Le Roman bourgeois
Publié le 11/04/2013
Extrait du document
La place Maubert, à Paris, où se déroule l'essentiel du Roman bourgeois (1666), avait autrefois très mauvaise réputation ; la place Maubert, en effet, fut longtemps réservée aux supplices et aux exécutions. En faisant la satire du monde des avocats et des procureurs, Furetière savait de quoi il parlait ; il fut en effet avocat (à partir de 1645) et procureur fiscal, avant d'entrer dans les ordres, ayant été abbé de Chalivoy et prieur de Chuines.
«
« ...
ne trouvez-vous pas
que ces recueils
fournissent une
occasion de
se faire
connaître bien
facilement et à peu de
frais?»
EXTRAITS
L'auteur fait le portrait de Vollichon, le
père de Javotte, procureur de son état
C'était un petit homme trapu grisonnant, et
qui était de même âge que sa calotte.
Il avait
vieilli avec elle sous un bonnet gras et en
foncé qui avait plus couvert de méchance
tés qu'il n'en aurait
pu
tenir dans cent autres
têtes et sous cent
autres bonnets : car la
chicane s'était empa
rée du corps
de ce petit
homme, de la
même
manière que le démon
se saisit du corps d'un
possédé.
On avait sans
doute grand tort de
l'appeler, comme on
faisait, âme damnée,
car
il le fallait plutôt
appeler âme dam-
/ nante, parce qu'en
effet
il f atsait damner tous ceux qui avaient
à faire à lui.(.
.
.) Il avait la bouche bien fen
due, ce qui n'es pas un petit avantage pour
un homme qui gagne sa vie à clabauder, et
dont une des bonnes qualités, c'est d'être fort
en gueule.
Ses yeux étaient fins et éveillés,
son oreille était excellente, car elle enten
dait le son d'un quart d'écu de cinq cents
pas, et son esprit était prompt, pourvu qu'il
ne
le fallût pas appliquer à faire du bien.
Où il est question d'un certain
Charroselles, auteur, dont
le nom est
une anagramme de Charles
Sorel
Il y avait en cette compagnie des esprits de
toutes les sortes,
dont le plus honnête
homme s'appelait Philalète,
passionné
admirateur des vertus et des beautés
d'Angélique, et qui fais ait tout son possible
pour se bien mettre dans son esprit.
D'autre
côté, un certain auteur, nommé Charrosel- les,
y venait
aussi; il avait été assez fameux
en sa jeunesse, mais il s'était décrié à tel
point qu'il ne pouvait plus trouver de
libraires pour imprimer ses ouvrages.
Il se
conso lait néanmoins
par la lecture qu'il
essayait d'en faire à toutes les compagnies,
et
...
Mais tout beau! si je voulais décrire ici
par le menu toutes ses qualités et celles de
ces autres personnages,
je ferais une trop
longue digression, et ce serait trop différer
le mariage qui est sur
le tapis.
Furetière relève le danger des romans
«galants», comme l'Astrée de d'Urfé,
sur les jeunes filles
Il arrive la même chose pour la lecture : si
elle a été interdite à une fille curieuse, elle
s'y jettera à corps perdu, et sera d'autant
plus en danger que, prenant les livres sans
choix et sans discrétion, elle en pourra trou
ver quelqu'un
qui d'abord lui corrompra
l'esprit.
Tel entre ceux-là est l'Astrée : plus
il exprime naturellement les passions amou
reuses, et mieux elles s'insinuent dans les
jeunes âmes, où il se
glisse un venin imper
ceptible, qui a gagné
le
cœur avant qu'on ne
puisse
avoir pris du
contrepoison.
Ce n'est
pas comme ces autres
romans, où il n'y a que
des amours de princes
et de paladins,
qû(
n'ayant rien de propor
tionné avec les per
sonnes du commun, ne
les touchent point, et ne
font naître d'envie de
les imiter.
Mis en français contemporain par
les Éditions Quantin , 1880
« ••• elle ne sortit
point du couvent
que pour aller
à l'église ...
»
NOTES DE L'ÉDITEUR "fils d'un marchand bonnetier qui était
devenu fort riche
à force d'épargner ses
écus,
et fort barbu à force d'épargner sa
barbe
" ;
- enfin
." un certain auteur nommé
Charroselles ...
".
» E.
Colombey, préface
au
Roman bourgeois, Ed.
Quantin , 1880.
ce que nous appelons un " réaliste ".
»
J.
Tortel, Histoire des littératures,
Gallimard, 1986.
«Furetière excelle dans le portrait.
Notons,
en passant, quelques échantillons de sa
galerie.
Voici
Lucrèce, qui
n,.a rien de
commun avec l'illustre Romaine, -une
délurée dont la tante qui lui sert de mère,
tient une sorte de tripot et qui n'est vêtue
que de
" discrétions " ;
- après, c'est
Villeflatin, un procureur de l'officialité,
visqueux d'allure et toujours en quête
d'affaires véreuses; -puis Jean Bedout ,
gros garçon, trapu et quelque peu camus,
« Ce n'est pas un chef-d'œuvre, mais c'est
une œuvre significative de l'évolution du
roman français, de la réaction contre le
roman galant et héroïque, de l'importance
accrue de la réalité bourgeoise dans la
société et, par suite, dans la littérature.
Furetière prétend, sans aucun doute, être
1 portrait par Gérard Edelinck , B . N.
/ Lauro s-Giraudon 2, 3 , 4 , 5 gravures de Boullaire / B .N .
Antoine Furetière (1619-1688) est surtout
connu pour son
Dictionnaire universel, qui
fut publié après sa mort
(1690).
Cet ouvrage
lui valut d'être exclu de l'Académie
française, car il concurrençait l'ouvrage
collectif de
la« Compagnie».
Préfacé par
Bayle, ce dictionnaire était une synthèse
assez exhaustive des connaissances de
l'époque,
et il fut en quelque sorte le
précurseur de
!'Encyclopédie .
FURETIÈRE 02.
»
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