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Bergson et la cohésion sociale

Publié le 19/04/2005

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bergson
Qui ne voit que la cohésion sociale est due, en grande partie, à la nécessité pour une société de se défendre contre d'autres, et que c'est d'abord contre tous les autres hommes qu'on aime les hommes avec lesquels on vit ? Tel est l'instinct primitif. Il est encore là, heureusement dissimulé sous les apports de la civilisation ; mais aujourd'hui encore nous aimons naturellement et directement nos parents et nos concitoyens, tandis que l'amour de l'humanité est indirect et acquis. À ceux-là nous allons tout droit, à celle-ci nous ne venons que par un détour ; car c'est seulement à travers Dieu, en Dieu, que la religion convie l'homme à aimer le genre humain ; comme aussi c'est seulement à travers la Raison, dans la Raison par où nous communions tous, que les philosophes nous font regarder l'humanité pour nous montrer l'éminente dignité de la personne humaine, le droit de tous au respect. Ni dans un cas ni dans l'autre nous n'arrivons à l'humanité par étapes, en traversant la famille et la nation. Il faut que, d'un bond, nous nous soyons transportés plus loin qu'elle et que nous l'ayons atteinte sans l'avoir prise pour fin, en la dépassant. Qu'on parle d'ailleurs le langage de la religion ou celui de la philosophie, qu'il s'agisse d'amour ou de respect, c'est une autre morale, c'est un autre genre d'obligation. Bergson
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« les deux morales, grâce à XXX ; échanges réciproques, ont prise dans la pensée conceptuelle et dans lelangage, nous trouvons aux deux extrémités de cette morale unique la pression et l'aspiration : celle-làd'autant plus parfaite queue est plus impersonnelle, plus proche de ces forces naturelles qu'on appellehabitude et même instinct, celle-ci d'autant plus puissante quelle est plus visiblement soulevée en nous pardes personnes, et quelle semble mieux triompher de la nature.

Il est vrai que si l'on descendait jusqu'à laracine de la nature elle-même, on s'apercevrait peut-être que c'est la même force qui se manifestedirectement, en tournant sur elle-même, dans l'espèce humaine une fois constituée, et qui agit ensuiteindirectement, par l'intermédiaire d'individualités privilégiées, pour pousser l'humanité en avant.Mais point n'eût besoin de recourir à une métaphysique pour déterminer le rapport de cette pression à cetteaspiration.

Encore une fois, il y a une certaine difficulté à comparer entre elles les deux morales parcequ'elles ne se présentent plus à l'état pur.

La première a passé à l'autre quelque chose de sa force decontrainte; la seconde a répandu sur la première quelque chose de son parfum.

Nous sommes en présenced'une série de gradations ou de dégradations, selon qu'on parcourt les prescriptions de la morale encommençant par une extrémité ou par l'autre; quant aux deux limites extrêmes, elles ont plutôt un intérêtthéorique; il n'arrive guère qu'eues soient réellement atteintes.

Considérons cependant en elles-mêmes,isolément, pression et aspiration.

Immanente à la première est la représentation d'une société qui ne visequ'à se conserver : le mouvement circulaire où elle entraîne avec elle les individus, se produisant sur place,imite de loin, par l'intermédiaire de l'habitude, l'immobilité de l'instinct.

Le sentiment qui caractériserait laconscience de cet ensemble d'obligations pures, supposées toutes remplies, serait un état de bien-êtreindividuel et social comparable à celui qui accompagne le fonctionnement normal de la vie.

Il ressemblerait auplaisir plutôt qu'à la joie.

Dans la morale de l'aspiration, au contraire, est implicitement contenu le sentimentd'un progrès.

L'émotion dont nous parlions est l'enthousiasme d'une marche en avant, - enthousiasme parlequel cette morale s'est fait accepter de quelques-uns et s'est ensuite, à travers eux, propagée dans lemonde.

« Progrès » et « marche en avant » se confondent d'ailleurs ici avec l'enthousiasme lui-même.

Pouren prendre conscience, il n'est pas nécessaire de se représenter un terme que l'on vise ou une perfectiondont on se rapproche.

Il suffit que dans la joie de l'enthousiasme il y ait plus que dans le plaisir du bien-être,ce plaisir n'impliquant pas cette joie, cette joie enveloppant et même résorbant en elle ce plaisir.

Cela, nousle sentons; et la certitude ainsi obtenue, bien loin d'être suspendue à une métaphysique, est ce qui donneraà cette métaphysique son plus solide appui.Mais avant cette métaphysique, et beaucoup plus près de l'immédiatement éprouvé, sont les représentationssimples qui jaillissent ici de l'émotion au fur et à mesure qu'on s'appesantit sur elle.

Nous parlions desfondateurs et réformateurs de religions, des mystiques et des saints.

Écoutons leur langage; il ne fait quetraduire en représentations l'émotion particulière d'une âme q ni s'ouvre, rompant avec la nature quil'enfermait à la fois en elle-même et dans la cité.Ils disent d'abord que ce qu'ils éprouvent est un sentiment de libération.

Bien-être, plaisirs, richesse, tout cequi retient le commun des hommes les laisse indifférents.

A s'en délivrer ils ressentent un soulagement, puisune allégresse.

Non pas que la nature ait eu tort de nous attacher par des liens solides à la vie qu'elle avaitvoulue pour nous.

Mais il s'agit d'aller plus loin, et les commodités dont un se trouve bien chez soideviendraient des gênes, elles tourneraient au bagage encombrant, s'il fallait les emporter en voyage.Qu'une âme ainsi mobilisée soit plus encline à sympathiser avec les autres âmes, et même avec la natureentière, on pourrait s'en étonner si l'immobilité relative de l'âme, tournant en cercle dans une société close,ne tenait précisément à ce que la nature a morcelé l'humanité en individualités distinctes par l'acte même quiconstitua l'espèce humaine.

Comme tout acte constitutif d'une espèce, celui-ci fut un arrêt.

En reprenant lamarche en avant, on brise la décision de briser.

Pour obtenir un effet complet, il faudrait, il est vrai,entraîner avec soi le reste des hommes.

Mais si quelques-uns suivent, et si les autres se persuadent qu'ils leferaient à l'occasion, c'est déjà beaucoup: il y a dès lors, avec le commencement d'exécution, l'espéranceque le cercle finira par être rompu.

En tout cas, nous ne saurions trop le répéter, ce n'est pas en prêchantl'amour du prochain qu'on l'obtient.

Ce n'est pas en élargissant des sentiments plus étroits qu'on embrasseral'humanité.

Notre intelligence a beau se persuader à elle-même que telle est la marche indiquée, les chosess'y prennent autrement.

Ce qui est simple au regard de notre entendement ne l'est pas nécessairement pournotre volonté.

Là où la logique dit qu'une certaine voie serait la plus courte, l'expérience survient et trouveque dans cette direction ü n'y a pas de voie.

La vérité est qu'il faut passer ici par l'héroïsme pour arriver àl'amour.

L'héroïsme, d'ailleurs, ne se prêche pas; il n'a qu'à se montrer, et sa seule présence pourra mettred'autres hommes en mouvement.

C'est qu'il est, lui-même, retour au mouvement, et qu'il émane d'uneémotion - communicative comme toute émotion - apparentée à l'acte créateur.

La religion exprime cettevérité à sa manière en disant que c'est en Dieu que nous aimons les autres hommes.

Et les grands mystiquesdéclarent avoir le sentiment d'un courant qui irait de leur âme à Dieu et redescendrait de Dieu au genrehumain." BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion. « La religion statique attache l'homme à la vie, et par conséquent l'individu à la société, en lui racontant deshistoires comparables à celles dont on berce les enfants.

Sans doute ce ne sont pas des histoires comme lesautres.

Issues de la fonction fabulatrice par nécessité, et non pas pour le simple plaisir, elles contrefont laréalité perçue au point de se prolonger en actions : les autres créations imaginatives ont cette tendance,mais elles n'exigent pas que nous nous y laissions aller ; elles peuvent rester à l'état d'idées ; celles-là, aucontraire, sont idéo-motrices.

Ce n'en sont pas moins des fables, que des esprits critiques accepterontsouvent en fait […], mais qu'en droit ils devraient rejeter.. »

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