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Benedetto Croce

Publié le 22/02/2012

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Devant l'oeuvre de Benedetto Croce, nous ne pouvons retenir ce mouvement d'admiration qui nous envahit chaque fois qu'il nous arrive de rencontrer un homme de génie qui ait eu le rare privilège d'unir la précocité à la longévité. Ses ouvrages s'échelonnent sur une période d'exactement soixante-dix ans. Ses tout premiers essais, de caractère littéraire, parus dans un journal de Rome, et réédités beaucoup plus tard (en 1910) sous le titre de Il primo passo, datent de 1882 (il avait alors seize ans, étant né en 1886) ; son dernier volume, paru peu avant sa mort (survenue le 20 novembre 1952 à quatre-vingt-six ans révolus), intitulé Indagini su Hegel e schiarimenti filosofici, est de 1952. De plus, il fut, dans son travail, extrêmement constant et infatigable et il ne se laissa pas distraire par des occupations étrangères à l'étude, pas même par l'enseignement universitaire ; quant à la vie politique, il ne lui accorda que ce que ses scrupules de citoyen ne lui permirent pas de refuser (il fut ministre de l'instruction publique dans le cabinet Giolitti de 1920 et ministre sans portefeuille dans le premier gouvernement de coalition antifasciste des premiers mois de 1944), mais avec l'esprit insatisfait de celui qui a dû négliger son travail de prédilection et aspire vivement au moment heureux où il pourra le reprendre. Si l'on tient compte du fait qu'il a joui à la fois d'un pouvoir d'assimilation peu commun lui permettant de se rendre familières les matières les plus diverses et ­ comme il l'a dit lui-même ­ une fois passées ses premières années de noviciat littéraire, d'une remarquable rapidité dans la conception et la rédaction de ses écrits, on s'explique, finalement, l'étendue et la variété extraordinaire (plus de soixante volumes) d'une oeuvre qui semble à première vue dépasser le pouvoir de tension et d'effort d'une seule personne.   
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« l'inspiration et l'orientation du maître napolitain dont il s'était fait l'éditeur et le défenseur, Francesco de Sanctis.

En 1901 parurent ses Tesi fondamentali di un'Estetica come scienza dell'espressione e linguistica generale, qui, refaites, améliorées et pourvues d'une partie historique devinrent l'Estetica de 1902, qui marqua à la fois l'heureux début de sa carrière de philosophe et de sa renommée.

Et pour défendre et répandre ses idées, surtout dans le domaine de l'esthétique, il fonda une revue La Critica qui, parue en 1903, accompagna, sauf une brève interruption pendant la Seconde Guerre mondiale, toute sa vie.

Elle fut le porte-parole de ses idées, le témoin de ses haines et de ses amourset l'écho fidèle de tous ses écrits.

Si l'on excepte les vingt premières années où Croce eut comme collaborateur assidu Giovanni Gentile H1092 , la revue fut écrite en très grande partie de sa main : elle est sans doute le principal monument de la vie culturelle italienne dans cette première moitiédu siècle.

Dans l'Estetica, l'art était considéré comme un moment de l'activité complexe de l'esprit, et plus précisément comme le moment de l'intuition, première forme de l'activité cognitive ; celle-ci, d'après Croce, évolue de la connaissanceintuitive ou fantastique, productrice d'images, à la connaissance logique ou réfléchie, productrice de concepts, etse distingue de l'activité pratique, qui, elle aussi, évolue à travers les deux moments de la volonté immédiate ouéconomique et de la volonté médiate ou éthique.

La théorie de l'art était donc intimement liée à la théorie de l'esprittout entière, dans ses différentes formes, si bien que cette Estetica qui pouvait sembler un aboutissement pour un homme qui avait jusqu'alors fait profession de critique littéraire, fut au contraire le point de départ pour l'élaborationd'un système philosophique complet.

Celui-ci fut composé progressivement au cours des dix années suivantes.D'abord parut une logique : Logica come scienza del concetto puro (1909), où Croce établit le primat de l'historiographie en tant que connaissance de l'universel concret, par opposition aux sciences naturelles etmathématiques, réduites à des ensembles de pseudo-concepts ou empiriques ou abstraits ; ensuite vint la Filosofia della pratica (1909), où il élabora une théorie de l'économie, comme forme nécessaire de l'Esprit, distincte de la moralité, et non opposée à elle, de même que la politique est l'ensemble des actes utilitaires (ni moraux ni immoraux)accomplis au bénéfice de l'État.

Finalement, avec la Teoria e storia della storiografia (1917), Croce acheva la réduction de la philosophie à la méthodologie, en définissant la philosophie comme le " moment méthodologique del'historiographie ".

Cet ouvrage, dans le dessein de l'auteur, conclut le système d'une " philosophie de l'Esprit " quis'oppose au naturalisme dominant à la fin du siècle, en même temps qu'il établit, en réalité, les lignes essentielles dela doctrine que Croce appellera plus exactement, plusieurs années plus tard, " historicisme absolu ".

A ce système, Croce, qui avait en mainte occasion montré une invincible répugnance pour la philosophie systématique des " professeurs ", segarda d'attribuer une importance excessive.

Il le présenta moins comme un système que comme une systématisation, pour indiquer le caractèreprovisoire qui lui était propre, comme une étape nécessaire, mais non définitive, dans le développement de sa pensée : c'était, somme toute, uninstrument de travail, dont l'utilité et la fécondité pour lui-même et pour les autres ne pouvaient être concrètement démontrées que par la poursuitede ses recherches dans les domaines de l'histoire et de la littérature.

A ces dernières, qu'il n'avait jamais délaissées, il revint avec une ardeurrenouvelée dans la seconde moitié de sa vie, leur consacrant une grande partie de ses efforts.

Et tandis que pendant les vingt premières années dusiècle avaient prévalu les recherches littéraires (les quatre volumes de la Letteratura della Nuova Italia, les études sur la poésie européenne au XIXe siècle, les livres sur Goethe L084 , sur Dante L054 , et les essais sur l'Arioste L007 , Shakespeare L201 et Corneille L052 ), durant les années suivantes, qui coïncident avec la résistance au fascisme P6T03 , les travaux historiques eurent le pas, non sans une raison profonde, sur les investigations littéraires : depuis l'histoire du Royaume de Naples (1925) et l'histoire de l'Italie de 1870 à 1915 (1928) jusqu'à l'histoire de l'Europe auXIXe siècle (1932) qui, comme on le sait, plus qu'une narration historique fut l'ardente et sincère défense de la " religion de la liberté ".

Il revint à laphilosophie par des essais occasionnels, poussé tantôt par le besoin d'éclaircir un point obscur ou mal compris, tantôt par l'envie de répondre àune objection ou d'approfondir un concept.

Parmi les différents ouvrages qu'il composa ainsi jusqu'au dernier cité plus haut, paru quelques moisavant sa mort, il faut mentionner, concernant toujours les problèmes fondamentaux qui furent l'aiguillon continuel de son esprit, La Poesia (1936) et La storia come pensiero e come azione (1938).

En appelant, pendant les dernières années de sa vie, " historicisme absolu " l'ensemble de ses théories sur les quatre formes de l'Esprit(esthétique, logique, économique et éthique), Croce voulut mettre l'accent sur le caractère tout à fait mondain de la philosophie, contre tout résidude transcendance théologique ou métaphysique.

Ce n'est pas par hasard que les philosophes du passé qui l'ont le plus inspiré ont été Vico H1235 et Hegel H020 : à tous deux il consacra, durant les années où il travaillait à son système, une monographie : La Filosofia di Giambattista Vico H1235 (1911) et Ciò che è vivo e ciò che è morto della filosofia di Hegel H020 (1907). Contre toute philosophie de la transcendance, qui distingue un monde d'un surmonde, et contre tout dualisme métaphysique de l'intérieur l'extérieur, de l'âme et du corps, de l'esprit et de la nature,de l'être et du devoir être, il défendit d'une façon tenace et agressive, une conception immanentiste de la réalité, qui s'identifiait pour lui avec uneconception spiritualiste et historiciste, tout fragment de réalité étant le produit d'une activité librement créatrice, ou Esprit, et l'Esprit se réalisantdans le devenir historique.

Mais il ne cessa de combattre deux espèces de philosophie mondaine : l'une, le positivisme d' Auguste Comte H012 , dominant au temps de sa jeunesse, à cause de sa conception naturaliste de la réalité, de son intelligence appauvrie de l'histoire humaine et de sesvaleurs, et de sa manière de réduire l'homme à un être naturel et l'histoire à une évolution déterminée par les lois biologiques ; l'autre,l'existentialisme KW077 , qu'il vit naître autour de lui pendant sa vieillesse parce qu'il lui semblait qu'il renouait avec toutes ces formes d'irrationalisme qui, au début du siècle, avaient ébranlé les fondements de la civilisation bourgeoise alors florissante et ouverte à tous les progrès,et avaient préparé l'écroulement des valeurs qu'une génération élevée comme l'avait été la sienne au milieu des chants patriotiques de Carducci,des derniers échos du Risorgimento KW171 , et de la lente, apparemment sûre instauration d'un ensemble de libres institutions avait révérées et chéries.

Et lorsque l'écroulement se produisit avec l'instauration de la dictature de Benito Mussolini P241 , l'historicisme lui apparut comme une philosophie de la liberté ou, plus précisément, il lui fit exprimer la philosophie même de la liberté en concevant l'histoire, à l'instar de certains historiensromantiques français, comme l'histoire de la liberté, c'est-à-dire comme histoire où la liberté est à la fois le critère d'explication de l'histoire passée etl'idéal moral de l'histoire future.

Et il en vint même à identifier l'idéal libéral avec la philosophie moderne de l'immanence ; et, de même qu'il avaitopposé celle-ci à toute conception transcendante, il opposa celui-ci aux idéaux autoritaires, toujours renaissants pendant les crises de laconscience morale.

Quelle fut en réalité la valeur théorique et historique d'une telle identification, on ne peut en discuter ici, de même que n'endiscutèrent pas tous ceux qui, durant les années du fascisme P6T03 , trouvèrent dans l'enseignement et dans l'exemple de Croce, dans cette religion. »

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