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ALAIN: Pensée fanatique et réflexion rationnelle

Publié le 27/02/2008

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Il y a un fond d'estime, et même quelquefois une secrète admiration, pour des hommes qui mettent en jeu leur propre vie, et sans espérer aucun avantage ; car nous ne sommes point fiers de faire si peu et de risquer si peu pour ce que nous croyons juste ou vrai. Certes je découvre ici des vertus rares, qui veulent respect, et une partie au moins de la volonté. Mais c'est à la pensée qu'il faut regarder. Cette pensée raidie qui se limite, qui ne voit qu'un côté, qui ne comprend point la pensée des autres, ce n'est point la pensée ; c'est une sorte de lieu commun qui revient toujours le même ; lieu commun qui a du vrai, quelquefois même qui est vrai, mais qui n'est pas tout le vrai. Il y a quelque chose de mécanique dans une pensée fanatique, car elle revient toujours par les mêmes chemins. Elle ne cherche plus, elle n'invente plus. Le dogmatisme est comme un délire récitant. Il y manque cette pointe de diamant, le doute, qui creuse toujours. Ces pensées gouvernent admirablement les peurs et les désirs, mais elles ne se gouvernent pas elles-mêmes. Elles ne cherchent pas ces vues de plusieurs points, ces perspectives sur l'adversaire, enfin cette libre réflexion qui ouvre les chemins de persuader, et qui détourne en même temps de forcer. Bref, il y a un emportement de pensée, et une passion de penser qui ressemble aux autres passions.ALAIN

Le texte  a pour objet l’opposition de la pensée fanatique à la pensée rationnelle, philosophique. Ce contraste est explicité tant par les méthodes par lesquelles elles se déploient (intransigeance pour l’une, entreprise du doute pour l’autre) que par la mise en évidence de l’impossibilité de leur dialogue.

Ce qui pose problème, ce n’est pas tant le radicalisme de certains hommes dans leurs actions en vertu de leur croyance que le fait que ces dernières ne soient fondées sur aucun examen critique, les réduisant à des réflexes ; et par là, niant l’autonomie de pensée. Quel est le statut et la morphologie de cette dernière dans la bouche dogmatique ?

 

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« Ce qui pose problème, ce n'est pas tant le radicalisme de certains hommes dans leurs actions en vertu deleur croyance que le fait que ces dernières ne soient fondées sur aucun examen critique, les réduisant à desréflexes ; et par là, niant l'autonomie de pensée.

Quel est le statut et la morphologie de cette dernière dansla bouche dogmatique ? La thèse d'Alain repose ainsi sur deux ressorts : d'une part, la stérilité de la pensée dogmatique, d'autrepart, son impossible communicabilité, l'assimilant par là d'avantage à une passion incontrôlée qu'à la pensée. Si le texte s'enracine dans la tradition cartésienne, en tant qu'il fait du doute la condition de possibilité d'unepensée vivante, critique, il est à remarquer que la remise en question s'avère également le critère de lacommunicabilité de la pensée.

Si Descartes entreprit de douter seul, il s'agit ici de mettre en évidence quecette méthode peut être entreprise dans un dialogue, brisant par là son solipsisme. L'extrait s'ouvre sur une concession : l'auteur éprouve face au comportement des individus prêts à tout pourdéfendre leur position une certaine « admiration ».

Cette adéquation entre pensée et acte semble relever àla fois d'un certain courage et du désintéressement.

A la différence du lambda, l'homme qui passe à l'actionprocède à la création d'une nouvelle sphère de la croyance : non plus uniquement sentiment personnelréservé à la subjectivité, elle est manifestée au monde par l'action.

Il s'agit également de désintéressementdans la mesure où l'individu ne se fait que porte-voix de ce qu'il croit « juste ou vrai ».

Un exempleremarquable de l'histoire de la philosophie illustrant cette pensée est celui du procès de Socrate : l'hommeaurait pu plier face aux accusations en présence et ainsi espérer conserver sa vie.

Or, ces accusationsn'étant en réalité qu'une manière de dissimuler le malaise que Socrate ne cessait de créer dans la pensée (ilest souvent dit « taon » ou « torpille ») de ses contemporains.

Plutôt que de ployer, Socrate boit la ciguë etpar là manifeste son refus de concéder à l'opinion, renouvelant sa confiance en la voie philosophique.

Le« respect » qu'inspire de telles actions à Alain relève tout à la fois d'une reconnaissance quasi instinctivepour celui qui ose risquer sa vie à la faveur d'une idée, mais aussi ces « vertus rares » veulent « une partieau moins de la volonté ».

La morphologie de la phrase introduit ici une ambiguïté : il peut être question sousla plume d'Alain tant de la découverte de la volonté de l'Autre que de la volonté de compréhension de telgeste de la part de celui qui les commente.

De plus, l'expression « une partie au moins de la volonté » peut également faire l'objet d'une double lecture.

Chez le fanatique, puisque c'est de lui dont il est question dansla suite du texte, il y a une volonté subie et une volonté active.

Subie, au sens où il est comme emportéepar sa croyance, et cela peut passer par la pression exercée par d'autres individus.

Active, au sens où ilexiste une part de décision radicalement individuelle précédant ce type d'action.

Mais en aval de ce type d'action, qui est susceptible de forcer l'admiration, se trouve une pensée que Alainsouhaite examiner.

Car si le geste de Socrate relève d'une volonté de ne pas abdiquer face à l'opinion, et sefonde ainsi sur une pensée rationnelle, qui n'a eu de cesse de se tourner vers les autres, il apparaît que lapensée « fanatique » fonctionne en vase clos, et qu'il est même discutable de pouvoir lui donnerlégitimement l'appellation de pensée. Alain commence par dénoncer la crispation de la pensée, qui est qualifiée de « raidie ».

Si la penséephilosophique se construit par le dynamisme d'un échange avec l'interlocuteur (cela est particulièrementvisible dans les dialogues socratiques), la pensée fanatique n'accepte de considérer que la sienne en propre,excluant par là toute critique, c'est-à-dire tout jugement qui porte sur sa légitimité.

La philosophie, au mêmetitre que la science, fonctionne en dépassant les obstacles qui se présentent à l'esprit, en les abordant enconscience, alors que la pensée fanatique se caractérise par un monolithisme, c'est un bloc qui ne souffriraitaucune objection : « c'est une sorte de lieu commun qui revient toujours le même » : une sorte seulement,car si le lieu commun se caractérise par une simplicité de pensée, la pensée fanatique peut-êtreextrêmement élaborée et pourtant rester figée sur elle-même.

Que l'on pense aux fanatiques religieux,dénoncés par Voltaire sous la formule « Ecrasons l'Infâme ! » : ils s'appuient sur une connaissance la plussouvent approfondie des textes, mais qu'ils utilisent dans le but exclusif qu'ils se sont fixés, sans jamaisconcevoir les dangers de l'intolérance.

Ce lieu commun ne s'éprouve pas par la critique de chaque esprit, ilest le plus souvent colporté au sein d'une communauté.

Aussi pourrait-il se trouver « quelque fois même[être] vrai », il n'existe guère de recherche de la part de chaque conscience afin de le débusquer.

Elle est« mécanique » précisément en ce sens, elle ne fonctionne que sur des automatismes, au même titre queDescartes conçoit le corps comme une grande machine, régit par les lois de la physique.

Le corps cartésien,comme le discours fanatique, ne pense pas.

Si pour lever le bras il faut envisager une certain nombres delois immuables, le discours fanatiques passe « toujours par les mêmes chemins », revient toujours aux mêmesautomatismes.

Mais si le corps ne peut penser ces lois, le sujet fanatique, lui, dispose comme tout autrehomme des capacités de l'entendement qui lui permettraient d'en établir un examen critique.

Le dogmatismeaffirme sans preuves, de manière péremptoire, sans s'ouvrir à la pensée d'autrui.

Puisqu'il refuse ainsi larésistance de la pensée d'autrui, qu'il nie également les critiques qui émaneraient de sa propre conscience, lapensée « ne cherche plus, elle n'invente plus », mais se contente de réciter (l.

9).

La raison se croitemportée par ce qu'elle n'a pas même construit, ainsi peut-on parler de « délire ».. »

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