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NERVAL (Gérard Labrunie, dit Gérard de)

Publié le 25/01/2019

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NERVAL (Gérard Labrunie, dit Gérard de), écrivain français (Paris 1808 - id. 1855). Ses premières années lui fournirent les éléments d'un constat qu'il consignera souvent dans son irrécusable simplicité (Aurélia, Promenades et Souvenirs) : « Je n'ai jamais vu ma mère. » Très tôt, en effet, Nerval est séparé de son père, Étienne Labrunie, médecin dans la Grande Armée, et de sa mère, Marie Laurent, qui rejoignent tous deux les troupes impériales en Allemagne : sa mère, alors âgée de 25 ans, y meurt le 22 octobre 1810 et est inhumée au cimetière de Gross-Glogau, en Silésie.

 

Dès lors, Gérard vit à Mortefontaine, auprès d'un oncle maternel, Antoine Boucher, dont l'évocation ouvre significativement le recueil les Illuminés. C'est à Mortefontaine que s'éveillera le goût de Nerval pour la littérature ésotérique. À Paris, Nerval est externe au lycée Charlemagne (1820), où il noue une amitié durable avec son condisciple Théophile Gautier. Dès 1826, il publie Napoléon et la France guerrière, élégie nationale, dont l'inspiration draine les thèmes mythologiques pour la plus grande gloire du nouveau Titan : la figure de Prométhée annonce la traduction du premier Faust de Goethe (1827), dont la préface évoque ces « révélations divines », « l'ardeur de la science et de l'immortalité » qui animent Faust dans son entreprise pour se hausser à la « hauteur d'un dieu ». Nerval jouit alors d'une certaine notoriété : il rencontre Célestin Nanteuil, Pétrus Borel, Hugo ; il fréquente Nodier — « l'un de mes tuteurs littéraires » —, autre initiateur en matière de germanité, Mme de Staël ayant ouvert la voie. Mais les liens qui relient Nerval à l'Allemagne sont plus profonds et plus puissants, car ils sont aussi affectifs (« La vieille Allemagne, notre mère à tous »). Après une Couronne poétique de Béranger (1829), il donne en 1830 une anthologie de Poésies allemandes et un Choix de poésies de Ronsard; il met en chantier un Han d'Islande pour le théâtre et il est, avec Gautier, de la bataille d'Hemani. L'année suivante, lorsqu'il sollicite Taylor, directeur du Théâtre-Français, il se présente ainsi : « Je suis auteur de deux pièces reçues à l'Odéon à l'unanimité. » Mais le Prince des Sots et Lara (1831) resteront dans les cartons. À partir de 1831, il publie, dans des revues, divers poèmes qui formeront pour partie la matière des futures Odelettes (1852-53) : Papillons (1830, dans le Mercure de France au XIXe s.), Avril (1831, dans Y Almanach dédié aux demoiselles], Nobles et Valets, le Réveil en voiture, le Relais (1832, dans Y Almanach des Muses}, enfin, plus significatifs de la maturation des thèmes nervaliens, le Point noir (1831, dans le Cabinet de lecture} et Fantaisie (1832, dans les Annales romantiques). En 1832, Nerval fréquente le « Petit Cénacle » qui gravite autour du sculpteur Jehan Duseigneur, tout en poursuivant d'hypothétiques études de médecine (jusqu'en 1834). Il a hérité de son grand-père maternel et inaugure alors le cycle de ses voyages : il se rend dans le midi de la France, puis en Italie (Florence, Rome, Naples). Rentré à Paris, il s'installe impasse du Doyenné : c'est l'époque de la « bohème galante », évoquée dans les Petits Châteaux de Bohême, le temps des amitiés partagées (Arsène Houssaye, Gautier), des « cydalises », des « rimes galantes ». En mai 1835, Nerval lance une revue conçue pour exalter le théâtre ainsi qu'une comédienne qu'il avait aperçue, peut-être, dès 1833, Jenny Colon : ce sera le Monde dramatique, qui disparaît dès l'année suivante. Ruiné, Nerval se replie sur de nécessaires activités de journaliste, au Figaro, à la Charte de 1830, à la Presse. Avec Gautier, il projette l'écriture des Confessions galantes de deux gentilshommes périgourdins. En même temps, Nerval continue à donner de nouveaux témoignages de ses essais pour la scène : en 1837, Piquillo, opéra-comique, écrit en collaboration avec Alexandre Dumas et représenté, avec la participation de Jenny Colon, et Caligula la même année, toujours avec la collaboration de Dumas. De l'hiver 1837-38 datent les Lettres à Jenny Colon dont on ne sait si elles ont été envoyées à leur destinataire mais qui composent un témoignage d'une grande sobriété et dont une formule de Nerval condense les enjeux : « Mon amour pour vous est une religion. » En avril 1838, Jenny Colon épouse le flûtiste Leplus : Nerval part pour l'Allemagne, où il rejoint Dumas : ils collectent ensemble des documents sur Kotzebue en vue d'un drame, Léo Burckart, qui sera joué en avril 1839, une semaine après 1'Alchimiste, écrit également avec Dumas. En octobre 1839, Nerval quitte de nouveau Paris pour l'Autriche, chargé d'une obscure mission diplomatique. À Vienne, il rencontre Marie Pleyel (apparition féminine qui est à la source de sa future

 

nouvelle la Pandora) et Liszt. De retour à Paris en mars 1840, il traduit le second Faust — ou du moins les seuls épisodes qui l'intéressent — qu'il fait précéder d'une préface révélatrice des thèmes conducteurs de sa sensibilité : le panthéisme (« Dieu est dant tout »), la solidarité des époques et des êtres dans l'éternité ( « l'éternité conserve dans son sein une sorte d'histoire universelle »), enfin et surtout, autour de l'image d'Orphée et du personnage d'Hélène, la cristallisation d'une conception de l'amour vécu comme un destin envahi par les forces magiques de la répétition et du souvenir (« Est-ce le souvenir qui se refait présent ici ? ou les mêmes faits qui se sont passés se reproduisent-ils une seconde fois dans les mêmes détails ? » ). L'année 1841 marque un tournant : en février, Nerval a une première crise de folie ; il est interné à Montmartre chez le docteur Blanche jusqu'en novembre. Le 1er mars, J. Janin fait « l'épitaphe de son esprit » dans le Journal des débats. Nerval relèvera « l'étonnant article qu'il a bien voulu consacrer à mes funérailles». D'emblée, il récuse les interprétations qui voudraient le présenter comme un homme marqué par ses crises : à ces menaces d'enfermement, il oppose sa volonté d'écrire sans renier pourtant l'expérience qui l'a traversé. D'où l'attitude ambiguë du poète à l'égard de son mal : il demande bien à Janin de « réparer » (« Je passe pour fou, grâce à votre article nécrologique »), mais n'en revendique pas moins une singularité dont l'essence lui paraît indéniablement poétique (« J'ai fait un rêve... j'en suis même à me demander s'il n'était pas plus vrai que ce qui me semble explicable et naturel aujourd'hui »). L'élaboration de son mythe personnel, se ressourçant aux données de son érudition ésotérique, s'exprime à propos d'un « petit voyage » en France, imaginé, mais non réalisé, dont il expose l'inspiration dans une lettre à Cavé (31 mars 1841). En 1842, il fait paraître dans la Sylphide, les Vieilles Ballades françaises (qui deviendront en 1854 les Chansons et Légendes du Valois) et, sous le titre d'Un roman à faire, six des lettres à Jenny Colon, ainsi qu'une première version d'Octavie : Jenny Colon est morte le 5 juin 1842. Nerval réalise cependant ses intentions de voyage en entreprenant un vaste périple autour de la Méditerranée : il visite successivement l'Égypte, le Liban, Chypre et Rhodes sur la route qui le mène à Constantinople. Il rentre par Malte, Naples et voit Pompéi et Herculanum. Il est à Paris en janvier 1844 et son activité se déploie aussitôt dans les domaines (théâtre, récit, nouvelle) qui n'ont cessé de dessiner la physionomie de la production nervalienne : de l'un à l'autre, les thèmes se répondent et s'enchaînent dans l'imité d'une œuvre soumise à de perpétuels remaniements. Il y a l'appel de l'Orient : la préparation d'une « édition classique » du Voyage en Orient, récit romancé de son expédition, le requiert jusqu'à sa parution dans sa version définitive chez Charpentier en 1851. Avec Méry, il donne le Chariot d'enfant (1850), qui met en scène une courtisane indienne. Autre pôle, le thème faustien et le fantastique : l'opéra les Monténégrins est représenté en mars

 

1849. Nerval et Méry adaptent d'après Klinger l'imagier de Harlem (1851). Un peu isolé, le roman inachevé le Marquis de Fayolle parut en feuilleton dans le Temps (de mars à mai 1849). Durant cette période, Nerval voyage beaucoup, au rythme d'une escapade par an à peu près : la Belgique ( 1844), Londres (1845), Le Havre (1847), Londres à nouveau (1849), l'Allemagne et la Belgique (1850) ; par ailleurs, de 1846 à 1853, il se rend à plusieurs reprises dans le Valois : Angélique paraît en 1850 dans le National comme partie intégrante des Faux Saulniers, avant d'être la première nouvelle du futur recueil les Filles du feu (1854). Mais les dernières années sont empreintes d'une grande détresse morale et physique : dès 1849, il doit affronter de nouvelles crises. En juin

 

1850, il est soigné par le docteur Aussandon. Hospitalisé en janvier-février 1852, il n'en publie pas moins Lorely, les Nuits d'octobre et les Illuminés. Il est à nouveau en maison de santé de février à mars 1853, travaillant

 

pourtant aux Filles du feu et aux Chimères, qu'il publie l'année même, ainsi que les Petits Châteaux de Bohême et Sylvie. Il est encore hospitalisé d'août 1853 à mai 1854 (à la clinique du Dr Blanche à Passy). De mai à juillet 1854, il voyage en Allemagne, mais il écrit au Dr Blanche qu'il a « de la peine à séparer la vie réelle de celle du rêve ». De retour à Paris, il doit rentrer à Passy : « C'est l'épanchement du songe dans la réalité. » Il travaille à Aurélia, conçue dès 1841 ; il publie Promenades et Souvenirs et le début de la Pandora. Aurélia enfin paraît en deux parties le 1er janvier et le 15 février 1855. Dans l'entre-deux, Nerval est retrouvé pendu rue de la Vieille-Lanterne.

 

De l'époque de la « bohème galante » à celle du « fou sublime », Nerval a vécu en contact permanent avec ses contemporains : nulle réclusion qui l'eût soustrait à ses connaissances féminines, à ses amitiés fidèles (Gautier, Houssaye, Stadler, Dumas), à la proximité problématique de son père (relation marquée au coin de la culpabilité), voire aux mondanités. Homme de lettres, il écrit à J. Colon : « J'arrange volontiers ma vie comme un roman. » L'œuvre, complexe dans ses cheminements, ressemble à une sorte d'autobiographie destituée, soustraite aux prestiges équivoques du genre : « Je suis du nombre des écrivains dont la vie tient intimement aux ouvrages qui les ont fait connaître » (Promenades et Souvenirs). Dominée par l'idée de la répétition et de la ressemblance, thème originel qui fait corps avec elle, l'œuvre se déploie dans une arborescence qui rappelle et illustre la propre généalogie fantastique de Nerval. Au sein de ce complexe, Aurélia brille d'un éclat particulier, articulant ce thème avec une grande intensité poétique : dans sa « descente aux enfers », Nerval a la révélation d'une « Vita nova ». Il est convaincu d'une « vaste conspiration de tous les êtres animés pour rétablir le monde dans son harmonie première » ; harmonie perdue qui est l'enjeu d'un combat immémorial dont le Voyage en Orient esquissait les cycles en deux de ses épisodes [l'île de Roddah, Histoire de la reine du matin et de Soliman : thème du feu, élément natif de l'âme) ; harmonie dont les ondes ne cessent d'animer son expérience « L'alphabet magique, l'hiéroglyphe mystérieux ne nous arrivent qu'incomplets et faussés. » Il faut donc « retrouver la lettre perdue ou le signe effacé ». Et la montée en lui des souvenirs, qu'il compare dans Angélique à un palimpseste, l'expérience d'une ressemblance généralisée des êtres et des choses (« Tout se correspond ») assimilent le progrès de l'œuvre à un ressouvenir. Le « livre infaisable » répétera Diderot, Swift, voire Lucien et Homère : « Le monde tourne dans un cercle étemel » (l'Âne d'or). Témoignage d'une expérience initiatique, Aurélia est le lieu de la rédemption et de la révélation de la Déesse, « la même que Marie, la même que ta mère, la même aussi que sous toutes les formes tu as aimée », tandis que Nerval lit sa propre filiation dans les figures qu'il a déposées tout au long de son œuvre (Napoléon, Restif « le spiritualiste païen »). « Mystique isiaque », « caïnisme romantique » à chaque détour, on voit émerger les réminiscences livresques : Kircher, Court de Gébelin, Dom Pernety, Herbelot de Molainville, Creuzer... Ses amis littéraires ont salué en lui un grand connaisseur, voire un créateur de mythes — dimension essentielle, édulcorée dans la divulgation qu'ils ont faite de l'image d'un rêveur inoffensif et d'une victime. Artaud a justement écorné le portrait falsifié d'un « gentil esprit » qu'on devait à la sollicitude de Janin ; l'auteur délicat des tableaux en demi-teintes d'un Valois, qui était certes essentiel à son « culte des souvenirs », a pris place, au-delà du bon goût, au panthéon des « rêveurs définitifs » (Breton) : « pendu devant la naissance des fables et les sources des allégories » (Artaud). Situation paradoxale de ce « prosateur obstiné » — ainsi que se qualifiait lui-même l'auteur des Chimères —, qui, à l'instar de ses contemporains, ranima l'érudition des néoplatoniciens, mais en la mettant au service d'un rêve essentiel.

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« Gérard Labrunie, né à Paris le 22 mai 1808 et qui ne prit le pseudonyme de Nerval qu'en 1844, était fils d'un médecin militaire.

Sa mère mourut au passage de la Bérésina, où elle avait eu l'idée singulière d'accompagner son mari.

Il débuta très tôt dans la vie littéraire en publiant de fort médiocres poèmes inspirés par les événements.

Après les délicieuses années de bohème de la rue du Doyenné, avec Gautier, Beauvoir, etc., il voyagea et, en vingt ans, visita Italie, Belgique, Allemagne, Suisse, Autriche, Egypte, Turquie, Syrie, Hollande...

Mais dans le même temps, sept autres voyages... imaginaires, certains de quelques jours, d'autres de plusieurs mois : sept internements, car il est fou.

Il s'évade, on le croit guéri.

Il promène un homard tenu en laisse avec un ruban rose, au Palais-Royal : il faut bien le confier de nouveau au docteur Blanche ou aux maisons Dubois...

Et l'admirable, l'incompréhensible, c'est que ce génie charmant ait laissé avec Aurélia , qui est déjà surréaliste, avec les merveilleuses Chimères , déjà décadentes et symbolistes, des miracles de fraîcheur et de grâce classique, comme Sylvie ...

On connaît la fin, où l'on ne sait ce qui l'emporte, de la logique ou du mystère : par un froid de moins dix-huit degrés, à l'aube du 25 janvier 1855, rue de la Vieille-Lanterne, on décrocha ce rêveur exquis d'un auvent où il s'était pendu (où on l'avait pendu ?), à l'endroit très précisément occupé aujourd'hui par le trou du souffleur au théâtre Sarah- Bernhardt .. »

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