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Synthèse de l’épisode de Charybde et Scylla - Odyssée

Publié le 05/01/2011

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scylla

SYNTHESE  SUR UN  EPISODE  DE L'ODYSSEE

 

CHARYBDE & SCYLLA

 

    Dans le chant XII de l'Odyssée, c'est-à-dire après son départ de chez Circé, Ulysse est confronté à de nombreuses péripéties. Situé entre l'épisode des Sirènes et celui de l'île du Soleil, Charybde et Scylla est sans doute un des plus connus. Ces deux figures présentent des fonctions similaires qu'elles expriment le plus souvent de façon différente. Elles sont également en rapport avec le comportement du héros et ses hommes et influent sur leur destinée.

 

I.Des rôles semblables mais dont le fond varie selon la figure

 

            A/ La fonction narrative

 

   Charybde et Scylla sont deux monstres. Dans le récit, cela implique une pause, un temps de répit pour les décrire « physiquement » et les définir en tant que tels. Charybde, elle, « engloutit la tsaumure de la mer » (chant XII, v. 240) et la « vomit » (v.237) « trois fois d'un jour,/ terriblement » (v.105-106), menaçant d'engloutir « l'équipage tout entier » (v.110). Son statut de monstre est indubitable, il est évident. Scylla est plus ambiguë car elle possède une triple nature, féminine, canine et marine. En effet, dans une majorité de représentations iconographiques, elle possède le buste, la poitrine et la tête d'une jeune femme en aucun cas monstrueuse, ce qui rappelle qu'à l'origine elle était une nymphe d'une grande beauté, métamorphosée par la suite en créature hideuse. Pour l'aspect canin, elle  présente douze pattes « difformes » (v.89), semblables à des moignons, et « six cous sans fin » (v.90), chacun surmonté d'une tête de chien « effrayante avec trois rangs de dents/ nombreuses et serrées » (v.91-92). D'ailleurs, son nom se rapproche du terme grec skulax qui signifie « jeune chienne ». Sa voix qui semble être celle « d'un petit chien qui vient de naître » (v.86), un être inoffensif,  cache « un affreux monstre » (v.87) qui, grâce à ses six têtes, enlève autant de proies à tout navire « passé là »(v.98).Quant à son côté marin, elle vit « cachée » dans une grotte, « antre terrible » (v.93-94) qui accentue son caractère dangereux et , à défaut de marins « pêche » (v.95) des créatures aquatiques.

 

            B/ La fonction symbolique et cathartique

 

   Les monstres de l'Odyssée incarnent, de manière générale, ce qui s'oppose aux valeurs fondatrices de la civilisation grecque. Charybde et Scylla sont donc le contrepoint des valeurs incarnées par Ulysse, elles représentent le Mal. Charybde est une représentation de l'excès, une certaine avidité car, sans faire de différence, elle avale mer et navires, il ne faut pas passer au moment où elle « engouffre »(v.106) de crainte de se faire aspirer. Elle personnifie aussi une peur de la transgression de l'ordre normal des choses : elle a été envoyée dans ce détroit par Zeus pour avoir dévoré une partie du bétail d'Héraclès, elle a en quelque sorte défié les Dieux, ce que les hommes doivent se garder de faire. Scylla présente autant de caractéristiques morales que d'aspects physiques. Son corps de femme donne lieu à l'interprétation suivante : il est celui d'une jeune fille nubile, c'est-à-dire en âge de se marier. Toutefois, elle n'a jamais épousé quiconque puisqu'étant nymphe, elle avait repoussé le dieu Glaucos qui la courtisait. Elle est donc affranchie du mariage, et symbolise la tentation de l'adultère et par conséquent de la femme fatale, celle qui perd les hommes. Ensuite, ses têtes de chiens dévorent les hommes. Il s'agit de l'inversement de l'ordre normal des choses, où le chien est domestiqué par l'Homme et lui est un compagnon fidèle. Ici, au contraire, on remarque que le chien domine ; c'est un retour à un état primitif, à une certaine bestialité qui rappelle celle de Polyphème. De plus, ces chiens aux crocs acérés pourraient également symboliser l'angoisse de la castration, faisant perdre aux hommes leur virilité. Concernant son statut de monstre marin, elle est une menace aux navires, qui représentent la domination exercée par les Grecs sur la mer.

 

      II. Rapport et influence sur le comportement et la destinée des hommes

 

            A/ Réaction d'Ulysse et ses compagnons sans surprise

 

   Cette péripétie est l'occasion d'un défi contre le Divin. Ulysse a déjà affronté une telle situation lorsqu'il a rencontré le Cyclope. C'est une tentation pour lui, puisqu'il demande à Circé s'il pourra s'attaquer à Scylla pour  empêcher le massacre de six de ses hommes (v.114). La magicienne le met en garde : « [...]Ne céderas-tu pas même aux dieux ? » (v.117). En effet, Scylla est un « immortel fléau / [...]inattaquable » (v.118-119), il est préférable de « fuir » (v.120) plutôt que de l'affronter, car s'attaquer aux Dieux ferait perdre à Ulysse sa situation d' homme dans le cosmos. Elle lui conseille aussi de ne pas s'armer afin de ne pas offrir plus de victimes à Scylla, et d'implorer « Cratais », la mère du monstre, pour « éviter cette nouvelle attaque » (v.124 et 126). Ulysse ne suit pas ces sages recommandations, malaisées « à suivre » (v.226) : il revêt sa « glorieuse armure » (v.228) et oublie de prier. Cet épisode reflète celui de Polyphème : Ulysse ne résiste pas à son hubris, son envie de rivaliser avec les Dieux, et le paie de la même façon, car ce sont « les plus forts » (v.246) de ses hommes qui se font dévorer par un monstre sauvage dans une grotte. Le décret de Poséidon se réalise : ses compagnons meurent dans d'atroces souffrances un par un, et lui subit un « déplorable » (v.258)coup. Les hommes survivants ne montrent pas plus de changement que leur chef : face à « la divine » (v.104) Charybde et à Scylla ils sont « effrayés » (v.203) comme ils l'avaient été pour le Cyclope ou Circé,  et comme  toujours c'est à Ulysse qu'incombe la tâche de les rassurer.

 

            B/Charybde et Scylla préfigurent le destin du héros et de ses hommes

 

   Les deux créatures représentent les choix et la volonté des Dieux, eux-mêmes maîtres du destin des hommes.

Charybde symbolise plutôt Poséidon, l'ennemi par excellence d'Ulysse dans cette épopée. Il le poursuit de sa haine depuis qu'il a aveuglé son fils Polyphème et, s'il n'en avait tenu qu'à lui, et si l' intervention des autres dieux ne l'avait pas modéré, il l'aurait fait disparaître en mer avec son navire et ses hommes, et rien n'aurait subsisté de la mémoire du héros. Charybde aurait donc pu être son destin, car elle symbolise l'engloutissement total et définitif, le « tout ou rien ». Mais ce destin est aléatoire : certes tous ses compagnons doivent périr, mais Ulysse doit vivre, il n'est pas destiné au néant. C'est pour cela qu'il n'est pas vraiment confronté à elle. Scylla, au contraire, est représentative de la volonté commune de tous les Dieux, et du destin choisi pour Ulysse. Son côté « femme fatale » qui pousse à l'adultère préfigure la nymphe Calypso qu' Ulysse va rencontrer très prochainement et chez qui il passera sept ans. Il comprendra après cette expérience que Pénélope est et restera sa seule légitime épouse et la femme de sa vie. Ensuite, comme nous le savons déjà, Scylla est immortelle et Ulysse brûle de se mesurer au Divin. Or, Calypso étant amoureuse de lui, elle lui proposera de le rendre lui-même immortel. Il refusera car il aura compris qu'il lui faut conserver son statut d'homme mortel. Enfin, Scylla lui ravit six de ses hommes ; il s'agit d'un sacrifice calculé et comme le dit Circé, « il vaut [...]mieux [...]pleurer six compagnons que l'équipage tout entier ! » (v.109-110). Et Ulysse sera l'unique survivant parmi tous les marins, ceci est donc bien une mise en abyme de sa destinée, privilégiée par rapport à la leur.

 

   Nous avons donc vu que Charybde et Scylla ne remplissent pas de la même manière les fonctions qui leur sont attribuées : Scylla, autant du point de vue narratif que cathartique et symbolique, développe plus d' aspects que Charybde par sa triple nature, elle est un monstre plus subtil qui ne se comprend pas au premier abord. Il s'avère par la suite que c'est davantage Scylla qu'Ulysse affronte, et qu'elle est, à l'inverse de Charybde, en phase avec le destin du héros et son évolution. Cette péripétie, qui fait fortement écho à l'épisode du Cyclope, fait penser à une certaine symétrie, ou à un cercle: Ulysse, héros imparfait lors de la rencontre avec Polyphème, va retourner cette fois progressivement à sa condition d'être humain, il est presque sur le point d'achever son initiation.

L'épisode de Charybde et Scylla est donc une étape essentielle de son périple.

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