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Commentez et, s'il y a lieu, discutez le mot de Ravaisson : « C'est la matérialité qui met en nous l'oubli. » ?

Publié le 20/06/2009

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Introduction. — En de pénétrantes pages de ses Confessions, saint Augustin a fait le tour de ce qu'il appelle « l'immense salle de la mémoire « et il a été confondu par le mystère de ce conservatoire dans lequel nous pouvons retrouver tout ce que nous avons perçu ou pensé. Depuis lors, le mystère n'a guère été éclairci, et le souvenir reste le fait de conscience le plus familier dans l'interprétation duquel s'affrontent les grandes conceptions philosophiques de l'homme. Ainsi un des principaux pionniers du spiritualisme contemporain, Félix Ravaisson, écrivait incidemment, voilà près d'un siècle et demi (1867), cette phrase célèbre dans laquelle se trouve impliquée toute une philosophie : « C'est la matérialité qui met en nous l'oubli. « Tâchons de bien comprendre ces mots, Ensuite, nous verrons s'ils donnent une explication satisfaisante de la mémoire. I. Commentaire. — La dépendance de la mémoire par rapport au cerveau est trop évidente pour que les philosophes puissent se contenter d'une explication purement psychologique de cette faculté; mais, tandis que la théorie classique explique le souvenir par les modifications survenues dans les circonvolutions cérébrales, c'est l'oubli qui, d'après Ravaisson, serait dû à la matière qui conditionne l'exercice de notre pensée.

« A plus forte raison, est-ce la pensée, et non la matière, que l'on trouve à l'origine de toute pensée.

Ravaissonrejette la « doctrine vulgaire (philosophie brutale) » d'après laquelle « la pensée réduite encore à une modification etpresque à une dégénération maladive de la sensation n'est véritablement qu'une sorte de luxe, de superfluité..., unechose passagère, ...

comme une fleur de courte durée ».

Il se rallie à ce qu'il appelle «la doctrine héroïque »«fondée sur la conscience qu'a d'elle-même la pensée »La pensée constitue, donc un monde se suffisant à lui-même, comme celui de la matière et plus encore que cedernier.

Dans ce monde immatériel comme dans l'autre, rien ne se perd, et point n'est besoin de faire appel à unmystérieux conservatoire des souvenirs, qui serait distinct de l'esprit : la pensée subsiste par elle-même; elle n'a pasbesoin d'autre chose pour la conserver.

Quant au retour à la conscience de pensées d'autrefois, il s'explique de lui-même : le monde de la pensée forme un tout dont les éléments, intimement liés les uns aux autres, s'évoquentmutuellement, en sorte qu'il doit suffire de tenir l'un d'entre eux pour être assuré de la possession des autres. b) Cela devrait suffire, mais, en fait, cela ne suffit pas toujours : il nous arrive bien souvent de ne pouvoir rappelerun souvenir qui fut certainement enregistré.

Si le rappel n'a pas besoin d'explication, c'est l'oubli qu'il faut expliquer.Comment se fait-il que cette pensée, présente dans le monde de l'esprit, ne peut pas revenir à la conscience ?Cette impossibilité, répond Ravaisson, tient à ce que nous sommes, non pas des esprits purs, mais des espritsincarnés : « c'est la matérialité qui met en nous l'oubli ».S'il est en nous un monde de la pensée indépendant de la matière, il n'en reste pas moins que tout exercice actuelde la pensée se trouve conditionné par certains processus cérébraux : que, par suite d'une intoxication, d'une lésionou d'une simple désuétude, le cerveau soit incapable de reproduire la mystérieuse disposition physiologique quiaccompagne la reviviscence d'un souvenir, et ce souvenir ne revivra pas.

C'est ainsi que la matérialité rend comptede la limitation de notre pouvoir de rappel.

Dans ce domaine aussi la matière ne fait que limiter. II.

Discussion. — On le voit d'après ce que nous venons d'exposer, l'affirmation de Ravaisson relative à l'oubli est liée à tout son système philosophique, aussi est-ce celui-ci qu'il conviendrait de discuter avant d'en venir à ladiscussion de sa conception de l'oubli.

Pour ne pas trop déborder de notre sujet, nous nous contenterons d'uneremarque. A.

Le spiritualisme de Ravaisson peut se caractériser par son opposition à la tendance matérialiste àexpliquer le supérieur par l'inférieur, la pensée par la matière et Dieu par la pensée : « Lorsque le matérialisme, dit-il réussit en apparence à rendre compte, dans tel ou tel cas, du supérieur par l'inférieur, c'est que,par une subreption dont il ne s'est pas aperçu, il a mis déjà dans l'inférieur ce supérieur que, ensuite, il croit fairenaître.

»Ce principe de l'auteur du Rapport nous paraît indiscutable : le plus ne peut pas sortir du moins; la pensée ne peutpas être un produit de la matière; le souvenir, l'épiphénomène d'une disposition des molécules cérébrales.

On estdonc amené à admettre l'existence d'une vie débordant l'organisme et le dominant comme l'esprit domine la matière.Mais, dans sa préoccupation d'assurer la transcendance de l'esprit, Ravaisson nous semble oublier un peu trop sonimmanence dans la matière.

C'est une vue théorique que de concevoir l'homme comme un être spirituel gêné dansl'exercice de ses activités propres par l'organisme auquel il est lié.

Nous ne sommes ni des esprits ni des corps, maisnous avons un esprit et un corps substantiellement unis, en sorte que les opérations spirituelles les plus élevéesdont nous soyons capables exigent une certaine collaboration de l'organisme.Le corps n'a donc pas le rôle pure négatif et limitatif que lui attribue Ravaisson. B.

On voit par là ce qu'il faut penser, selon nous, de sa thèse sur l'oubli.

La matérialité, nous semble-t-il,conditionne l'exercice de la mémoire dans son ensemble et on n'a pas à lui attribuer l'oubli plutôt que lerappel des souvenirs. a) Tout d'abord, se tournant vers la thèse contraire, on pourrait demander : n'est-ce pas la matérialité quimet en nous le souvenir ?Nos connaissances, en effet, tirent leur origine des sens, et la sensation reste pour nous le substrat essentiel denotre pensée abstraite.

Or, les sens supposent un organe matériel.

C'est donc à notre matérialité que nous devonsles souvenirs enregistrés.Les sens, il est vrai, s'ils ont besoin d'un organe matériel, sont un pouvoir de l'âme et non de la matière; par suite,nous ne pouvons pas attribuer à notre seule matérialité l'acquisition des connaissances conservées par la mémoire.Du moins l'organisme y contribue-t-il aussi et ne convient-il pas de lui assigner un rôle purement négatif.Son rôle semble plus positif encore dans la conservation des souvenirs, car leur enregistrement semble bienconditionné par la matière.

L'assertion est indiscutable pour les souvenirs que Bergson explique par la mémoire-habitude : en effet, ce n'est pas à l'âge où le système nerveux et le système musculaire ont perdu leur plasticitéoriginelle qu'il convient d'entreprendre l'apprentissage d'activités exigeant des réflexes rapides.

Elle semble valoiraussi pour les souvenirs proprement dits, ceux que Bergson attribue à la mémoire-souvenir : la mémoire du vieillard,en effet, enregistre avec beaucoup moins de fidélité que celle du jeune homme les faits dont il est le témoin ou lesidées qu'il entend exprimer.Le vieillard les enregistre comme le jeune homme, nous dira-t-on, mais il ne peut pas les rappeler, la matérialitémettant en lui l'oubli.

C'est donc à la thèse de l'oubli que nous sommes ramenés, b) Est-ce la matérialité qui met en nous l'oubli, au sens ordinaire du mot, c'est-à-dire l'impossibilité derappeler un souvenir ? Le rappel, au contraire, se fait-il de lui-même, sans aucune collaboration del'organisme ?Les données de l'expérience, et en particulier les faits- auxquels nous venons de faire allusion, ne nous semblent pas. »

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