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Peut on conserver une liberté sans loi ?

Publié le 27/02/2008

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On connaît la fameuse sentence d’Ivan Karamazov dans l’ouvrage de Dostoïevski : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ». On pourrait y faire remonter le topos anarchisant « Ni Dieu, ni maître ». Sur cette voie, un secret désir semble étreindre le cœur de l’homme et attendre le moment où il pourra s’avancer, levant haut l’étendard d’une liberté absolue, d’une liberté sans foi, ni loi. Mais l’homme est un être retors, fait d’un bois si courbe que toujours il se soumet à l’autorité d’un autre pour mieux couver en son fond le songe inavoué d’une indépendance absolue. Or que pourrait signifier une telle absoluité ? N’est absolument libre que celui qui ne se soumet à aucune loi, ni politique, ni même rationnelle, car il reconnaîtrait encore ici un impératif extérieur. Défiant la logique, une liberté absolue serait une liberté indéterminée. Mais qu’existe-t-il dans l’être qui ne soit situé, et par là-même déterminé à occuper une place ? Quand bien même elle se pose par soi, la liberté doit se réaliser. Et n’est-ce pas là acquiescer à une réalité qui soit déjà présente, prête à l’accueillir ?

Aussi convient-il, avant même de se demander si une liberté peut exister moralement ou politiquement sans une loi qui la contienne, si une telle idée est elle-même représentable. Construisant le concept de liberté y découvrirait-on la loi, comme contenue analytiquement en lui ? Ou bien est-ce qu’une trop vieille habitude de soumission nous pousse à concevoir comme nécessité d’essence le simple produit d’une synthèse arbitraire ? Reprenons la formule cartésienne à propos de la dualité du corps et de l’âme : ce qui peut être ôté d’un sujet sans que ce dernier ne disparaisse en est un accident et n’appartient pas à son essence. Appliqué au problème de la liberté cet axiome nous enjoint à poser la question suivante : en quel sens la loi est une condition de possibilité de la liberté ?

S’interroger sur le rapport de la liberté à la loi, c’est rechercher l’ordre au sein duquel la liberté fait sens. Si nous voulons résister à l’abstraction et ne pas tenir la liberté pour une substance demeurant par soi, il nous faut déterminer le lieu relatif de son existence. Il s’agit par conséquent de déplier le paradoxe d’une liberté qui ne peut être qu’à condition de n’être pas absolue et tenter ainsi de concevoir la liberté par l’engendrement de son concept, afin d’en mieux saisir la possibilité et les conditions qui la soutiennent.

Le premier problème qui se pose par conséquent à nous consiste dans la détermination du concept de liberté. Dans cette perspective, la question qui nous aiguille est celle de savoir si le concept de liberté contient celui de loi. Aussi, afin de mieux rapporter l’une à l’autre ces deux notions, il convient en premier lieu de les opposer. Nous pouvons ainsi commencer par mettre en regard de la liberté l’idée de nécessité. C’est en effet cette dernière qui semble soutenir l’idée de loi. Qu’est-ce que la nécessité ? Elle nous apparaît dans son caractère le plus générale comme une détermination. Ce qui est déterminé en soi est nécessaire. Or notre premier constat va consister à montrer que la liberté ne se peut concevoir que limitée en son concept par celui de nécessité. Cette affirmation paraît au premier abord paradoxale en ce que nécessité et liberté devraient bien plutôt s’exclure. Mais tentons de cerner la difficulté par un abord plus formel. Nous pouvons formuler trois propositions qui s’excluent : soit A existe par rapport à lui-même et il est nécessaire ; soit A existe en fonction de B et il est déterminé ; soit enfin A et B s’excluent au sein d’un même univers et alors A et B se limitent réciproquement : poser A c’est exclure B, mais on ne peut poser A sans poser B. Si nous appliquons à notre problème ce simple résultat logique nous pouvons conclure que la liberté et la nécessité, appartenant au même univers, il faut entendre la liberté à partir de son contraire, la nécessité.

Poussons, à présent, plus loin notre recherche et demandons-nous quel est le lieu de la nécessité. Suivant la distinction canonique d’Aristote, nous pouvons reconnaître la nature comme le lieu de la nécessité, alors que le monde des affaires humaines est celui de la contingence. Retenant le propos logique établi plus haut, c’est de la Nature qu’il nous faut partir pour concevoir la liberté. Ainsi posons-nous la question : comment se réalise la nécessité naturelle ? Autrement dit, comment se maintient la nature ? Nous pouvons commencer par établir que la Nature se maintient dans le temps. Le caractère nécessaire d’une loi de la nature dépend en effet de la possibilité d’une connexion causale de deux phénomènes et partant de leur liaison temporelle. En ce cas, comment concevoir la nécessité pour la nature de se maintenir dans l’être ? L’étymologie ici nous aiguille sur l’impensé de nos formules habituelles. Maintenir, en effet, manutere en latin, signifie tenir avec la main. N’est-ce pas en effet ainsi que s’est conçue jusqu’à peu la persistance de l’étant universel : par l’effort volontaire d’un principe transcendant à l’ordre naturel, entendons Dieu. C’est bien l’être divin qui, chez Descartes notamment, fournit autant de force à maintenir l’être de la nature dans le temps qu’il en avait mis lors de la création et qui permet ainsi de parler de création continuée. Ainsi le maintien de la nature appelle un principe d’ordre transcendant et divin. Or, en ce cas, notre question de départ trouve sa réponse. Si nous postulons l’existence de Dieu, nous présupposons avec elle l’idée d’une loi divine et par là-même la nécessité pour nous, créatures, d’y obéir. Mais la liberté de Dieu est-elle liberté absolue ou nécessitée en sa manifestation ? Comment une liberté qui s’exprimerait par une loi ne serait-elle pas loi elle-même ? Raison pour laquelle Leibniz rejetait la thèse de la création des vérités éternelles, thèse qui semblait introduire de l’arbitraire dans la création divine.

Mais un problème se pose en ce que, par le fait du recours à la loi divine pour expliquer la liberté divine, nous nous donnons justement ce qui est question, à savoir l’intégration de la liberté dans la loi. Aussi nous faut-il entreprendre une seconde navigation, en reprenant notre dernière interrogation : comment concevoir le maintien de la nature dans le temps et par là l’existence d’une législation universelle ? Quittons alors les abstractions et demandons-nous pour qui y a-t-il nature ? Justement pour nous, dont la liberté par rapport à elle est pour l’instant en question. Aussi rangeons-nous à cette évidence phénoménologique : concevoir la nature et sa nécessité, c’est pour nous retenir les moments de son apparition. C’est du point de vue de l’être raisonnable que se conçoit la nécessité universelle des lois naturelles. Aussi pouvons-nous faire nôtre l’héritage kantien en vertu duquel c’est la raison qui maintient et organise le phénomène. De par l’idéalité transcendantale, un phénomène ne peut se donner à notre perception que dans la mesure où ce divers est organisé à partir des formes a priori de notre sensibilité. Ainsi le phénomène ne s’engendre pas dans le temps, comme une algue dans l’eau, mais par le temps, ce temps n’étant autre chose que l’activité logique de synthèse par laquelle s’opère la saisie du phénomène dans l’unité du Moi pur.

Ainsi nous cherchions à fonder la liberté à partir de la nécessité, mais c’est finalement la nécessité qui est conditionnée par l’activité législatrice et rationnelle du sujet transcendantal. Aussi la question se pose-t-elle de savoir si la raison, et avec elle le sujet qui la porte et qui introduit cette légalité dans l’ordre naturel, ne pourrait pas être dite libre car première par rapport à la nécessité qu’elle engendre.

Or, la question qui nous retient à présent, celle de savoir si la raison est libre par rapport à l’ordre qu’elle introduit dans la nature, nous conduit à celle-ci : qu’est-ce qui fonde cette législation rationnelle ? Mais il convient, avant tout, de rectifier une erreur possible : celle de l’idéalisme. En effet, ce Je dont l’activité originaire permet d’appréhender l’unité du divers phénoménale dans le temps et dans l’espace, ce Je est tout le monde et il n’est personne. En tant qu’être sensible et incarné, je ne peux pas ne pas percevoir le monde tel que je le perçois : ce monde est déjà constitué pour moi qui m’y inscrit, même s’il est constitué par le Moi transcendantal qui, par définition, n’est pas de ce monde. Il s’agit, comme Merleau-Ponty a pu le montrer dans La structure du comportement, d’une intégration réciproque de l’organisme à son milieu et du milieu à l’organisme. Aussi, si c’est bien le sujet pur qui fonde la légalité naturelle, cette activité n’est pas le fait d’un libre choix, mais celui d’une adaptation nécessaire. En créant un ordre, je crée l’ordre auquel je me rapporte. Je s’individualise. Le monde est certes représentation, mais cette représentation est nécessitée elle-même par l’unité en soi du monde qui phénoménalement se distingue d’elle-même pour se donner l’être et l’extension spatio-temporelle de son développement. Il serait permis d’illustrer cette idée à partir de la théoscopie de Jacob Boëhme en laquelle, Dieu, principe unique, engendre le monde pour se connaître par le retour à soi-même. Autrement formulée cette idée se retrouve chez Schopenhauer dans Le Monde comme Volonté et comme Représentation. L’essence du monde est la Volonté absolument libre mais qui s’objective en Idées singulières dont la nature consistent à s’opposer et se dépasser à travers la lutte des individualités qui les composent.

Aussi, loin de servir à montrer l’indépendance de la raison humaine à l’égard de la loi naturelle, nous sommes conduits à ne voir dans l’ordre introduit par la raison dans la nature phénoménale qu’un jeu par lequel cette nature même s’engendre. Par conséquent, en tant qu’êtres individués, nous sommes soumis à l’impératif que nous dicte la nature en soi : accroître par notre propre survie l’expansion de la volonté naturelle. Nous sommes ainsi asservis à un impératif de conservation, et c’est cette nécessité vitale qui nous oblige à nous représenter un ordre naturel, représentation qui nous assure une possibilité de survie. Le concept et l’intelligence sont issus d’une nécessité pratique d’adaptation vitale, comme l’ont suffisamment mis en lumière Nietzsche et Bergson, pour qui l’activité consciente ne fait que dessiner un certain champ d’action possible autour de nous. Nous sommes, par conséquent, obligé de reconnaître que cette nature seule est vraiment libre. Nous voici donc reconduits à l’affirmation déjà avancé : la nature se maintient. Mais nous pouvons faire à présent l’économie d’un principe transcendant : la nature se maintient par elle-même. Deus sive natura, la nature crée le lieu de sa propre expansion, comme l’ont exprimé les stoïciens. Aussi la nature est-elle Dieu même, libre en soi, cause de son propre être. Dès lors, suivant l’analogie antique du cosmos à l’organisme, pouvons-nous dire que, étant parties de la nature, nous réalisons notre être propre, en suivant sa loi. Il nous est par conséquent nécessaire de reconnaître son ordre pour connaître notre propre fin et nous y conformer. Mais, en ce cas, s’il s’agit pour nous de réaliser rationnellement et volontairement ce que l’animal réalise par instinct et la pierre par nécessité, ne pouvons-nous pas dire que nous sommes libres aussi de nous affranchir de son ordre comme de nous y soumettre ?

En effet, si l’homme a la possibilité de s’inscrire, c’est parce qu’il peut s’écarter. L’homme, milieu entre le néant et Dieu, doit réaliser par ses propres forces ce que la nature fait pour les autres êtres. Or, comment s’introduit cette liberté dans le monde ? N’est-ce pas par la rupture de l’ordre nécessaire et la défiance à l’égard de la loi naturelle que l’homme en est venu à s’écarter de cet ordre qu’il lui faut reconquérir par les moyens qui lui ont permis de s’en écarter ? En ce cas, la condition d’apparition de la liberté n’est-elle justement pas le dépassement de la loi ? C’est là l’histoire de la chute originelle, grâce à laquelle St Augustin espère donner un sens à la liberté humaine. Le péché, par lequel le genre humain dans son entier est traversé, condition même de son avènement, consiste en ceci que l’Adam, ayant préféré l’amour de sa compagne à la soumission au commandement de Dieu, ne veut pas ce qu’il peut et ouvre un abîme infranchissable entre sa volonté et sa puissance, sa liberté et la loi de la création. S’étant écarté de l’ordre par désir d’indépendance, il s’est montré libre, mais par là-même plus que jamais dépendant de cet ordre auquel il ne peut aspirer que par la Grâce divine. Dans cette attente la liberté doit lui servir à reconquérir ici bas un empire sur la chair dont son orgueil a rompu l’unité.

Ainsi l’essence même de l’homme est la liberté. Mais quelle liberté ? Nous avons vu plus haut pourquoi le recours à un principe transcendant ne nous servait de rien. Le discours augustinien sur la chute nous apparaît dès lors comme une réflexion sur la liberté de l’homme hors Dieu, discours qui, pour la première fois, pose radicalement le problème du rapport de la liberté à la loi. Mais si l’homme est libre, libre et sans Dieu, alors pourquoi tout n’est pas permis, pourquoi ne peut-il construire un ordre concurrent à celui de la nature ? Pourquoi s’agite en lui cette force qui toujours veut le mal et toujours fait le bien ?

Parce que l’homme est cet être naturel qui nécessairement s’inscrit dans un univers auquel il ne peut échapper, mais qu’il est en même temps le sujet d’une liberté qui introduit une rupture au sein même de l’ordre naturel, nous devons poser la question de sa nature propre, de sa nature d’agent libre et déterminer pourquoi il ne peut installer réellement un ordre de liberté absolue. Or, il semble que ce soit justement parce qu’il peut agir sans loi, parce qu’il peut se déterminer pour le pire qu’il doit vouloir le meilleur. Car, en effet, faire le pire, c’est encore se déterminer, c’est encore une nécessité. Il peut choisir librement, hors de toute loi, il ne peut pas faire que son action ne s’inscrive au sein d’un ordre causal auquel il doive ensuite se rapporter, ne serait-ce que pour sauvegarder l’unité et la continuité de son moi. C’est dès lors un calcul d’ordre pratique sur les fins et les moyens qui doit le conduire à réaliser un ordre juste en lequel il puisse exister comme l’être qu’il est, être libre.

Or, c’est parce qu’il existe une nature humaine qu’il est possible de construire un ordre nécessaire à son expression. C’est même, suivant l’argument du fabriquant selon lequel on ne connaît que ce que l’on fait, le seul ordre que l’on puisse connaître et concevoir en lui-même. En effet, puisque la nature est une représentation qui s’impose à lui, l’homme seul se connaît en lui-même en tant qu’il se fait. Ainsi apparaît la possibilité de constituer une législation de sa liberté, par sa liberté, pour sa liberté. Il faut, par conséquent, découvrir les lois de la liberté. La liberté, en tant qu’elle apparaît dans le monde, est un phénomène. Comme la nature, on ne peut la concevoir sans une loi qui préside à son unification dans la représentation. Mais parce que l’homme est en même temps sujet de cette représentation, chose en soi, il peut et il doit élaborer la loi de sa liberté. Ainsi l’élaboration théorique et pratique se rejoignent. Il est dès lors nécessaire de concevoir la loi de la liberté pour que la liberté puisse être. Ainsi la méthode de résolution qui nous offre de concevoir l’essence même de l’homme doit nous permettre, par voie de composition, d’établir cette essence dans ses droits. C’est à cette recherche que se sont attachés les penseurs du droit naturel, élaborant ainsi une sorte de physique des atomes sociaux.

C’est, en effet, en remontant jusqu’à la nécessité légale de l’ordre humain, en mettant au jour sa nature, que l’on peut découvrir le lieu de sa liberté essentielle et ainsi lui assurer la place nécessaire à son exercice. Ainsi, en concevant le droit de l’homme, sa liberté, est mise à jour la loi qui doit faire exister ce droit et qui lui est unie comme Janus à lui-même. La question est alors de savoir comment se réalise un ordre juste et dans quel champ ? Il s’agit donc de partir du donné, de la pluralité contradictoire des volontés et s’élever de là à l’universel commun qui soit la vérité de toutes, autrement dit, à ce que veut vraiment l’homme et par conséquent ce que doivent vouloir tous les hommes. Or que nous révèle l’hypothèse d’un état de licence absolue, tel qu’on le trouve chez Hobbes. Il nous montre que la liberté outrancière et non réglée de tous conduit à la naissance d’une passion fondamentale : la crainte de la mort violente. Parce que la nature de l’homme est celle d’un être de désir voulant les moyens de réaliser ses désirs, une contradiction naît entre l’état naturel des volontés et leur aspiration commune. Comme la liberté absolue engendre un état tel que la condition première de la liberté, la vie, menace constamment d’être ruinée, un calcul s’engage dans le for intime de chacun, lui enjoignant de trouver un moyen permettant de quitter cet état. C’est dès lors cette crainte de la mort violente qui vaut comme un impératif moral de constitution d’une législation universelle. Celui qui souhaite persister en cet état va contre son propre droit puisqu’il en ruine la possibilité. Sa liberté menace la liberté. Ainsi comme le formule Rousseau, dans sa propre tentative de constitution d’un ordre de liberté universel, « celui qui ne veut pas être libre, on le forcera à être libre ». Ainsi la condition même de la liberté est une articulation des libertés contradictoires garantissant le champ d’une liberté pour tous. La liberté ne peut exister sans la loi qui fonde la réciprocité des droits et des devoirs.

Or, en réalisant ainsi un ordre légal, l’homme réalise sa propre nature d’agent libre et par là-même répond à la volonté naturelle qui instrumentalise les passions humaines pour élever à un plus haut niveau les possibilités dont elle est porteuse. C’est, selon l’expression de Kant dans l’Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, « un accord pathologiquement extorqué » qui permet d’instituer un ordre naturel, car immanent et universel, en même temps qu’il se produit par les seules forces de la liberté dont l’essence est justement de dépasser l’accord instinctif de l’être à l’ordre naturel. L’artifice légal est une réalisation supérieure et réflexive de cet ordre naturel. Aussi cet ordre est-il à faire et non pas à découvrir. Il doit être conçu dans la pratique et réalisé par les voies de la liberté. En ce sens, la liberté est créatrice comme la nature, en tant qu’elle installe dans son propre développement l’espace d’un monde et son expansion temporelle. L’homme n’est vraiment libre qu’en se déterminant, créant par là un ordre nécessaire dont la loi est condition de possibilité.

En conséquence, nous pouvons conclure qu’une liberté sans loi ne peut être conçue. Cette proposition doit s’entendre en deux sens : d’une part, comme le montre la réalité politique des rapports interhumains, une liberté sans loi ne peut que détruire la liberté, chacun voulant pour soi seul ce que tous veulent pour eux ; d’autre part, c’est intérieurement à son concept qu’une liberté sans loi pas concevable. En effet, s’inscrire dans un monde, c’est se déterminer, c’est acquérir une forme et par là même réaliser dans la manifestation phénoménale sa propre loi d’essence. Aussi la liberté est-elle créatrice comme l’œuvre d’art. Celle-ci est elle-même un monde de signification dont la clôture sur soi contient et exprime sa loi propre. De ce point de vue, nous pourrions concevoir la cohue bigarrée des actions historiques sur un mode esthétique. Ce qui apparaît comme \" une histoire pleine de fureur et de bruit racontée par un fou \", où la liberté est bafouée par la liberté elle-même, s’annonce, à l’aune d’un principe réfléchissant, comme le lieu même de la liberté se faisant. La liberté crée elle-même les conditions de son droit et quand elle renonce à la loi c’est pour d’autant mieux faire signe vers leur nécessaire inclusion. Il a fallu deux guerres mondiales pour qu’une société des nations devienne communauté internationale. C’est là l’hommage que le vice rend à la vertu.

 

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