Devoir de Philosophie

Le Corricolo C'est donc l'aristocratie qui defraie l'ete les aquajoli.

Publié le 11/04/2014

Extrait du document

Le Corricolo C'est donc l'aristocratie qui defraie l'ete les aquajoli. Les princes, les ducs, les grands seigneurs ne dedaignent pas de faire arreter leurs equipages aux boutiques des aquajoli et de boire un ou deux verres de cette delicieuse boisson, dont chaque verre ne coute pas un liard. C'est que rien n'est tentant au monde, sous ce climat brulant, comme la boutique de l'aquajolo, avec sa couverture de feuillage, ses franges de citrons et ses deux tonneaux a bascule pleins d'eau glacee. Je sais que pour mon compte je ne m'en lassais pas, et que je trouvais adorable cette facon de se rafraichir sans presque avoir besoin de s'arreter. Il y a des aquajoli de cinquante pas en cinquante pas; on n'a qu'a etendre la main en passant, le verre vient vous trouver, et la bouche court d'elle-meme au verre. Quant au lazzarone, il fait la nique aux buveurs, en mangeant son cocomero. Maintenant ce n'est point assez que le lazzarone mange, boive et dorme; il faut encore que le lazzarone s'amuse. Je connais une femme d'esprit qui pretend qu'il n'y a de necessaire que le superflu et de positif que l'ideal. Le paradoxe semble violent au premier abord, et cependant, en y songeant, on reconnait qu'il y a, surtout pour les gens comme il faut, quelque chose de vrai dans cet axiome. Or, le lazzarone a beaucoup des vices de l'homme comme il faut. Un de ses vices est d'aimer les plaisirs. Les plaisirs ne lui manquent pas. Enumerons les plaisirs du lazzarone. Il a l'improvisateur du mole. Malheureusement, nous avons dit qu'a Naples il y avait beaucoup de choses qui s'en allaient, et l'improvisateur est une des choses qui s'en vont. Pourquoi l'improvisateur s'en va-t-il? quelle est la cause de sa decadence? Voila ce que tout le monde s'est demande et ce que personne n'a pu resoudre. On a dit que le predicateur lui avait ouvert une concurrence: c'est vrai; mais examinez sur la meme place le predicateur et l'improvisateur, vous verrez que le predicateur preche dans le desert, et que l'improvisateur chante pour la foule. Ce ne peut donc etre le predicateur qui ait tue l'improvisateur. On a dit que l'Arioste avait vieilli; que la folie de Roland etait un peu bien connue; que les amours de Medor et d'Angelique, eternellement repetees, etaient au bout de leur interet; enfin que, depuis la decouverte des bateaux a vapeur et des allumettes chimiques, les sorcelleries de Merlin avaient paru bien pales. Rien de tout cela n'est vrai, et la preuve c'est que, l'improvisateur coupant les seances comme le poete coupe ses chants, et s'arretant chaque soir a l'endroit le plus interessant, il n'y a pas de nuit que quelque lazzarone impatient n'aille reveiller l'improvisateur pour avoir la suite de son recit. D'ailleurs, ce n'est pas l'auditoire qui manque a l'improvisateur, c'est l'improvisateur qui manque a l'auditoire. Eh bien! cette cause de la decadence de l'improvisation, je crois l'avoir trouvee: la voici. L'improvisateur est aveugle comme Homere; comme Homere, il tend son chapeau a la foule pour en obtenir une faible retribution; c'est cette retribution, si modique qu'elle soit, qui perpetue l'improvisateur. Or, qu'arrive-t-il a Naples? C'est que, lorsque l'improvisateur fait le tour du cercle tendant son chapeau, il y a des spectateurs poetiques et consciencieux qui y plongent la main pour y laisser un sou; mais il y en a aussi qui, abusant du meme geste, au lieu d'y mettre un sou, en retirent deux. Il en resulte que, lorsque l'improvisateur a fini sa tournee, il retrouve son chapeau aussi parfaitement vide qu'avant de l'avoir commencee, moins la coiffe. IX. Le Lazzarone. 64 Le Corricolo Cet etat de choses, comme on le comprend, ne peut durer: il faut a l'art une subvention; a defaut de subvention, l'art disparait. Or, comme je doute que le gouvernement de Naples subventionne jamais l'improvisateur, l'art de l'improvisation est sur le point de disparaitre. C'est donc un plaisir qui va echapper au lazzarone; mais, Dieu merci! a defaut de celui-ci, il en a d'autres. Il a la revue que le roi tous les huit jours passe de son armee. Le roi de Naples est un des rois les plus guerriers de la terre; tout jeune, il faisait deja changer les uniformes des troupes. C'est a propos d'un de ces changements, qui ne s'operaient pas sans porter quelque atteinte au tresor, que son aieul Ferdinand, roi plein de sens, lui disait les paroles memorables qui prouvaient le cas que le roi faisait, non pas sans doute du courage, mais de la composition de son armee:--Mon cher enfant, habille-les de blanc, habille-les de rouge, ils s'enfuiront toujours. Cela n'arreta pas le moins du monde le jeune prince dans ses dispositions belliqueuses; il continua d'etudier le demi-tour a droite et le demi-tour a gauche; il amena des perfectionnements dans la coupe de l'habit et la forme du schako; enfin, il parvint a elargir les cadres de son armee jusqu'a ce qu'il put y faire entrer cinquante mille hommes a peu pres. C'est, comme on le voit, un fort joli joujou royal que cinquante mille soldats qui marchent, qui s'arretent, qui tournent, qui virent a la parole, ni plus ni moins que si chacune de ces cinquante mille individualites etait une mecanique. Maintenant, examinons comment cette mecanique est montee, et cela sans faire tort le moins du monde au genie organisateur du roi et au courage individuel de chaque soldat. Le premier corps, le corps privilegie, le corps par excellence de toutes les royautes qui tremblent, celui auquel est confiee la garde du palais, est compose de Suisses; leurs avantages sont une paie plus elevee; leurs privileges, le droit de porter le sabre dans la ville. La garde ne vient qu'en second, ce qui fait que, quoique jouissant a peu pres des memes avantages et des memes privileges que les Suisses, elle execre ces dignes descendants de Guillaume Tell, qui, a ses yeux, ont commis un crime irremissible, celui de lui avoir pris le premier rang. Apres la garde vient la legion sicilienne, qui execre les Suisses parce qu'ils sont Suisses, et les Napolitains parce qu'ils sont Napolitains. Apres les Siciliens vient la ligne, qui execre les Suisses et la garde parce que ces deux corps ont des avantages qu'elle n'a pas et des privileges qu'on lui refuse, et les Siciliens par la seule raison qu'ils sont Siciliens. Enfin, vient la gendarmerie, qui, en sa qualite de gendarmerie, est naturellement execree par les autres corps. Voila les cinq elements dont se compose l'armee de Ferdinand II, cette formidable armee que le gouvernement napolitain offrait au prince imperial de Russie comme l'avant-garde de la future coalition qui devait marcher sur la France. Mettez dans une plaine les Suisses et la garde, les Siciliens et la ligne; faites-leur donner le signal du combat par la gendarmerie, et Suisses, Napolitains, Siciliens et gendarmes s'entr'egorgeront depuis le premier jusqu'au dernier, sans rompre d'une semelle. Echelonnez ces cinq corps contre l'ennemi, aucun ne tiendra peut-etre, car chaque echelon sera convaincu qu'il a moins a craindre de l'ennemi que de ses allies, et que, si mal attaque qu'il sera par lui, il sera encore plus mal soutenu par les autres. IX. Le Lazzarone. 65

« Cet etat de choses, comme on le comprend, ne peut durer: il faut a l'art une subvention; a defaut de subvention, l'art disparait.

Or, comme je doute que le gouvernement de Naples subventionne jamais l'improvisateur, l'art de l'improvisation est sur le point de disparaitre. C'est donc un plaisir qui va echapper au lazzarone; mais, Dieu merci! a defaut de celui-ci, il en a d'autres. Il a la revue que le roi tous les huit jours passe de son armee. Le roi de Naples est un des rois les plus guerriers de la terre; tout jeune, il faisait deja changer les uniformes des troupes.

C'est a propos d'un de ces changements, qui ne s'operaient pas sans porter quelque atteinte au tresor, que son aieul Ferdinand, roi plein de sens, lui disait les paroles memorables qui prouvaient le cas que le roi faisait, non pas sans doute du courage, mais de la composition de son armee:—Mon cher enfant, habille-les de blanc, habille-les de rouge, ils s'enfuiront toujours. Cela n'arreta pas le moins du monde le jeune prince dans ses dispositions belliqueuses; il continua d'etudier le demi-tour a droite et le demi-tour a gauche; il amena des perfectionnements dans la coupe de l'habit et la forme du schako; enfin, il parvint a elargir les cadres de son armee jusqu'a ce qu'il put y faire entrer cinquante mille hommes a peu pres. C'est, comme on le voit, un fort joli joujou royal que cinquante mille soldats qui marchent, qui s'arretent, qui tournent, qui virent a la parole, ni plus ni moins que si chacune de ces cinquante mille individualites etait une mecanique. Maintenant, examinons comment cette mecanique est montee, et cela sans faire tort le moins du monde au genie organisateur du roi et au courage individuel de chaque soldat. Le premier corps, le corps privilegie, le corps par excellence de toutes les royautes qui tremblent, celui auquel est confiee la garde du palais, est compose de Suisses; leurs avantages sont une paie plus elevee; leurs privileges, le droit de porter le sabre dans la ville. La garde ne vient qu'en second, ce qui fait que, quoique jouissant a peu pres des memes avantages et des memes privileges que les Suisses, elle execre ces dignes descendants de Guillaume Tell, qui, a ses yeux, ont commis un crime irremissible, celui de lui avoir pris le premier rang. Apres la garde vient la legion sicilienne, qui execre les Suisses parce qu'ils sont Suisses, et les Napolitains parce qu'ils sont Napolitains. Apres les Siciliens vient la ligne, qui execre les Suisses et la garde parce que ces deux corps ont des avantages qu'elle n'a pas et des privileges qu'on lui refuse, et les Siciliens par la seule raison qu'ils sont Siciliens. Enfin, vient la gendarmerie, qui, en sa qualite de gendarmerie, est naturellement execree par les autres corps. Voila les cinq elements dont se compose l'armee de Ferdinand II, cette formidable armee que le gouvernement napolitain offrait au prince imperial de Russie comme l'avant-garde de la future coalition qui devait marcher sur la France. Mettez dans une plaine les Suisses et la garde, les Siciliens et la ligne; faites-leur donner le signal du combat par la gendarmerie, et Suisses, Napolitains, Siciliens et gendarmes s'entr'egorgeront depuis le premier jusqu'au dernier, sans rompre d'une semelle.

Echelonnez ces cinq corps contre l'ennemi, aucun ne tiendra peut-etre, car chaque echelon sera convaincu qu'il a moins a craindre de l'ennemi que de ses allies, et que, si mal attaque qu'il sera par lui, il sera encore plus mal soutenu par les autres.

Le Corricolo IX.

Le Lazzarone.

65. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles