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Peut-il y avoir une morale du plaisir?

Publié le 13/01/2014

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CUCURELLA ECS1 Benjamin Dissertation de Philosophie : Peut-il y avoir une morale du plaisir ? Si l'Homme éprouve le besoin d'une morale du plaisir, c'est avant tout pour se détourner de ses angoisses. Ces dernières touchent à l'inévitabilité de la mort, la crainte des dieux, la question de la souffrance et la question du sens. Mais la nécessité d'une telle absolutisation du plaisir, qui devient une fin en soi, émerge également de la volonté d'accéder à la vie heureuse. Ainsi il convient de se demander s'il existe une véritable règle de vie, entièrement fondée sur le plaisir, qui permettrait à l'Homme d'atteindre le souverain bien. Autrement dit, le plaisir peut-il constituer à lui seul une ligne de conduite ? Est-ce que ce type de morale connaît des limites ? Mais encore existe-t-il d'autres moyens pour parvenir au bonheur ? De prime abord, le plaisir a déjà constitué à première vue un art de vivre à part entière et ce depuis l'Antiquité. Certains penseurs ont orienté leur vie vers différentes sources de bien-être, que ce soit l'amitié, la tendresse, la sexualité libre, les plaisirs de la table, la noblesse de l'âme ou encore un corps en bonne santé. Dans le même temps, les douleurs et les déplaisirs, tels que l'humiliation, la soumission, ou la violence étaient à éviter. Les adeptes de cette philosophie, l'hédonisme, se devaient d'être curieux et autonomes intellectuellement, faisant confiance non pas en la foi, mais en leur savoir ainsi qu'en l'expérience du réel. Pour cette raison, la pensée hédoniste a été fermement combattue par les principales religions monothéistes, comme le christianisme, qui revendiquait la foi chrétienne comme étant l'hédonisme véritable, car menant au plaisir le plus profond et le plus durable, dans la contemplation de Dieu. Dans sa Lettre à Ménécée, EPICURE expose les principes de sa doctrine, proche de l'hédonisme. L'éthique épicurienne fait du plaisir le souverain bien, cependant à la différence de l'hédonisme, l'épicurisme ne défend pas un plaisir plein, mais plutôt une idée négative du plaisir, qui réside en majeure partie dans l'ataraxie, littéralement « absence de troubles ». Cet objectif n'est réalisable que si celui qui aspire au bonheur accepte de rejeter les opinions fausses sur les dieux, ainsi que la mort (puisque nous ne la vivons jamais à la première personne), afin de ne plus craindre ces deux dernières choses. De plus, Epicure exhorte son lecteur de réguler ses désirs et vivre prudemment, en fuyant à tout prix ce qui peut introduire du trouble dans le corps et l'esprit. Cependant, cette dernière condition suppose que l'éthique épicurienne, tout comme la morale hédoniste, admet des limites. En réalité, ces morales du plaisir vues précédemment connaissent des limites, autrement dit des contraintes, qui impliquent une certaine restriction de liberté, par conséquent une restriction du bonheur. De fait, s'adonner entièrement aux plaisirs peut conduire à l'effet inverse, car la débauche entraîne le plus souvent, après coup, une grande douleur, une frustration. Pour illustrer, on peut dire que dans Les Liaisons Dangereuses de LACLOS, le libertinage poussé à l'extrême du vicomte de Valmont et de la marquise de Merteuil conduit à la perversion de leur liberté. C'est pourquoi Lucrèce, épicurien romain, conseillera des amours légères plutôt que passionnelles. De même, la nourriture, la boisson doivent toujours être consommés avec modération car, s'ils deviennent excessifs, de tels plaisirs peuvent empoisonner le corps. Ainsi, dans La Grande Bouffe de FERRERI, les quatre protagonistes meurent tour à tour des suites de leur festin frénétique ... Pour cette raison et pour se différencier de l'hédonisme, Epicure avance que celui qui veut être heureux devra donc contrôler sans relâche le moindre de ses désirs, et que parmi eux, il faut distinguer ceux qui sont naturels et nécessaires (qu'il faut satisfaire) et ceux qui sont vains. Le paradoxe de la morale du plaisir épicurienne repose sur un principe de calcul des plaisirs et des peines (qui est également un paradoxe de la doctrine utilitariste de BENTHAM), selon lequel le plaisir s'échange contre une peine : Epicure avance que « il y a des douleurs que nous estimons valoir mieux que des plaisirs, savoir lorsque, après avoir longtemps supporté des douleurs, il doit résulter de là pour nous un plaisir qui les surpasse ». En effet on se doute que la consultation d'un médecin, surtout dans l'Antiquité, n'était pas une pure partie de plaisir. La douleur doit donc être parfois comprise comme la condition nécessaire à l'ataraxie et, pour cet exemple, à la santé du corps. Ainsi, le fait que « tout plaisir n'est pas à rechercher » et que « toute douleur ne doit pas être évitée » révèle qu'il existe une antinomie au sein de la morale. Ainsi une telle morale du plaisir ne semble pas être viable. Le fait de considérer le plaisir comme le souverain bien a été longtemps contesté : le bonheur ne peut être procuré par le plaisir, mais par la vertu. Comme Sénèque le définie dans La Vie Heureuse, le souverain bien c'est « une âme qui méprise les évènements extérieurs et se réjouit par la vertu ». Ainsi une morale des plaisirs ne peut constituer un souverain bien, car le bonheur exige la stabilité; or le plaisir est tout sauf stable et régulier. Au contraire, il est capricieux, impossible à contenir, et là repose l'erreur de toute doctrine faisant le plaisir le souverain bien. De surcroît, Sénèque avance que le bonheur se vit dans le présent, or le plaisir toujours en dehors du présent (les épicuriens jouissent des plaisirs passés et font des plans pour acquérir des plaisirs dans le futur). Cette errance dans la temporalité est par conséquent incompatible avec le bonheur, qui exige la stabilité permanente. Par ailleurs, le plaisir peut accompagner le mal (dans le cas de viol, pédophilie ou inceste par exemple) et peut être lassant (« le plaisir, au moment où on en jouit le plus, s'éteint » - Sénèque), tandis que le souverain bien se doit de toujours être bon et immortel : ainsi le plaisir ne peut constituer le souverain bien. Pour les Stoïciens, le bien souverain se fonde sur la vertu, définie par Sénèque comme « la force invincible de l'âme, ayant l'expérience des choses, calme dans l'action avec beaucoup d'humanité et un grand soin des gens qui nous entourent ». Cette vertu doit jouer le rôle d'un guide assurant liberté et sûreté, avec qui « nous n'en aurons pas moins le plaisir, mais nous en serons les maîtres et les modérateurs ». Elle suffirait à vivre heureux en conseillant d'être inébranlable face au malheur ou à la suite d'un bien. Maintenant elle peut être accidentellement accompagnée par du plaisir (comme le souligne ARISTOTE dans Ethique à Nicomaque, qui considère que le plaisir « complète les actes »), mais Sénèque juge que cela est dangereux. On peut opposer, depuis KANT, les morales dont les fins sont le bonheur (vues précédemment), et la morale qui ne nous promet pas que nous serons heureux, mais qui nous montre comment nous pouvons nous rendre dignes de l'être. Cette doctrine du mérite impose l'obéissance à la loi morale que nous dicte notre raison, par rapport aux sentiments qui déterminent toujours nos actions dans le sens de l'égoïsme, mais également par rapport au calcul des meilleurs moyens d'agir. Dans Critique de la raison pratique, KANT avance que ce qui fait la valeur d'un acte est qu'il est désintéressé, c'est-à-dire qu'il ne nous est pas dicté par la recherche du bonheur, mais par les lois fixées par la raison. Faire du bonheur une fin en soi contredit la morale, pour savoir si le bonheur peut être un but pour la vie, il faut s'interroger sur sa compatibilité avec l'exigence morale. En conclusion, nous avons vu qu'une morale du plaisir demeure envisageable mais cependant sous conditions, néanmoins elle ne permet pas d'atteindre son objectif premier, c'est-à-dire l'accès à la vie heureuse. Le bonheur ne repose pas dans le plaisir contrairement à ce qu'affirmaient les hédonistes et les épicuriens, mais dans la vertu comme l'avancent les stoïciens et KANT. Il faut attendre le XXème siècle pour que la science ose enfin marcher sur les plates-bandes des philosophes et s'empare à son tour du sujet : les chercheurs ont montré que l'aptitude au bonheur avait une composante génétique (notre aptitude au bien-être serait pour partie liée à la longueur d'un gène) et qu'être heureux transforme le cerveau. En vérité, la sensation de bonheur s'explique biologiquement par l'activation de différents circuits cérébraux, et il existe des moyens simples de les stimuler, comme le sport, l'empathie ou le contact avec la nature.

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