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Peut-on Obéir librement ?

Publié le 18/08/2012

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Mais il n’est pour autant pas certain que cela soit une si bonne chose, loin de là, car cela creuse l’humanité de l’individu plus profondément que la liberté trouvée en surface. Aussi, savoir s’il faut avoir ou non la possibilité d’obéir librement aux lois naturelles est une question relative à l’éthique, essentielle mais dont nous ne traiterons pas plus ici. Enfin, si l’homme peut désormais obéir librement à la personne morale qu’est l’État, il reste des situations (relativement modernes) qui le voient soumis par d’autres hommes. Par exemple, l’homme endetté est soumis par son créancier qui peut faire saisir ses biens sans qu’il n’ait le droit de protester, ou encore, un homme a la liberté de désobéir à son travail, mais se faisant il sera renvoyé par son employeur, et perdra là son moyen de subsistance. Le fait est que si les intérêts de la personne morale qu’est l’État juste englobent ceux de l’individu, il y a parfois conflit entre les intérêts de deux particuliers, produisant une nouvelle relation maître-esclave. Pour éviter l’éclosion de cette multitude de conflits au sein d’une société, il faut qu’il soit introduit aux valeurs de sa Constitution la composante d’égalité totale qui préviendrait toute nouvelle relation de maître-esclave. Le problème qui se pose là est au moins aussi vaste que le précédent, car égalité et liberté sont deux valeurs qui semblent rentrer en conflit elles-mêmes, au moins dans leur mise en pratique.

« consiste à devenir le maître de son soi, à s'obéir soi-même, et à ouvrir les yeux sur sa condition.

Ce qui allume fatalement la mèche de la dissidence, conduit à larévolte.

Alors, quand cet omnipotent contre-pouvoir en puissance qu'est le peuple se redresse, en géant éveillé de sa torpeur, la situation est propice au changement. Si nous suivons la théorie cartésienne sur l'essence dualiste de l'être humain, la substance pensante (l'esprit), qui constitue toute la raison de l'homme, est distinguéede la substance étendue, le corps, connexion matérielle de l'esprit qui par là lui inflige de nombreuses contraintes.

Ici, il ne s'agit pas d'obéissance libre, mais de lanécessité de soumettre autant que possible son corps à sa propre volonté ; pour la bonne raison existentialiste que notre liberté réside en cette dernière.

Il faut réussir àcontrôler ses désirs, se faire maître de ses passions ou encore assumer la portée de ses actes ; viser l'ascèse.

Ces grandes responsabilités font du corps craintif et lâcheun cheval en furie bien difficile à tempérer, mais pas impossible.

Ce premier travail sur soi effectué, l'on n'est qu'au pied de la montagne où commencel'affranchissement pour l'esprit des opinions qui l'infestent.

Comme nous l'avons évoqué dans une argumentation précédente, ces idées fausses, coutumes et habitudesforment l'ancre de la servitude, dont il faut impérativement se débarrasser pour pouvoir penser, et donc être en tant qu'individu – cogito ergo sum.

Plus tôt survient cechangement, plus se développe l'originalité du sujet qui est essentielle pour la suite.

Une théorie moderne, la dialectique hégélienne du maître-esclave, considèrecependant que cette prise de conscience de la part de l'esclave (soumis dans le travail) survient naturellement du fait de son accès actif à l'objet de sa manutentioncontrairement à son maître ; et que, transformant la Nature par le travail, il finit par se transformer lui même en venant à revendiquer son autonomie.

Au final, unefois l'homme maître de lui, c'est un véritable être de raison enclin à se plier aux obligations de la morale universelle kantienne, donc doublé d'une essence morale, cequi le rend apte à obéir librement.

Mais si tout ce périple a lieu d'être, c'est que l'homme est né dans une société de soumission, que les opinions suffisent souvent àentretenir.

Sa nouvelle condition le pousse nécessairement à la révolte. Une fois le corps soumis à la volonté de l'individu, l'esprit débarrassé des opinions, voici que son combat ne fait que commencer.

Il quitte l'état agentique en obtenantson autonomie, ce qui accouche en grands fracas sa conscience du monde.

Comment alors ne pas s'indigner de la condition des autres, cette masse dont il vient des'extirper ? Il n'est toutefois pas trop tard pour fermer les yeux, et faire marche arrière peut éviter bien des tourments ; mais s'il est doté de suffisamment de courage etde détermination, l'individu peut métaphoriquement choisir la « pilule rouge » d'un film bien connu et accepter la triste vérité qui émane de la réalité.

Accéder à l'étatd'homme révolté, cet état que Camus décrit dans l'œuvre éponyme.

Au travers de la « révolte métaphysique », l'homme révolté choisit (a au moins le désir) de ne plusobéir à rien, même à la mort, protestant contre la contradiction qui voit s'opposer le principe de justice, intérieur à lui, au principe d'injustice à l'œuvre dans le monde.« Dès que quelqu'un comprend qu'il est contraire à sa dignité d'homme d'obéir à des lois injustes, aucune tyrannie ne peut l'asservir » dira Gandhi.

Par ses nouvellesconvictions, le révolté revendique l'instauration universelle du règne de la justice : il s'engage, à présent condamné à être libre dira Sartre.

Il prend la liberté dedésobéir, mais ne renonce pas pour autant.

En effet, c'est une négation positive des règles, des doctrines, de la norme, une sorte de nihilisme positif qu'il exprime.

Larévolte véhicule l'espoir de la liberté pour tous, car son objectif réside dans la mise en place d'un Ordre juste, là où l'on obéit librement.

Elle est ainsi une condition del'être pour Camus comme l'est le cogito chez Descartes, « Je me révolte donc nous sommes ».

Nous, car si c'est au cœur de l'individu que naît la révolte, elle est unmouvement collectif qui le tire de sa solitude, qui l'uni aux autres révoltés.

Cependant, l'action collective n'ayant de poids que si une quantité minimale nonnégligeable d'individus y prend part, le révolté a le devoir de participer à l'éveil des consciences, d'offrir à son tour la « pilule rouge » à ceux qui en sont désireux.

Etce faisant, il s'expose à certains risques liés à la justice de son pays car il désobéit, ce qui ne doit pas l'arrêter dans sa course pour la liberté.

Enfin, lorsquesuffisamment d'individus se sont enflammés de la révolte, le mouvement est envisageable. Il arrive forcément un instant où la patience de la masse asservie est à bout, où la tyrannie ne peut plus être acceptée.

La révolte se doit d'entrer en pratique à unmoment ou l'autre, moment défini par une multitude de facteurs, et les révoltés qui forment « l'élite » du mouvement entraînent leurs semblables esclaves dans la luttecontre le tyran.

Sans ingérence étrangère, le pouvoir du tyran ne peut guère se maintenir car c'est tout son empire qui s'affaisse sous lui.

Sans rien pour le soutenir, ilchute de sa position de maître au profit des anciens esclaves, « l'inversion des rôles » de la dialectique maître-esclave hégélienne, du moins l'état d'égal à égal.

Cemouvement peut par ailleurs prendre différentes inclinations : celle de la révolution, généralement brusque et violente, et qui renverse souvent un despotisme pour eninstaurer un autre peu de temps après, comme il se fit après la révolution française ou la révolution bolchevik ; soit tout le contraire du but escompté.

La révolte peutaussi emprunter la voie non-violente de la désobéissance civile, plus rarement choisie mais qui paraît mieux adaptée : on ne fonde pas le règne de la justice et del'obéissance libre sur des cadavres.

Rawls définit ainsi la désobéissance civile : « un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi etaccompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement.

En agissant ainsi, on s'adresse au sens de la justice de lamajorité de la communauté et on déclare que, selon une opinion mûrement réfléchie, les principes de coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont pasactuellement respectés.

».

Les révoltés, par des infractions à l'ordre purement intentionnelles, visent l'abrogation de la tyrannie et de tout ce qui porte préjudice à lacondition humaine dans l'avènement de la justice et de la liberté.

Ce qui, contrairement à la révolution armée, n'aboutit que quand la majorité de la populationparticipe activement au mouvement, ce qui fut le cas pour l'indépendance de l'Inde menée par le Mahatma Gandhi. Bien qu'il ait d'abord fallut se combattre soi-même puis désobéir sciemment, il n'y a plus pour l'instant de maître ni d'esclave, seulement des hommes prêts àreconstruire.

Il devient à présent concevable de bâtir une société où obéir librement serait possible et souhaité, à condition de ne pas répéter les erreurs commises parle passé. ~ Nombreux sont les philosophes qui, alors gouvernés par un despote, ont pensé la société juste.

Elle débute dans l'idée du contrat social, et se consolide notammentdans la République kantienne.

Cependant, les risques de rechute dans la servitude font leur apparition au bout d'un certains temps, ce qui implique des précautionsspéciales pour la pérennisation du nouveau système.

Mais, même lorsque l'homme s'épanouit dans un État qui lui offre la liberté d'obéir, il reste soumis dans certainessphères de sa vie. Nous avons vu qu'après la révolte, le pouvoir se trouve anéanti.

Forts de leur liberté nouvelle, les hommes peuvent penser que leur condition révolue était le fruit del'autorité de l'État quel qu'il soit, et qu'il ne faut donc pas en reconstruire un.

Ils pourraient ainsi vivre totalement libres, n'obéissant qu'à eux même.

Mais cetteconception est erronée : le retour à l'état de nature signifie le retour à l'état de guerre, d'après Hobbes ; la loi du plus fort prévalant de nouveau, chacun se trouvesoumis par la peur du prochain et l'homme régresse au stade de vulgaire bête sauvage.

Il est donc éminemment nécessaire de s'associer, de constituer un nouvel État,mais en s'y prenant différemment.

Ce processus commence par l'intermédiaire du contrat social, une convention théorique par laquelle les individus choisissentlibrement d'abandonner une partie de leurs droits naturels en échange de lois et d'instances pour les faire respecter, garantissant la sécurité commune.

L'individuchoisit d'obéir librement à la Loi afin d'assurer une coexistence pacifique avec ses voisins, sans pour autant perdre sa liberté.

Ce choix particulièrement raisonnable del'individu fait de lui un être réellement autonome (du grec auto, « lui même », et nomos, « loi ») car bien qu'il obéisse à un droit positif, il le fait de sa propre volonté,et non sous la contrainte.

Mais pour qu'il le fasse effectivement, cette législation doit être juste, car d'après Kant l'individu autonome suit avant tout les règles de la loimorale universelle (l'autonomie est le « principe suprême de la moralité » écrit-il dans Fondements de la métaphysique des mœurs) : si les lois ne sont pas justes,l'individu ne leur obéit pas librement.

De fait, il faut que le contrat social précède la fondation d'un État dont la Constitution garantit le respect dans son droit positifdu principe de justice, ainsi que l'égalité de tous devant la Loi et évidemment la liberté de lui obéir.

Cet État est la République, le seul état légal valable pour Kant carson autorité sur le peuple est légitime, c'est à dire conforme au principe de justice.

Dans ces conditions, plus aucun sujet raisonnable n'est soumis et chacun obéitlibrement car il en va de l'intérêt collectif comme de son intérêt personnel. Il est tentant, après tant de succès, de se reposer sur ses lauriers, de jouir du repos du guerrier.

Mais ce malencontreux désintéressement peut vite devenir fatal à l'État. »

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