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Sujet : « Le beau est toujours bizarre » Baudelaire

Publié le 17/01/2011

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baudelaire

Introduction
 
- « Moi, j’ai dit bizarre, comme c’est bizarre «. Dans cette réplique fameuse de Jouvet dans Drôle de Drame de Marcel Carné, le bizarre est bien sûr le trait de ce qui est énigmatique et singulier. 
Quand Baudelaire écrit dans les Curiosités esthétiques que le beau est toujours bizarre, la bizarrerie, rapprochée au beau, prend sans doute un sens bien plus profond.
 
- Il est intéressant de remarquer que ce mot de Baudelaire est assez tranché, l’énoncé est une affirmation : le beauté, pour Baudelaire, ne peut-être que bizarre, ou ne peut pas être ; aussi, le beau, dans cette citation, est pris comme un tout, dans son unité ; de plus, Baudelaire ne dit pas ce que le beau est, il conçoit ce qui pour lui rend une chose belle, ce qui différent. Nous avons toutes sortes d’opinions sur la beauté : nous parlons d’une belle voiture, d’un beau tableau, d’une belle femme ou d’un bel arbre, mais pour dire quoi exactement ? En fait, nous ne savons pas ce qu’est la beauté. En effet, il est vraiment impossible de dire ce qu’est la beauté ; d’ailleurs, dans l‘Hippias Majeur de Platon, aucune définition de la beauté ne ressort du dialogue, le dialogue est aporétique.
 
- dans notre étude, si nous n’exclurons pas le sens commun de « bizarre «, à savoir ce qui s’écarte de la norme, ce qui est singulier, extravagant, nous retiendrons aussi les sens originaux de ce terme : selon Littré, ce terme vient du mot arabe « basharet « [bachaara] (=beauté, élégance), duquel ont découlé les notions de vaillance, de colère et d’emportement, puis progressivement le sens commun.
 
- PB : Y a-t-il une unité du beau ? Le beau est-il toujours dans l’extravagance ? Pourquoi pourrait-on dire que ce qui est beau contient nécessairement une bizarrerie intrinsèque ? Que l’appréhension de la beauté soit subjective, nous l’acceptons ; mais ce n'est pas la question. Ce qui fait problème, c’est bien plutôt de savoir si c’est bien la bizarrerie qui peut donner lieu à cette expérience qu’est l’expérience de la beauté. 
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I - Le beau relève-t-il du « toujours « ?
 
1- Une beau apparemment relatif
 
- relativité culturelle
 
Pensée selon laquelle la beauté n’est qu’une norme issue d’une société, ou d’une culture donnée. En Chine, une belle femme est caractérisée par des traits fins ; les Espagnols ont appris à trouver belle la corrida par exemple. La beauté semble s’apprendre progressivement, elle relève, selon cette vision, de l’acquis et non de l‘inné, de la culture et non de la nature. Tout ce que nous trouvons beau ne serait dû qu’à notre conditionnement culturel et serait le reflet de l’ethnocentrisme. Dans nos sociétés modernes, la publicité décrète ce qui est beau, la beauté devient un « jugement-reflexe «. Cependant, la beauté peut se rencontrer en dehors des normes culturelles : un blanc français peut tout à fait ne pas rester insensible devant la beauté d’une femme noire africaine par exemple.
 
- relativité subjective
 
Consiste à dire que la beauté n’est que l’expression de notre intériorité subjective, de nos « affinités électives « comme le dirait Freud. Formule célèbre : « à chacun ses goûts «. David Hume écrit : « La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente «. Le postulat démocratique nous dira que les opinions se valent, que Rameau est sur le même plan que le rappeur le plus en vogue.
 
=> beau finalement spatial, temporel ?
 
2 - Un beau universalisable
 
- On nie difficilement que la nature est belle, or elle nous offre une esthétique intemporelle et universelle, avec ses paysages notamment. On aperçoit vite avec cet exemple les limites d’une vision tout à fait relativiste de la beauté.
 
- pour Kant, une beauté universelle existe
 
Le beau, pour Kant, plaît tout simplement : la satisfaction spécifique que suscite le beau relève de la faveur, et elle n’implique aucune dépendance, aucune contrainte ; aucun intérêt « ni des sens ni de la raison « ne contraint l’assentiment au beau. Kant distingue le jugement esthétique des autres jugement. A la différence des autres jugements qui s ‘appuient sur une objectivité, le jugement esthétique permet un « libre jeu « entre les facultés d’entendement et d’imagination ; ces deux facultés sont donc stimulées de manière désintéressée, gratuite et totalement libre. Ainsi une formule de Kant résume bien notre point : « Le beau est ce qui plaît universellement et sans concept «. 
 
à s’il participe du « toujours «, peut-on penser que le beau provienne d’une harmonie ?
 
II - Le beau ne réside-t-il pas dans l’harmonie ?
 
1- La beauté serait dans le bel agencement des réalités, une question de forme.
 
- l’harmonie semble être à l’origine du beau
 
Selon Judith Langlois, les visages ne comportant pas de particularités physiques marqués sont jugés les plus attirants. Le beau n’est donc pas ici dans la bizarrerie au sens commun.
La matière d’une œuvre a peu à avoir avec la beauté: une statue en ivoire n’est pas forcément belle. La régularité des formes et la symétrie, au contraire, seraient déterminantes : les Anciens voyaient le cercle comme un symbole de la perfection, de beauté, or il est intéressant de noter que cette figure géométrique comporte une infinité d’axes de symétrie. En musique, l’harmonie est la beauté, les fugues de Bach en sont un bel exemple.
 
- Le beau dans la mimesis, une belle re-présentation des réalités
 
La mimésis est une tendance naturelle en l’homme à l’origine de l’art : l’imitation est, selon Aristote dans La Poétique, inhérente à la nature humaine dès l’enfance, elle est à l’origine des premières pratiques artistiques. Longtemps, on jugeait de la beauté des œuvres d’art à leur fidélité aux réalités qu’elles s’attachaient à présenter. La beauté est souvent apparue comme le caractère d’une présentation réaliste du monde sensible. « Il n’est pas de serpent ni de monstre odieux / Qui par l’art imité ne puisse plaire aux yeux « (Boileau) : la représentation de la réalité par l’art donne à voir le beau, en cela l’ordre donné par l’artiste est créateur d’une beauté.
 
 
2 - Cependant, le beau est irréductible à l’ordre.
 
- Dans Guernica, Picasso s’inspire du bombardement de la ville espagnole éponyme qui a eu lieu en avril 1937. Dans la toile monochrome règne un désordre affolant, et pourtant une grande force et une grande beauté se dégagent de l’œuvre. Dans Le Charme discret de la bourgeoisie, de Bunuel, la narration décousue, surréaliste des événements présentés contribue, on peut le penser, à rendre le film original et beau. 
 
- Ces exemples peuvent illustrer le fait qu’un agencement ordonné ne peut suffire à donner à voir le beau. La beauté d’une œuvre n’est donc pas toujours dans l’harmonie, dans l’ordre. Ce n’est donc pas ce caractère qui conditionne la beauté. 
 
à Il nous faut maintenant étudier plus attentivement ce qu’est une bizarrerie pour comprendre que le beau tient plus d’elle que d’un ordre établi.
 
III Le beau, plutôt une noble bizarrerie.
 
1- La bizarrerie des beautés
 
- une bizarrerie est belle par définition
 
Si l’on s’en tient au mot d’origine arabe « basharet « dont nous faisions état au début de notre analyse, le bizarre est à l’origine l’élégant, le beau. Dès lors, toute bizarrerie proprement dite est beauté. Le bizarre ne pourrait donc pas être autre chose que beauté.
 
- le « sublime « de certaines beautés naturelles
 
La beauté « sublime « peut venir conforter l’idée selon laquelle « le beau est toujours bizarre «. Edmund Burke, dans Recherche philosophique sur nos idées du sublime et du beau (1757), montre que le sublime est disproportionné et terrible, donc de l‘ordre de l‘ « hybris « : par exemple, le spectacle de manifestations climatiques (les ouragans, …) peut provoquer une émotion esthétique extrêmement puissante. Ainsi donc, l’emportement des éléments naturels, leur colère, et donc leur bizarrerie, est de l’ordre du beau.
 
 
2 - La bizarrerie de l’acte créateur : l’emportement, la vaillance et la colère au cœur de la création de toute beauté.
- Au créateur du beau, on peut attribuer une étincelle de divinité. La création artistique fait subir aux données sensibles une sorte de métamorphose faisant passer du plan de la perception au plan esthétique. A partir d’un ensemble de sons connus habilement agencés, le musicien compose une mélodie originale (métaphore du musicien est de Malraux, dans Les Voix du silence) = emportement, exaltation à l’origine du beau car sinon agencement prévisible.
 
- Pour Matisse, l’acte de création est en quelque sorte la mise en œuvre d’une rêverie inspirée par notre regard ; cette mise en œuvre propose une rigueur, une harmonie, une densité que ne connaît pas la vie ordinaire = un regard vaillant, qui saisit au mieux les réalités, permet de créer le beau.
 
- Pour Rilke, le véritable artiste est celui qui doit éprouver la création comme une nécessité vitale : la création est irrépressible, c’est un acte douloureux car l’artiste peine à atteindre la perfection qu’il vise ou bien car le sujet lui-même renvoie à la douleur = colère intérieure à l’origine du beau. 
 
=> les sens dérivés du mot arabe, desquels a découlé le sens commun du mot « bizarre «, renvoient à l’acte de création du beau.
 
Conclusion
 
 
L’éclairage que nous avons apporté à cette réflexion nous invite à penser que si le beau est particulièrement beau, c’est qu’il contient, toujours, de la bizarrerie. L’harmonie peut être source de beauté, mais c’est bien la bizarrerie qui préside à toute création du beau et qui le conditionne. C’est sans doute cette bizarrerie intrinsèque qui rend si particulière l’expérience de la beauté.
 
BIBLIOGRAPHIE
 
- www.wikipedia.org
- www.philolog.org
- Encyclopédie Universalis
- www.philagora.net
 
ANNEXE : 
 
Je ne veux pas dire qu’il soit volontairement, froidement bizarre, car dans ce cas il serait un monstre sorti des rails de la vie. Je dis qu’il contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie non voulue, inconsciente, et que c’est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le beau. (Curiosités esthétiques, Baudelaire).

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