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VOLTAIRE: Poème sur le désastre de Lisbonne (ou examen de cet axiome : Tout est bien)

Publié le 17/01/2022

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Poème sur le désastre de Lisbonne (ou examen de cet axiome : Tout est bien) 0 malheureux mortels ! ô terre déplorable ! 0 de tous les fléaux assemblage effroyable ! D'inutiles douleurs éternel entretien ! Philosophes trompés qui criez : « Tout est bien » ; Accourez, contemplez ces ruines affreuses, Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses, Ces femmes, ces enfants l'un sur l'autre entassés, Sous ces marbres rompus ces membres dispersés ; Cent mille infortunés que la terre dévore, Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore, Enterrés sous leur toit, terminent sans secours Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours ! Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes, Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes, Direz-vous : « C'est l'effet des éternelles lois Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix » ? Direz-vous en voyant cet amas de victimes : « Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes » ? Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants Sur le sein maternel écrasés et sanglants ? Lisbonne, qui n'est plus, eut-elle plus de vices Que Londres, que Paris, plongés dans les délices ? Lisbonne est abîmée, et l'on danse à Paris. Tranquilles spectateurs, intrépides esprits, De nos frères mourants contemplant les naufrages, Vous recherchez en paix les causes des orages : Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups, Devenus plus humains, vous pleurez comme nous. Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes, Ma plainte est innocente et mes cris légitimes. Partout environnés de cruautés du sort, Des fureurs des méchants, des pièges de la mort, De tous les éléments éprouvant les atteintes, Compagnons de nos maux, permettez-nous les plaintes. C'est l'orgueil, dites-vous, l'orgueil séditieux, Qui prétend qu'étant mat, nous pouvions être mieux. Allez interroger les rivages du Tage ; Fouillez dans les débris de ce sanglant ravage ; Demandez aux mourants, dans ce séjour d'effroi, Si c'est l'orgueil qui crie : « 0 ciel, secourez-moi ! 0 ciel, ayez pitié de l'humaine misère ! »

« De nos frères mourants contemplant les naufrages, Vous recherchez en paix les causes des orages : Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups, Devenus plus humains, vous pleurez comme nous. Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes, Ma plainte est innocente et mes cris légitimes. Partout environnés de cruautés du sort, Des fureurs des méchants, des pièges de la mort, De tous les éléments éprouvant les atteintes, Compagnons de nos maux, permettez-nous les plaintes. C'est l'orgueil, dites-vous, l'orgueil séditieux, Qui prétend qu'étant mat, nous pouvions être mieux. Allez interroger les rivages du Tage ; Fouillez dans les débris de ce sanglant ravage ; Demandez aux mourants, dans ce séjour d'effroi, Si c'est l'orgueil qui crie : « 0 ciel, secourez-moi ! 0 ciel, ayez pitié de l'humaine misère ! » Lorsqu'un drame survient, c'est un flot d'angoisse et de consternation qui nous remplit les veines et l'esprit.

Lepoème s'ouvre sur ces sentiments paroxystiques, comme nous le prouvent les nombreuses exclamations.

Il s'agit dequatre phrases nominales qui sont autant de lamentations et de marques de désespoir.

Le terme « assemblage » entre dans le même champ lexical que « entassés » (vers 7) et « amas » (vers 17) : ces mots visent à montrer que certaines catastrophes provoquent des douleurs qui dépassent de beaucoup le seuil de tolérance des hommes.Cette douloureuse réalité, une fois mise dans la balance, pèse plus lourd que les raisonnements des philosophes queVoltaire interpelle avec des impératifs empreints d'urgence et d'horreur : « Philosophes trompés qui criez : « Tout est bien » ; / Accourez, contemplez ces ruines affreuses » (vers 4 et 5).

On pourra comparer les « cris demi- formés » des victimes de la catastrophe à ceux, superflus, des philosophes.

Ils crient parce qu'on ne leur accorde aucune attention.

Leurs cris renvoient aussi à leurs incessantes disputes à propos de sujets aussi futilesqu'inintéressants.

A ces disputes, Voltaire oppose une réalité violente : la ville de Lisbonne rasée par untremblement de terre.

Comme nous le suggère la paronomase qui se trouve au vers 8 (« marbres » / « membres »), le désastre n'a épargné ni les hommes, ni les bâtisses.

Se poursuit alors l'énumération des scènes atrocescomposant le spectacle que Voltaire désire placer sous les yeux des penseurs de son temps.

Chaque élément quicompose ces scènes est précédé d'un adjectif démonstratif pour accentuer l'effet de réel : « Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses [...] » (vers 6). Le tableau contient des images particulièrement violentes.

On voit la Terre-Mère manger ses enfants, comme lefaisait le dieu Chronos : « Cent mille infortunés que la terre dévore » (vers 9), des foyers se transformer en tombeaux : « enterrés sous leurs toits » (vers 11). Dans les vers suivants, l'auteur confronte cette réalité (rendue par les descriptions où s'accumule le vocabulaire del'insoutenable : « affreuses », « malheureuses », « lamentables », « effrayant »...) aux théories philosophiques, jugées ici farfelues et rendues par les paroles des penseurs rapportées au style direct : « C'est l'effet des éternelles lois / Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix » ; « Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes »(vers 15 à 18).

La mort d'enfants innocents ruine, selon Voltaire, la théorie du châtiment divin et surtout celle del'harmonie préétablie.

Il attaque dans son poème la pensée du philosophe allemand Leibniz (qu'il maltraitera aussidans Candide).

Leibniz écrit : « Ces principes m'ont donné moyen d'expliquer naturellement l'union, ou bien la conformité de l'Ame et du corps organique.

L'Ame suit ses propres loix, et le corps aussi les siennes, et ils serencontrent en vertu de l'harmonie préétablie entre toutes les sub-stances, puisqu'elles sont toutes desreprésentations d'un même Univers » (La Monadologie, section 78, orthographe d'origine).

Le philosophe déclare (sans le prouver, puisqu'il s'agit d'un axiome) que « Tout est bien » ici bas et qu'une providence bienveillante a tout calculé pour le mieux. Voltaire s'appuie sur des faits réels pour démonter ce raisonnement.

Selon lui, il ne règne aucune justicetranscendante sur le monde : tout ne peut être que le fruit du hasard.

Le désastre de Lisbonne ne saurait être laconséquence d'un châtiment divin, cette ville n'ayant rien d'une nouvelle Sodome.

On ne peut apparemment pas en. »

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