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Démontrer et prouver

Publié le 19/03/2004

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INTRODUCTION. - « Démontrer » et « prouver » désignent tous deux, l'opération mentale par laquelle on établit la vérité d'une proposition. Par suite, ces deux verbes peuvent être synonymes : ainsi dans la bouche du géomètre, « je prouve mon théorème » est presque aussi courant que « je le démontre ». Il est, toutefois plus ordinaire que l'on établisse une distinction entre ces deux mots : l'avocat, par exemple, estimera avoir prouvé le bon droit de son client; il ne parlera pas de « démonstration »; que si, d'aventure, il emploie ce terme, on estimera ou bien qu'il s'exprime improprement, ou bien qu'il veut souligner par là le caractère particulier des preuves apportées. Commençons par comparer les étymologies - cette comparaison est susceptible de nous mettre sur la voie d'observations essentielles, - et par l'étymologie de « prouver » qui est à la fois plus simple et plus usuel. A) Le verbe prouver dérive du latin prolare qui signifie « approuver » mais aussi « faire approuver », établir qu'une proposition mérite qu'on y adhère qu'on lui fasse confiance; pour cela, comme l'ingénieur des Ponts et Chaussées qui réceptionne un ouvrage construit par une entreprise privée, on la soumet à l'épreuve, on l'éprouve ou, plus simplement on prouve qu'elle répond aux stipulations du cahier des charges. Ainsi l'assertion que l'on entreprend de prouver suscite ou pourrait susciter un certain doute, du moins n'est-elle pas évidente. Sinon, on ne perdrait pas son temps à la prouver. Il n'est pas dit d'ailleurs que la preuve procurera l'évidence que désire l'esprit, l'évidence de la proposition elle-même. Il n'est pas rigoureusement certain qu'après avoir résisté aux épreuves prévues par le cahier des charges le pont ne s'écroulera pas un jour sous un poids bien inférieur à celui du jour des essais; du moins, l'expérience faite, l'Etat n'aura pas de raison justifiant un refus de l'ouvrage commandé.

« En cette matière, l'usage ou plus exactement le bon usage fait loi : définir un mot, c'est déclarer ce qu'il est usueld'entendre par là lorsqu'on parle proprement.

On dit bien que chacun est maître de ses définitions; mais celui qui donneune définition personnelle ne peut pas dire absolument que le mot en question « se définit » ou qu'« on le définit »; saformule doit préciser que la définition donnée lui est propre et dire par exemple : « nous définissons », « nous entendonsici » par tel mot telle chose.

Quand on parle absolument c'est à l'usage qu'on doit s'en tenir.Observons donc les différences qu'il est usuel de faire entre « démontrer » et « prouver ». A.

Nous pouvons partir de cette observation en quelque sorte matérielle et par suite plus facile à constater : démontrerconvient avant tout aux processus mathématiques par lesquels, dans ce domaine, se construit l'édifice scientifique; endehors des mathématiques, on ne parle guère que de prouver. a) Sans doute, « démontrer » disant plus que » prouver », une démonstration constitue bien une preuve tandis qu'unepreuve ordinaire n'est pas une démonstration; aussi le géomètre peut-il, au lieu de : «je démontre mon théorème », dire :« je le prouve ».

Mais « démonstration » est le terme propre, et l'argumentation qui établit le théorème se termine, nonpas par C.

Q.

F.

P., mais par C.

Q.

F.

D.Il arrive cependant, même en mathématiques, que le mot propre soit plutôt «prouver », c'est ainsi qu'on peut jugerpréférable de dire : « preuve indirecte » et surtout « preuve par l'absurde », on ne dit guère non plus que le raisonnementpar récurrence constitue une démonstration.

Mais pourquoi ce changement de vocabulaire, sinon parce que ces manièresd'établir une vérité n'en donnent pas une évidence aussi immédiate que la démonstration ordinaire et que, de ce point devue, elles se situent au niveau de la preuve ?La démonstration suppose un monde où tout est clair parce qu'il ne contient que ce que la pensée y a mis par conventionexplicite : ce monde, c'est celui des mathématiques.

Au contraire, quand on se heurte à un donné préexistant, de quelquenature qu'il soit, on ne peut le connaître qu'en observant, en formulant des 'hypothèses explicatives dans le contrôledesquelles intervient la preuve. b) C'est donc dans tout ce qui n'est pas mathématique que, ne pouvant procéder à des démonstrations véritables, on secontente de prouver.Il est sans doute des sciences de la nature dans lesquelles, bien qu'elles aient pour objet un donné préexistant,s'introduisent de véritables démonstrations, avec l'évidence et la nécessité qui spécifie cette sorte de preuve; DESCARTESdéclarait déjà : «Pour la Physique, je croirais n'y rien savoir si je ne savais que dire comment les choses peuvent être,sans démontrer qu'elles ne peuvent être autrement.

» Mais une telle démonstration n'est possible que dans une physiquemathématisée, ce qui confirme que, en dehors des mathématiques, on ne peut que prouver.On pourra bien, parfois, recourir au mot « démonstration » précisément pour marquer le caractère rigoureux de la preuveadministrée.

C'est tout son système que SPINOZA présente suivant la méthode et dans les termes mêmes de la géométrie, sans oublier le C.

Q.

F.

D.

final.

Exception, sans doute.

Mais il est pluscourant de voir des métaphysiciens intituler « démonstration » l'ensemble despreuves apportées à l'appui de thèses comme la spiritualité de l'âme ou l'existencede Dieu.

Parmi ces preuves, ce sont surtout celles qui, comme l'argumentontologique, procèdent more geometrico qui semblent appeler le mot «démonstration ».

DESCARTES cependant se contente du terme de « preuvedémonstrative » (Médit.

5).

Même en métaphysique, c'est de preuves que l'on parle. B.

Il est intéressant de s'arrêter à ce pluriel : le pluriel est bien plus fréquent pour «preuve » que pour « démonstration » et cette remarque nous permettra de reveniraux caractères distinctifs de ces deux processus mentaux.Sans doute, on apprécie « les démonstrations » d'un manuel de géométrie qu'ontrouve plus ou moins claires.

On peut même fournir d'un théorème desdémonstrations différentes, tout comme on apporte plusieurs preuves de la thèsemise en avant.

Mais il y a une différence essentielle. Une démonstration suffit à elle seule à établir le théorème géométrique : si elle n'ysuffisait pas, ce ne serait pas une démonstration.

Des démonstrations multiples nesont que diverses manières de montrer la vérité d'une proposition; chacune lamontre à sa manière, mais toutes procurent l'évidence. Il est rare, au contraire, que, surtout dans le domaine des faits humains et particulièrement devant les tribunaux, unepreuve suffise.

Chacune ne à donne qu'une certaine probabilité; c'est pourquoi on les multiplie, dans l'espoir que deprobabilités convergentes résultera le sentiment d'évidence qu'elles ne peuvent produire individuellement.

S'il suffisaitd'une preuve on pourrait parler de « preuve démonstrative » et cet usage nous rappelle ce qui distingue la démonstrationde la preuve. CONCLUSION.

— Après avoir dit avec insistance que prouver est autre chose que démontrer, il convient de revenir à notre affirmation du début : la démonstration et la preuve ont un but commun, établir une vérité.

La preuve, il est vrai,vise un doute à chasser, un esprit à convaincre.

Mais ce but n'est pas étranger à celui qui démontre.

Comme le dit trèsbien M.

Robert BLANCHE : « la démonstration hésite entre une fonction psychologique (déterminer l'assentiment) et unefonction logique (organiser les propositions) ».

(L'axiomatique, p.

19.)Il reste tout de même cette différence que la preuve, elle, n'hésite pas : « Je veut déterminer l'assentiment; si elles'organise en un système logique fortement charpenté, ce n'est pas pour l'élégance de la construction, mais pour mieuxassurer son triomphe.

Ainsi entre démontrer et prouver la distinction reste toujours essentielle.. »

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