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SCÈNES 7 ET 8 de l'Acte IV du DOM JUAN DE MOLIÈRE

Publié le 22/02/2012

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Loin de se repentir, le mécréant confie à son valet la nature des sentiments que lui a inspirés son ancienne maîtresse. Elle ne l'a pas laissé insensible, en dépit de son apparente impassibilité, mais l'émotion qu'elle a provoquée en lui n'avait rien de spirituel, d'« épuré » : «Sais-tu bien que j'ai encore senti quelque peu d'émotion pour elle, que j'ai trouvé de l'agrément dans cette nouveauté bizarre et que son habit négligé, son air languissant, et ses larmes ont réveillé en moi quelques petits restes d'un feu éteint?» A l'issue du discours de la belle éplorée, Dom Juan à plusieurs reprises, l'a invitée à rester, à passer la nuit dans sa maison, non sans arrière-pensée. Retenons le mot de « nouveauté», qui définit exactement la nature de Dom Juan, le principe même de son existence, de son rapport à l'existence.
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« de ses lâchetés.Mais il le confirme dans sa condition servile en lui rappelant sa dépendance.On peut considérer les longs dialogues qui précèdent, les aventures menées en commun, les dangers encourus,comme autant d'épreuves destinées à former, à éduquer cette âme malléable, disponible, à l'arracher à l'emprise despréjugés.Les moqueries du souper complètent cet apprentissage : l'humiliation est l'ingrédient indispensable du « bizutage ».Le souper marque l'échéance assignée à ces rites d'initiation au terme desquels Dom Juan accepte Sganarelle dansla confrérie des libertins.

La convivialité entre le maître et le valet n'a pourtant rien de détendu, elle se déroule dansune sorte de rage, de frénésie de jouissances, comme si le plaisir était à la fois décuplé et miné obscurément par laconscience que le temps est compté, qu'il faut aller vite, que demain il sera trop tard.

Ce souper qui fête l'allianceentre le maître et le valet se déroule dans l'atmosphère d'un banquet en temps de peste. Le convive de pierre Au plus fort de cet enthousiasme un peu forcé, des coups retentissent à la porte.

Cet hôte est la Statue duCommandeur.On ne saurait mettre cette visite sur le même plan que les visites précédentes.

Les autres visiteurs retardaient lesouper, celui-ci est venu tout exprès, puisqu'il répond à l'invitation de Dom Juan.Pourtant, contrairement aux bienséances, le souper est déjà commencé.

Et Dom Juan, en apprenant qu'une nouvelleintrusion est annoncée, ordonne « qu'on ne laisse entrer personne».

Cela montre bien qu'il a oublié sa plaisanterie etqu'il ne s'attendait pas à ce que la Statue le prenne au mot.Mais, alors que Sganarelle est pétrifié de peur, Dom Juan fait bonne figure et confirme sa détermination : «Allonsvoir, et montrons que rien ne me saurait ébranler.

»Cette phrase est d'une extrême importance pour comprendre le comportement de Dom Juan.

Celui-ci n'est pas unsceptique, c'est un homme de convictions.

Le doute ouvre toutes les portes, ne refuse, par définition, aucunealternative.

Dom Juan récuse, par principe, la croyance au surnaturel comme contraire à sa foi rationaliste.Dom Juan est un dogmatique à l'envers.

Sganarelle avait, au fond, raison quand il plaisantait : « Votre religion, à ceque je vois est donc l'arithmétique?» Comme d'autres, plus tard, professeront la religion du matérialisme, Dom Juanprofesse la religion de l'arithmétique.

Il défend cette conviction avec l'héroïsme des martyrs qui périssent sur lesbûchers.

C'est à peu près ce qui va lui arriver. Dom Juan annonce les doctrinaires de la Révolution.

Ils ont imposé le culte de l'Etre Suprême et de la religionnaturelle.

Dom Juan ne croit ni en l'un, ni en l'autre, mais il pratique le nihilisme avec un esprit religieux.Dom Juan est un adepte convaincu du cartésianisme.

Il ne se fie pas plus au témoignage de ses sens que Descartesqui mettait en doute les données de notre perception puisqu'on pouvait les confondre avec les visions de nos rêves.L'attitude de Dom Juan face à la Statue s'explique par cette volonté de ne pas se laisser « ébranler ».

Il n'ouvre pasle débat, il le ferme.C'est pourquoi, bizarrement, il a séduit les metteurs en scène croyants, comme Louis Jouvet qui reconnaissait dansce chercheur d'absolu un esprit fraternel.Dom Juan a priori exclut tout ce qui relève du principe de contradiction.

Il offre la caricature de l'esprit de géométrieet n'accepte aucune hypothèse qui n'entre pas dans le champ de ses raisonnements.

Cet incroyant est un hommede principes, un militant de la liberté e livre combat.Il reçoit son hôte comme un invité ordinaire.

Il force son valet à l'imiter.

L'éducation continue.

Il y a encore fort àfaire! Il exhorte son valet à nier l'évidence, avec la même ferveur qu'Elvire l'exhortait, lui-même, à «s'amender »!La Statue interrompt ces joyeusetés! Dom Juan entend faire la fête, il refuse de laisser entraver sa liberté, fût-cepar un envoyé du Ciel.

Mais son hôte montre que cette fête n'est pas à son goût.

Cet invité est un trouble-fête :«Dom Juan, c'est assez.

Je vous invite à venir demain souper avec moi.

En aurez-vous le courage?»Les usages mondains sont respectés.

Dom Juan accepte : il viendra «accompagné du seul Sganarelle».Ledit Sganarelle se serait bien passé de cet honneur, mais Dom Juan tient absolument à l'avoir 'pour témoin et pourcomplice.

Il y a comme une confidentialité dans son propos : « du seul Sganarelle », le seul à être jugé digned'entrer dans le secret.Il y a dans l'air comme une odeur de traquenard.

Le dernier mot reste au messager du Ciel, qui refuse un flambeaudont il n'a nul besoin et rappelle son origine surnaturelle.Cette scène dissipe le doute qui existait encore sur les signes mystérieux adressés par la Statue à la fin de l'acteprécédent.

Le Ciel a tranché et a donné raison au superstitieux Sganarelle.Toutes les hypothèses sont ouvertes quant à la signification qu'il faut accorder à ces signes.

Elles sont multiples etcontradictoires.

Comme il se doit au théâtre.

Est-ce du Grand Guignol, une caricature de la vraie religion si souventpervertie en superstition et exploitée dans ce sens par les faux dévots? Ou est-ce la confirmation du verdict de laProvidence?Il ne faut pas oublier le côté spectaculaire de ces scènes avec la Statue qui bouge, marche et parle.

Le fantastiqueétait un prétexte pour les machineries grandioses destinées à ébahir le public.Le succès des spectacles qui se donnaient avant Molière sur Ic thème de Dom Juan, aux Italiens, à l'Hôtel deBourgogne, reposait essentiellement sur les «machines».

Molière comptait sur l'intérêt suscité par cette « pièce àmachines» pour remplir les caisses de son théâtre autant que pour faire passer les audaces de ses idées et de saconception du personnage.. »

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