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A QUOI SERT LA TECHNIQUE ?

Publié le 23/05/2009

Extrait du document

technique

REMARQUES SUR LE SUJET

 

 

Nous suggérons de commencer par réfléchir sur les significations possibles du verbe « servir «. Il conviendrait aussi d'éviter le verbiage humaniste généralement de mise dès que l'on parle de technique. Par exemple on pourrait, à propos de ce sujet, affirmer en un premier temps que la technique est utile à l'homme dans la mesure où elle sert à développer son bien-être, puis, prendre dans un deuxième temps le contre-pied radical de cette position en déclarant que loin de servir l'homme, la technique tend plutôt aujourd'hui à l'asservir. Enfin, on pourrait conclure en disant que l'homme doit contrôler avec discernement le gigantesque développement de la technique. De semblables bavardages ne nous apprennent guère ce qu'est la technique. Or c'est précisément ce qu'il faut découvrir afin de ne pas parler pour ne rien dire. Il faut s'interroger sur l'essence même de la technique. Signalons qu'il en va de même lorsque le sujet rapproche directement la technique et l'homme (cf. « Est-ce l'homme qui fait la technique ou la technique qui fait l'homme? «, Caen, séries C et D, session de remplacement de septembre 1976). Pour revenir à notre sujet, c'est seulement lorsque nous aurons précisé le sens du mot « technique « qu'il nous sera loisible de proposer, à l'aide de quelques exemples, une réponse à la question qui nous est posée. Nous dirons pour conclure que cette question est elle-même issue des modes de représentations et des façons de penser propres à la technique (notions d'efficacité, d'utilité, etc.).

 

DÉVELOPPEMENT

 

A première vue la question « A quoi sert la technique? « semble n'être qu'une banale invitation à dresser une liste des utilisations les plus marquantes de la technique. Devons-nous cependant, face à la question qui nous est posée, nous contenter d'une semblable énumération? Il nous apparaît au contraire qu'une telle façon de faire laisse immanquablement de côté l'essentiel en le submergeant sous un flot d'exemples. Mais alors comment procéder? Nous dirons qu'il ne faut pas vouloir se hâter de répondre à la question posée mais qu'il convient plutôt en un premier temps de chercher à la bien comprendre. Ainsi, seule une prudente marche d'approche nous permet d'atteindre le cœur de la question. C'est pourquoi, avant même de nous attacher à préciser le sens du mot « technique «, nous nous demanderons ce que signifie au juste le verbe « servir «. Cette dernière interrogation peut paraître futile, mais l'on s'apercevra rapidement qu'il n'en est rien. Elle se révélera en effet fructueuse puisqu'elle nous donnera la possibilité de bien délimiter la question du sujet. Puis le gros de notre travail consistera à nous interroger sur les diverses significations du mot « technique «. Il est à noter que la réponse à la question de savoir à quoi sert la technique s'élaborera au cours de cette interrogation. Nous prendrons alors quelques exemples précis pour étayer nos dires et nous essaierons pour terminer de montrer en quoi la question « A quoi sert la technique? « relève d'une façon de penser qui provient du fond même de la technique.

 

technique

« hypothèse, et peut-être surtout dans cette hypothèse, la technique est encore envisagée comme un moyen.

Queconvient-il alors de faire? Faut-il tout bonnement renoncer à s'interroger sur la technique? Peut-être est-ceprécisément l'attitude qui consiste à prendre la technique comme quelque chose qui va de soi qui se conforme leplus à ce qu'est dans son essence la technique.On a généralement coutume de se représenter la technique comme un moyen pour parvenir à certaines fins.

Dans lamesure où c'est l'homme qui détermine ces fins, la technique apparaît corrélativement comme une activité humaine.« Ces deux manières de caractériser la technique sont solidaires l'une de l'autre.

Car poser des fins, constituer etutiliser des moyens sont des actes de l'homme.

La fabrication et l'utilisation d'outils, d'instruments et de machinesfont partie de ce qu'est la technique.

En font partie ces choses mêmes qui sont fabriquées et utilisées, et aussi lesbesoins et les fins auxquels elles servent.

L'ensemble de ces dispositifs est la technique.

Elle est elle-même undispositif, en latin un instrumentum (instrument).

» (Heidegger, Essais et Conférences, p.

10.) Telle est lareprésentation courante de la technique.

Puisque celle-ci interprète la technique comme un moyen et aussi dumême coup comme une activité propre à l'homme, nous pouvons dire avec Heidegger qu'il s'agit là d'une conceptioninstrumentale et anthropologique de la technique.

Cette interprétation est parfaitement exacte.

Nous devronscependant tout à l'heure « chercher le vrai à travers l'exact » (id.

p.

12).

Pour l'instant continuons à nous interrogersur l'interprétation courante de la technique.

C'est habituellement par le biais d'une comparaison avec la sciencequ'une telle interprétation s'efforce de préciser ce qu'est la technique.

On dit ainsi que la science cherche àexpliquer le réel tandis que la technique tend à le transformer.

La première aurait donc plutôt affaire à des rapportsde causes à effets et la seconde à des rapports de moyens à fins.

La technique serait ainsi l'application de lascience.

On souligne aussi l'antériorité chronologique de la technique par rapport à la science.

La technique apparaîten effet comme une activité préscientifique d'ordre empirique.

Mais à partir du moment où les théories scientifiques,telles les montagnards de la chanson, sont là, on s'aperçoit qu'il y a une antériorité logique de la science par rapportà la technique.

On peut même dire que la technique sert à faire progresser la science, non seulement parce que desingénieurs et des techniciens construisent les appareils et les instruments dont ont besoin pour leurs recherchespures des savants aussi distraits que désintéressés, mais encore parce qu'un échec technique (à propos d'uneexpérience par exemple) stimule le savant qui y voit aussitôt un problème théorique.

On peut enfin ajouter qu'il y aainsi une réciprocité entre la fonction scientifique d'explication du réel et la fonction technique de transformation duréel, la technique étant en quelque sorte l'application et la vérification de la science.Si l'on relit ce qui vient d'être dit, on s'aperçoit qu'une réponse a été donnée à la question « A quoi sert latechnique? ».

Nous pouvons en effet répondre que la technique sert à faire progresser la science.

Nous ne saurionscependant nous contenter d'une pareille réponse.

Pourquoi donc? Parce que celle-ci provient de généralités sur latechnique et non d'une analyse de ce qu'est en son fond la technique.

Ces généralités se meuvent d'ailleurs sur leterrain de la représentation courante — c'est-à-dire anthropologique et instrumentale — de la technique.

Ajoutonsque ces remarques générales sur les rapports entre la science et la technique qui sont encore distillées çà et làdans l'enseignement de la philosophie en France font sourire et même rire aux éclats les scientifiques avisés.

Nousdevons donc continuer à nous demander ce qu'est la technique.

En d'autres termes, il nous faut avancer versl'essence de la technique.

Car ce n'est que lorsque nous aurons perçu celle-ci qu'il nous sera loisible de proposerune réponse à la question du sujet.

Précisons dès à présent avec Heidegger que si « l'essence de la technique n'estabsolument rien de technique » (Essais et Conférences, p.

9), le mot essence à son tour ne doit pas être pris icidans son acception métaphysique.

Jean Beaufret suggère de commenter l'expression « essence de la technique »par celle d'« esprit de la technique ».

Et il ajoute « que le mot allemand Wesen [essence], dans Wesen der Technik[essence de la technique] ne doit précisément pas être pris comme répondant à la question dite de la quiddité, dansla mesure où cette question n'est encore axée que sur ce qu'il y a de commun à ce qui est technique pour ledégager sous la forme d'une idée générale » (Dialogue avec Heidegger, tome III, p.

47; cf.

aussi Heidegger : Essaiset Conférences, pp.

39 à 41).C'est d'abord sous la forme de l'adjectif, puis ensuite sous celle du substantif qu'apparaît en français le mot «technique ».

Son emploi, à la fin du xviiie siècle, et surtout au xixe siècle, coïncide avec le développement dumachinisme et du capitalisme.

Nous pouvons ainsi présumer que l'apparition du substantif « technique » est liée àces deux phénomènes.

Mais dans quelle mesure? Pour répondre à cette question il convient de réfléchir sur l'originedu mot (< technique ».

Le mot vient du grec technè [prononcer teknè].

Pour les Grecs le mot désigne tout autant lemétier au sens du savoir-faire que l'art.

De plus, nous devons noter, sans toutefois prétendre ici analyser en détailles divers sens du grec technè [cf.

dans ce livre le texte sur l'art], que ce mot, pris dans sa plus profondeacception, désigne un savoir propre à l'homme et une façon d'être en rapport avec la vérité.

Pour Platon en effet lemot technè est en un sens synonyme du mot épistèmè (science, savoir).

Ce n'est plus le cas chez Aristote quiinsiste cependant sur le fait que la technè est pour l'âme (psychè) l'une des cinq manières d'exprimer la vérité.

Lesquatre autres sont, nous dit-il, « la science (ou le savoir : épistèmè), la prudence avisée (phronèsis), la sagesse(sophia), l'esprit (noûs) » (Éthique de Nicomaque, VI, 3).

La technè occupe un rang inférieur dans la gradationqu'établit Aristote.

Mais cela ne signifie nullement que celui-ci la considère comme un concept instrumental.

Latechnè comme art et savoir-faire installe l'homme dans une certaine relation avec la vérité (alêthéia).

Aristotedéfinit ainsi la technè : « une disposition poiétique [susceptible de création, tournée vers la création (poiésis)]accompagnée de raison vraie » (id., VI, 4).

Cette courte réflexion sur la provenance grecque du concept detechnique nous fait comprendre que l'interprétation instrumentale, pour exacte qu'elle soit, n'atteint jamais l'essencede la technique.

Nous saisissons ainsi que le concept grec de technè n'est pas, pour reprendre les termes deHeidegger, « un concept du faire (machen) mais bien plutôt un concept du savoir (wissen) » (inédit).

Le lienétymologique entre technè et technique est en l'occurrence l'indice d'une plus profonde filiation.Si la technè s'inscrit donc pour les Grecs dans un rapport à la vérité, il en va de même en ce qui concerne latechnique moderne.

Plus précisément, celle-ci trouve son origine dans la pensée des Grecs, lesquels nesoupçonnèrent pourtant rien de sa puissance, non qu'ils auraient « manqué de flair », mais parce que la maîtrisetechnique de la nature était pour eux. »

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