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Sartre et le désespoir

Publié le 24/03/2015

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Quant au désespoir, cette expression a un sens extrême­ment simple. Elle veut dire que nous nous bornerons à compter sur ce qui dépend de notre volonté, ou sur l'ensemble des probabilités qui rendent notre action possible. Quand on veut quelque chose, il y a toujours des éléments probables. Je puis compter sur la venue d'un ami. Cet ami vient en chemin de fer ou en tramway ; cela suppose que le chemin de fer arrivera à l'heure dite, ou que le tramway ne déraillera pas. Je reste dans le domaine des possibilités ; mais il ne s'agit de compter sur les possibles que dans la mesure stricte où notre action comporte l'ensemble de ces possibles. À partir du moment où les possibilités que je considère ne sont pas strictement engagées par mon action, je dois m'en désintéresser, parce qu'aucun Dieu, aucun dessein ne peut adapter le monde et ses possibles à ma volonté. Au fond, quand Descartes disait : << Se vaincre plutôt soi-même que le monde ”, il voulait dire la même chose : agir sans espoir.

L'existentialisme est un humanisme, © Éditions Gallimard, p. 48- 49.

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« Textes commentés 49 Ce texte s'attache à la définition du concept de désespoir, qui joue un rôle important dans les philosophies de l'existence depuis le Traité du désespoir de Kierkegaard.

II s'agit de tirer les conséquences pratiques de l'état de délaissement dans lequel est laissé le Pour-soi : il ne faut compter que sur les possibles que notre action suppose et ne compter que sur soi seul, sans attendre l'intervention de Dieu.

Le concept de désespoir est considéré par Sartre comme un concept «extrêmement simple», qui n'a en rien le sens complexe que lui donne Kierkegaard : puisqu'il n'y a pas de valeurs sur lesquelles compter ni de commandements divins qu'il suffirait de suivre, il est impossible de déter­ miner a priori ce que je dois faire ou bien l'issue de mon action.

C'est dans cette perspective que je suis désespéré, non au sens où je cesserais d'agir et que je m'abandonnerais au quiétisme, mais au sens où je ne compterai pas sur des possibles qui seraient donnés d'avance mais sur « l'ensemble des probabilités qui rendent notre action possible.

» (lignes 2-3) Le possible n'est donc pas un élément préexistant au réel, même si je peux compter sur certaines probabilités objectives (le fait que le train ne déraillera pas, si j'attends un ami), mais il succède au réel au sens où il est produit par mon action.

Il n'y a, en ce sens, aucun possible qui viendrait au devant de ma volonté, qui serait prévu par Dieu, mais c'est la volonté qui provoquera ses possibles.

Ce que Sartre rapproche de la formule de la morale par provision de Descartes, dans le Discours de la méthode, troisième partie : « tâcher plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde.

» (citée inexactement ligne 11) En réalité, la propo­ sition cartésienne est très différente de ce que lui fait dire Sartre : Descartes s'inspire de la morale stoïcienne, qui affirme que le cours du monde ne dépend pas de nous et que ne dépendent de nous que nos repré­ sentations et nos désirs ; il s'agit donc pour nous de renoncer à nos désirs plutôt qu'à ce qui «ne dépend pas de nous» (Epictète).

À l'inverse, pour Sartre, il n'y a rien à quoi je doive renoncer a priori car je ne saurai ce qui est possible qu'après avoir agi : il n'y a ni possibles ni impossibles sinon ceux qui sont dessinés par le champ de mon action ; il n'est dans cette perspective rien qui viendrait limiter ma liberté, dont on a vu qu'elle était infinie : un obstacle n'est infranchissable que pour celui qui a le libre projet de le franchir (cf.

L'Être et le Néant, p.

545), et il ne dira qu'il était impossible à franchir que parce qu'il a renoncé à le surmonter.. »

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