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Du Contrat social, livre I, chapitre VIII

Publié le 22/03/2015

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De l'état de nature à l'état civil - Rousseau

Ce passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C'est alors seulement que la voix du devoir succédant à l'impulsion physique et le droit à l'appétit, l'homme, qui jusque-là n'avait regardé que lui-même, se voit forcé d'agir sur d'autres principes, et de consulter sa raison avant d'écouter ses penchants. Quoiqu'il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s'exercent et se développent, ses idées s'étendent, ses sentiments s'ennoblissent, son âme tout entière s'élève à tel point que, si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l'instant heureux qui l'en arracha pour jamais, et qui, d'un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme.
Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comparer. Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre ; ce qu'il gagne, c'est sa liberté civile et la propriété de tout ce qu'il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n'a pour bornes que les forces de l'individu, de la liberté civile qui est limitée par la volonté générale, et la possession qui n'est que l'effet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété qui ne peut être fondée que sur un titre positif1
On pourrait sur ce qui précède ajouter à l'acquis de l'état civil la liberté morale, qui seule rend l'homme vraiment maître de lui ; car l'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté. Mais je n'en ai déjà que trop dit sur cet article, et le sens philosophique du mot liberté n'est pas ici de mon sujet.

Du Contrat social, livre I, chapitre VIII



« Textes commentés 47 Le concept central de ce chapitre du Contrat social est celui de « balance » ou de comparaison.

Contrairement à l'idée répandue et partiale qui ne veut voir dans la pensée de Rousseau qu'une apologie inconditionnelle de la pure nature, nous lisons ici une sorte de défen!'.e de la société et des progrès et avantages qu'elle peut apporter à l'homme.

Comme on l'a vu plus haut et en particulier dans le texte précédent, la problématique centrale de la philosophie de Rousseau consiste dans une analyse des causes de l'injustice, de l'oppres­ sion, de la méchanceté et du malheur des hommes.

C'est dans ce but que Rousseau, pour définir la justice, est amené à s'interroger sur l'essence de l'homme, sa nature, telle qu'on peut la penser abstraitement en le dépouillant de tout ce que l'histoire et la civilisation ont ajouté à son image, à ses mœurs, à ses qualités et à ses actions.

De là l'idée directrice, qui commande toutes les analyses de Rousseau, d'une évaluation des avantages et inconvénients respectifs de l'état de nature et de l'état civil, de l'« homme sauvage » et de l'« homme civil » (social ou civilisé).

Nous avons vu précédemment que Rousseau soutient l'argumentation, paradoxale et scandaleuse en son siècle et même encore aujourd'hui, de l'état de société comme un état de décadence et de perte par l'homme des privilèges essentiels de l'état de nature : la liberté, le bonheur, l'égalité, le «repos » (la tranquillité d'âme et une vie affranchie des diverses servitudes comme le travail, le souci de paraître, la dépendance à l'égard d'autrui, l'assujettissement au pouvoir politique et aux désirs sociaux ...

) Le présent texte vient après les analyses de Rousseau sur le fondement du pouvoir politique légitime, la volonté générale et le pacte social.

La société du contrat se substitue à l'« horrible état de guerre » de la société commencée (Discours sur l'inégalité, seconde partie).

La souveraineté est alors fondée sur une convention, et non plus sur la nature et les inégalités sociales, convention qui fonde « une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant» (Contrat social, 1, 6).

En ce sens, l'état civil est un artefact par lequel l'autorité politique restitue, sous une forme artificielle (pacte, convention, institutions, lois) les avantages dont jouissait l'homme à l'état de nature, en particulier la liberté et l'égalité.

La vertu, au sens que Montesquieu donnait à ce mot dans !'Avertissement de l'auteur de L'Esprit des lois ( « l'amour de la patrie, c'est-à-dire l'amour de l'égalité » ), la « vertu politique », ou encore ce que nous appelons le civisme, le sens civique, se substitue à la solitude heureuse et à l'indépendance de l'homme à l'état de pure. »

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