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« Chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même.

Publié le 16/02/2016

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« Chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L’ouvrage de l’écrivain n’est qu’une espèce d’instrument optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que, sans ce livre, il n’eût peut-être pas vu en soi-même. » - Marcel Proust La lecture est une activité pratiquée au quotidien. C’est par cette pratique que les oeuvres littéraires se concrétisent, que le lecteur développe une sensibilité, des émotions, et reçoit également les pensées de l’écrivain, reportées à l’écrit dans ses ouvrages. Cette notion de lecture prend en considération les rapports entre l’écrivain, l’ouvrage et le lecteur. En effet, l’oeuvre littéraire s’attache à l’effet produit chez le lecteur. Marcel Proust présente une réflexion sur la littérature, en affirmant qu’à la lecture d’une oeuvre littéraire, le lecteur se révèle à soi-même. C’est en fait l’ouvrage de l’écrivain qui lui sert d’ instrument d’optique, autrement dit de loupe, afin de voir plus clair en lui même, de mettre en lumière ou encore de déchiffrer des aspects encore obscurs . En quoi l’ouvrage de l’écrivain permet - il réellement au lecteur de se révéler à lui-même? Nous verrons comment par la lecture, autrement dit comment grâce à l’ouvrage de l’écrivain, le lecteur se lit de soi-même. Il faudra dans un second moment, se demander s’il est possible de considérer l’oeuvre en soi comme se suffisant à elle même afin d’éclairer le lecteur sur son identité. Enfin, il faudra reconsidérer le propos de Proust, en se demandant s’il n’est en fait que de lecture introspective possible à travers l’oeuvre littéraire, et si l’ouvrage s’étend à d’autres productions que des productions rédigées. La lecture implique une introspection, ainsi, celui qui lit est le propre lecteur de lui-même. C’est en effet ce qui permet non seulement au lecteur de mieux se comprendre, de mieux Page !1 sur !6 appréhender le monde dans lequel il est ancré, mais aussi de penser ce monde d’un point de vue moral grâce aux points de comparaisons que lui aura fourni l’auteur à travers ses écrits. Quand il lit, l’Homme est amené à s’introduire dans le monde imaginaire des personnages, afin de mieux vivre le récit et les actions. C’est donc de cette façon qu’il devient autre, un « être de papier »: il s’oublie dans son état initial en se livrant totalement à la recréation de son être, il se découvre d’autres aspects en se comparant aux divers personnages qu’il suit au fil de ses lectures. Et c’est en se comparant à ces personnages (leur tempérament, leurs aventures, leur situation) qu’il est capable de comprendre sa propre vie. Par exemple, le personnage mythique est un des moyens de connaissance dont dispose le lecteur afin de mieux se comprendre. Par exemple, grâce au mythique Oedipe, le lecteur sait que produire l’inceste est amoral, ou encore en ayant lu le mythe de Pandore, il sait que la curiosité est un mauvais défaut. C’est donc de cette façon que l’âme humaine se fonde; à partir de ces modèles, ou contre modèles de comportements qu’incarnent les personnages, ce qui renvoie à une valeur d’exemplarité. L’oeuvre littéraire confronte le lecteur avec son monde. Ainsi, la question de sa place dans ce monde l’invite à se regarder autrement, dans le sens où il est confronté à l’histoire de sa société, ce qui lui permet d’avoir trace de son passé, élément nécessaire pour se connaitre soimême. En lisant par exemple, Cahier d’un retour au pays natal, le lecteur (et davantage celui dont les racines sont tirées d’Afrique), prendra conscience de ce qu’était son passé, et comment ce système d’assimilation détruisait sa propre identité, et rendait l’homme Noir incapable de se construire une civilisation. Cet ouvrage se propose ainsi de revendiquer une identité Noire, que le lecteur reconnait quand il. Sans l’ouvrage de Césaire, le lecteur n’eut peut être pas vu en lui même cet aspect de soi-même. Il connait désormais un partie de son passé, de la société qui l’entoure et de son identité. Cette activité de lecture débouche ainsi sur une véritable introspection: le lecteur se révèle à lui-même dans lecture. Par ailleurs, la connaissance de soi se fait également par le biais d’une vision, celle de l’auteur qui semble être un guide, qui se connait déjà lui même, et qui est par conséquent capable d’éclairer l’Homme sur son identité. C’est ce que nous prouve en quelque sorte le travail autobiographique réalisé par certains écrivains. Cette idée semble a priori surprenante, car comment se lire soi-même en lisant la vie d’un autre Homme ? Considérons la vie de l’auteur et la vie du lecteur, qui sera amené à s’affirmer par rapport aux points de vues de l’écrivain: « Si cet auteur pense ainsi, moi, en revanche je pense comme cela ». Dans ce cas, grâce au point de comparaison fourni par l’écrivain, le lecteur peut facilement éclairer certains points de sa personnalité, qu’il n’aurait certainement pas soupçonné sans cet « instrument d’optique ». Il ne Page !2 sur !6 s’agit donc pas ici de se reconnaitre dans un personnage, mais justement de s’en distinguer afin de mieux se connaitre. Ainsi, dans le préambule des Confessions, Rousseau prétend qu’il ne peut s’identifier en aucun homme, tout comme aucun homme ne peut s’identifier en lui. Il donne simplement un point de comparaison au lecteur, ce qui lui permettra de distinguer son tempérament par rapport à celui de l’auteur, afin de mieux se connaitre. La matière est donc donnée au lecteur par l’auteur, afin qu’il réfléchisse sur sa condition, sur lui-même. L’auteur lui offre donc l’ouvrage, cette sorte de loupe, lui permettant de mieux voir des aspects de sa personnalité (qui parfois même étaient présents, mais latents, pas encore vus), et de mieux comprendre sa place dans le monde. Est-il seulement possible de considérer l’oeuvre littéraire comme se suffisant à elle même afin que le lecteur discerne les aspects flous de son identité? En parlant de « l’ouvrage de l’écrivain », comme permettant à « chaque lecteur » d’opérer une introspection par la simple activité de lecture, Proust s’exprime dans une généralité. Il faut cependant mettre en évidences quelques limites. Peut-on automatiquement considérer n’importe quelle oeuvre comme permettant au lecteur de discerner les aspects flous de sa personnalité ? Et par là même, tous les écrivains recherchent-ils à atteindre ce but ? Enfin, le lecteur en lisant de façon subjective (acte tout à fait naturel), ne peut-il pas passer à côté du sens même de son introspection ? Nous avons vu auparavant que le lecteur se découvre à travers l’activité de lecture. Mais n’importe quel ouvrage ne lui permet pas de faire un retour sur lui-même. En effet, en ayant comme support un ouvrage ne traitant que le monde extérieur des personnages, comment pourrait-il discerner des aspects de sa personnalité ? Par exemple, en lisant Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot, le lecteur ne peut se reconnaitre dans une histoire « à peu près ». En fait, Corbin lui offre uniquement la possibilité d’en découvrir davantage sur ce qui entoure un personnage auquel il a du mal à s’identifier. Le lecteur est donc écarté de cette perspective d’introspection car il n’a pas de point de repère. Bien que la Il faut d’un autre point de vue, considérer que tous les ouvrages, et par la même, tous les écrivains n’ont pas pour but d’éclairer le lecteur sur lui-même. Il parait évident qu’un roman de gare, de plage ou un roman « à l’eau de rose », n’aura pas les mêmes conséquences révélatrices pour l’auteur. En lisant des livres de Meg Cabot, comme « Le journal d’une princesse » ou encore « Coup de foudre », le lecteur s’adonne à une lecture facile, rapide et superficielle. Que Page !3 sur !6 lui apprennent de plus sur lui-même, des histoires superficielles d’adolescente devant reprendre le trône de son père ? Tout ceci s’explique par le simple fait que l’auteur a pour but de distraire l’auditoire, à occuper et distraire le lecteur pendant qu’il attend son train, ou en profitant d’un bronzage au soleil. En effet, ce type de lecture est bien souvent dénuée d’ambition littéraire, et semble laisser la place au plaisir immédiat du lecteur, ce qui ne laisse pas présager une éventuelle lecture de soi-même. N’importe quel ouvrage ne peut donc pas être prit, et donc suffire à lui même afin de prétendre éclairer le lecteur, car le but de l’auteur n’aura été qu’écrire pour distraire, sans ambition à caractéristique littéraire. Ainsi, n’importe quel ouvrage ne vaut pas comme une loupe qui mettrais l’accent sur la propre révélation de l’auteur à lui-même. Dans une autre perspective, cet « instrument d’optique » mis à disposition par l’écrivain, est appréhendé de façon différente d’un lecteur à l’autre, car chacun à sa propre façon de lire. Ainsi, comme chaque lecteur est avant tout un être subjectif, la signification donnée à certains ouvrages varie facilement. Parfois pour légitimer ses pensées, et intérêts personnels, le lecteur instrumentalisme l’ouvrage selon son bon vouloir. Donc, un machiste aura tendance à percevoir dans la création d’Ève, (Chapitre I du livre de la Genèse), une minimisation du rôle de la femme, sa création se faisant ultérieurement à l’Homme -et a fortiori d’une des ses côtes, ce qui confèrerait à ce dernier un statut plus valorisant. Il considère alors que son identité lui est révélée en tant qu’il est l’être dominant, celui qui surpasse la femme. Dans le cas contraire, une féministe aura tendance à appréhender cette création comme une marque de l’indispensable présence de la femme dans le monde, notamment pour le bien-vivre de l’homme, ayant besoin d’une présence humaine égale à lui-même. Si différemment interprété d’un lecteur à l’autre, ce livre permet de confronter des visions conflictuelles. Cette subjectivité a pour risque de conduire le lecteur à côté de sa vision de lui même. En effet, à trop vouloir légitimer ses pensées et penser l’ouvrage du lecteur selon son bon vouloir , aucune lecture de soi-même, si ce n’est qu’égoïsme, ne semble être effectuée. Ainsi, ni l’ouvrage quelqu’il soit, ni la simple activité de lecture ne semblent suffire au lecteur afin qu’il discerne ce qu’il n’eut peut être pas vu en soi-même. Dans ce cas, pour ne pas oblitérer la fonction « révélatrice » de l’ouvrage, une certaine rigueur semble être le point de raccord. Proust affirme que chaque lecteur se lit soi-même dans l’oeuvre de l’écrivain. Il s’agit néanmoins de reconsidérer cette idée en se demandant si l’ouvrage littéraire n’est pour le lecteur Page !4 sur !6 que « lecture de soi-même » ? Par ailleurs, le lecteur recherche-t-il perpétuellement dans une oeuvre littéraire à se découvrir ? Enfin, l’ouvrage « écrit »de l’écrivain est-elle la seule forme sous laquelle le lecteur a des possibilité d’effectuer une lecture de soi-même ? Affirmer qu’une certaine rigueur doit être accordée à l’activité de lecture revient à en limiter le plaisir. Les effets réjouissants de cette activité (appréciation du style d’écriture de l’auteur, découverte d’un nouvel univers) en seraient altérés premièrement parce que le lecteur ne cherche pas perpétuellement à se lire soi-même. En effet, lorsqu’il veut lâcher prise et se laisser transporter naïvement dans une autre réalité, sans trop d’efforts à fournir, il a donc plus facilement recours à ces romans de gares dont nous parlions auparavant, mais ne cherche pas (ou rarement) à se remplir la tête les références autobiographiques de Rousseau, ou les poèmes complexes de Césaire bordées de références sur soi-même à décortiquer scrupuleusement, et, au final, rester dans la même réalité qui l’entoure au quotidien. Cette lecture trop fastidieuse n’apparait donc pas comme la seule lecture possible. Connaissance et compréhension de soi sont-ils les seuls apport de l’ouvrage au lecteur ? Car ce serait non seulement enfermer l’activité de lecture dans une sorte de rigueur perpétuelle, et par la même occasion, l’ouvrage de l’écrivain ne serait voué qu’à cette fonction révélatrice pour le lecteur. En effet, l’oeuvre littéraire n’est pas limité à cette seule et unique fonction. Outre le fait de révéler à l’auteur certains aspects de soi-même, d’un côté elle peut simplement être considéré comme un outils de détente où le but recherché le plaisir spontané d’être emporté dans une autre époque, un autre monde, en contact avec d’autres personnalités, à travers une lecture simple, comme nous l’avons vu auparavant avec les romans de gare dénués d’ambitions littéraire; et, d’un autre côté, l’ouvrage offre également au lecteur la possibilité de s’agrandir intellectuellement et spirituellement. C’est ce que prouve Flaubert dans une de ses correspondances avec Louise Colet, en disant des oeuvres de Shakespeare il se sent devenir « plus grand, plus intelligent et plus pur ». En effet, la vision nouvelle de l’écrivain qui est présentée au lecteur, lui permet de recréer le monde qui l’entoure et d’accéder à une métamorphose intérieure. Par ailleurs, afin de ne pas cloisonner cette idée d’introspection dans un ouvrage écrit, nous pouvons élargir notre champ de vision à d’autres types d’ouvrages littéraires, dont il est également possible de faire une lecture de soi-même. La peinture, par exemple relève de la même esthétique que la littérature dans le sens où le peintre y expose souvent sa vie, ses émotions, son expérience ou celle des Hommes. Ainsi, le spectateur, en interprétant les signes et en se comparant aux personnages comme il le fait dans ses autres lectures, peut en apprendre Page !5 sur !6 davantage sur lui-même car il éprouve de nouveaux sentiments, se reconnait dans une illustration; parfois même, cette lecture a également une portée spirituelle, lui donnant -comme auparavant- la possibilité de s’agrandir intellectuellement. Par exemple, à la vue de La colonne brisée de Frida Kahlo, proposant une mise à nu des sentiments et des souffrances (blessures d’amour, blessures physiques, infertilité) du peintre, le spectateur possède un élément de comparaison, se reconnaitre à travers l’explication proposée par l’artiste, et fait le bilan sur sa propre vie. Il ne peut rester de marbre et exprime donc des sentiments, peut être nouveaux, ce qui lui permet également d’avoir un retour sur soi-même. Au bout du compte, il est vrai que quand il lit le lecteur se lit soi-même grâce à l’ouvrage produit par l’écrivain. Il n’est pas passif car il lui est permis de se comparer et donc de s’illustrer à travers l’expérience des personnages ou de l’écrivain lui-même; il participe à sa lecture de soi. Par ailleurs, Page !6 sur !6

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