ce que nous sommes et jamais nous ne doutons de cette « flatterie ».

4 : effet de variante (dans une série de trois sur l’amour-propre) / comparatif associé à un superlatif : renforcement et mise en valeur de l’adjectif répété « habile », polysémique (adroit, rusé, diplomate, savant…) / personnification : sens à la fois proche et différent de la maxime 2

→l’amour-propre séduit, persuade pour obtenir ce qu’il veut ( de nous et des autres, tout ce qui peut le conforter)

8 : réflexion plus développée. 2 formules définitoires :

« les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours » : lieu commun du « langage de la passion », supposé universel. Adresse directe aux sentiments du destinataire d’où la « persuasion » + rapprochement sonore « passion / persuasion ». La figure de l’orateur ajoute une idée d’art développée dans la proposition suivante

« elles sont comme un art de la nature dont les règles sont infaillibles » : quasi-oxymore et idéal classique des règles qui recherchent le naturel et l’émotion.

Pause dans la voix avec le point-virgule, connecteur « et » mais lien de conséquence et pas simple ajout : l’illustration de la réflexion est construite par symétrie autour du verbe (persuade mieux) : superlatif et relative, parallélisme souligné par l’antithèse « simple », « éloquent ».

→ définit une part du pouvoir des passions : elles donnent une force au discours que l’art (« le plus éloquent ») ne peut égaler

CCl : sur deux thèmes facilement associés : l’homme comme le jouet de l’amour-propre et des autres passions.

 

b) présentation d’une caractéristique

 - Le thème n’est en général pas à l’ouverture de la maxime. Plaisir déjà dans ce retard qui permet la réflexion : développement du même thème ou enchaînement, rupture ? Maximes 3,5, 10, cas limite de la 9

3 : métaphore filée (découverte, pays, terres inconnues) : rappel élégant de la carte du tendre de Clélie (Madeleine de Scudéry)

→ image ici appliquée à l’amour de soi-même et plus à l’amour de l’autre. La concessive souligne le fait qu’il est tout aussi complexe et difficile à cerner.

 

: simplicité et équilibre, trois segments de 7-8 syllabes, comparatif au centre, répétition du terme « durée » : portée retardée, « ne dépend pas plus de nous », la négation du comparatif se révèle grâce qu complément une négation totale : ne dépend pas de nous (puisque la durée de notre vie est fixée par Dieu).

10 : Trouvaille dans l’expression autour du lieu commun du cœur comme siège des passions : double système métaphorique, les passions comme organismes vivants qui naissent sans cesse « génération perpétuelle », alors que la consécutive introduite par « de sorte que » avec les termes de « ruine » et « établissement » connote le pouvoir politique des empires qui se succèdent

→ les passions ont une vie autonome et elles exercent sur nous un véritable empire.

 

CCl : formules plus souples que les maximes sous forme de définition mais là encore, la présentation prétend à l’évidence.

Cas de la : une caractéristique des passions « injustice / propre intérêt » mais formulation plus paradoxale et difficile à suivre à la première lecture.

→ mise en garde par deux formules quasi-synonymes : « qu’il est dangereux de les suivre, et qu’on doit s’en défier ». Lieu commun du danger des passions.

→ antithèse qui frôle l’oxymore : « passions » / « raisonnables » : l’explication est dans le verbe « paraissent » = les passions dissimulent leur véritable nature, leur démesure

→ « injustice » et « propre intérêt » : caractéristiques négatives, la passion détourne de la mesure, de l’équilibre (la justice), de l’appréciation raisonnable (intérêt général).

Transition : un certain nombre de maximes – parmi celles qui incitent le plus à la relecture – sont constituées de retournements paradoxaux qui surprennent comme des énigmes et invitent à la réflexion.

 

II Les retournements

La maxime excelle à dévoiler l’erreur des apparences, les faux semblants.

a)      la restriction

-         Négation restrictive « ne…que » mise en valeur dans la première maxime. Reproduit un dévoilement décevant, d’un terme valorisé, d’une qualité supposée à une réalité moins admirable.

« Ce que nous prenons pour des vertus n’est souvent qu’un assemblage de diverses actions et de divers intérêts »

→ avant d’aborder les faiblesses (amour-propre, passions), le moraliste s’en prend à la fierté humaine par l’exemple des vertus. (vertu = sens étymologique, énergie morale, force d’âme)

→ les vertus sont dévalorisées par le terme d’« assemblage », le polyptote « divers/diverses » qui soulignent le caractère hétéroclite des motifs réels du comportement qualifié de vertueux.

→ là encore règne l’illusion, le paraître « que la fortune ou notre industrie (= ingéniosité) savent arranger (=organiser, disposer pour leur donner un air convenable)» : ce qui paraît une vertu n’est qu’une apparence, une attitude fruit du hasard ou de la ruse.

→ illustration du propos avec les vertus féminine et masculine (vaillance et chasteté), évoquées en parallélisme.

→ modalisation par des adverbes : « souvent » dénonce la fréquence de l’illusion sur les vertus / la ngation « pas toujours » peut alors sembler ironique = très rarement.

CCl : dénonce une illusion mais ne la remplace par aucune affirmation. Laisse au lecteur le soin de penser aux possibilités, aux motifs dissimulés derrière les vertus apparentes données en exemple.

 

b)      les renversements paradoxaux 

Retournements marqués dans la maxime par la présence d’antithèses appuyées (6,7,11).

6 : renversement lié à la passion. Assez banal pour la première proposition : lieu commun de la passion comme folie. « fait souvent un fou du plus habile homme ». La deuxième affirmation, renversement inverse est nettement plus surprenante « rend souvent les plus sots habiles ». Symétrie appuyée par le parallélisme de construction qui suggère comme une évidence au-delà du paradoxe.

: la plus développée de la série.

→ Suite de termes mélioratifs : « grandes, éclatantes, éblouissent, grands desseins (acmé).

→ retournement annoncé par « au lieu que ce ne sont d’ordinaire » : accents d’intensité sur « ordinaire », « humeur » et passions ». Réduit la prétention des « politiques » à la passivité de celui qui est entraîné, s’oppose à l’activité raisonnée des « grands desseins »

→ ex en illustration. Nuancé par « peut-être » : Auguste l’emporte, Antoine et Cléopâtre se suicident (« jalousie » amoureuse comme origine de la rivalité = interprétation discutable)

11 :. Jeu sur les modalisateurs ne vérité « souvent / quelquefois / souvent ». Série d’antithèses qui invitent à rechercher des exemples.

CCl : place laissée à la réflexion du lecteur, s’étonne, s’oppose peut-être ou s’indigne puis se laisse persuader. Plaisir particulier de la lecture lié à la forme brève.

 

III Le plaisir du lecteur

a)      les enchaînements et les surprises

Mise en ordre des maximes pour leur publication. Goûtées individuellement mais effet d’ensemble également.

- 1 à 2 : pas de lien marqué. Point commun de l’illusion : vertu et apparence / l’amour-propre comme maître des apparences.

- 2 à 4 : effet de série brève et encadrement par des formules proches (2 et 4).

- Suite développée sur les passions : rupture apparente avec l’amour-propre : peut-être la plus forte des passions. Thèmes abordés : la durée, l’effet sur l’esprit, leur place dans la politique, l’art de convaincre, le danger des passions, leur renouvellement.

→ alternance entre des formulations plus sérieuse, d’autres plus plaisantes.

→ des effets d’écho ou d’enchaînement discret : 6 et 8 l’habile homme, le sot / l’homme le plus simple, le plus éloquent, 5 et 10 : reprise du thème, 10 et 11 : génération / engendrent, suite de la réflexion marquée par la dérivation lexicale.

 

b) la place de la réflexion.

- apparente liberté qui incite aux pauses, aux silences :

→ entres les maximes (déjà suggéré par la mise ne page, et le chiffre, isole la maxime)

→ à l’intérieur des maximes : points virgules et « et » de reprise. (ex : 1, 8).

- l’esprit est arrêté et surpris par les variations dans les formules : la maxime recherche la surprise, le sel dans l’expression aux dépens de la simplicité. Déjoue les attentes pour mieux persuader par la nouveauté de l’expression :

→ décalage entre la formulation et l’idée attendue : ex 10 » génération » laisse attendre « mort », « ruine » apporte des connotations différentes.

→ compréhension retardée : ex1 « « par valeur et par chasteté » semble associer les deux qualités et le terme « valeur » est polysémique, prépare en fait une dissociation « vaillance » pour les hommes, « chasteté «  pour les femmes.

→ ambiguïtés de lecture : ex 4 le plus habile / homme du monde ou le plus habile homme / du monde. Selon que le groupe prépositionnel est perçu comme C du Nom ou CClieu, le sens de la maxime varie légèrement (homme du monde = homme de cour)

→ jeu sur les modalisateurs de fréquence : souvent (le plus employé) / quelquefois / d’ordinaire / presque toujours. La réflexion du moraliste ne prétend pas à une absolue vérité, il s’agit simplement de révéler les comportements communs.

 

CCL : Comme tous les moralistes classiques, goût pour la forme brève (cf La Bruyère, Pascal). Vision désenchantée de la nature humaine, entraînée par l’amour-propre et les passions qui détournent du bien et du vrai.

Forme qui correspond cependant à l’idéal du siècle, celui de l’honnête homme, élégant, sociable, poli par la réflexion.

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