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Dugas a opposé la Pensée conceptuelle tenue par lui comme « verbale » ou « potentielle » à la pensée « par images » tenue par lui comme « actuelle ». Qu'en pensez-vous ?

Publié le 12/03/2011

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   On désigne par le qualificatif de « potentiel « ou de « virtuel « ce qui contient en soi la capacité de se manifester, ce dont par conséquent la réalisation est à venir. — « Actuel « répond au contraire à ce qui s'est réalisé, à ce qui ne contient plus d'énergie en réserve.    C'est ainsi par exemple qu'Aristote oppose la puissance à l'acte. Dire par conséquent que la Pensée conceptuelle demeure à l'état de potentiel, c'est dire que le concept constitue une indication préparant des ressources que la Pensée a pour fonction de laisser prévoir, tandis que les images orientées vers l'actualisation cherchent à exprimer dans ses derniers détails la forme de Pensée qu'elles reflètent.    Pourquoi dès lors le concept que M. Dugas assimile au mot peut-il être tenu par cet auteur pour une promesse ? En quoi est-il justifié de soutenir que les éléments de l'image sont étalés immédiatement et dans leur totalité sous le regard de l'esprit ? Une telle conception est-elle entièrement satisfaisante ? Ne passe-t-elle pas sous silence quelques éléments de détermination du concept et certains aspects indéterminés de l'image, c'est ce que nous allons essayer de préciser.

« par les sapins de Saint-Laurent-du-Jura ou les brousailles qui dominent le lac d'Annecy.

Tout cela convient à la forêtet tout cela ne nous donne pas la forêt.

Nous saurons seulement que nous pourrions changer indéfiniment d'imagessans avoir à changer de mot.

Les images particulières apparaissent donc ici comme autant d'exemples susceptiblesde s'adapter à un certain objet mais incapables de le constituer.

Ainsi quel que soit l'élément actuel choisi, leconcept l'acceptera en le débordant, ne s'y accrochera que pour aller plus loin comme la règle grammaticale s'illustreprovisoirement d'un exemple mais tire toute sa valeur de règle du fait qu'elle le dépasse. Cette nature du concept apparaît avec une spéciale netteté quand il s'agit de concepts Scientifiques.

Le butpoursuivi à cet égard par la Science c'est ce que Mach a appelé « l'économie de la Pensée ».

Il s'agit ici de réserverla plus grande énergie spirituelle possible au dégagement de nouveaux rapports et à la construction de nouveauxensembles. D'où la nécessité de retirer l'effort intellectuel des régions où il n'est pas indispensable pour l'employer à un meilleurusage.

Aussi évitera-t-on de perdre du temps et du travail à expliciter la signification de notions dont l'espritpossède la maîtrise.

Ces notions dont l'élaboration a souvent demandé un effort intense ont été justementconstruites de manière à constituer une réserve de connaissances aussi vaste que possible, richesse virtuelleperpétuellement susceptible d'appuyer la Pensée sans jamais la charger.

En effet de telles notions sont connues, onsait ce qu'elles valent, ce qu'on peut en tirer et dans quelle mesure il est légitime de les employer Dès lors à quoibon s'attarder à dégager les éléments d'une signification sur laquelle on est renseigné.

L'important c'est qu'une tellesignification soit perpétuellement à notre disposition. Il s'agit là pour ainsi dire de savoir « mis entre parenthèses ».

On pense « par allusions » et on n'ouvre la parenthèsequ'au moment où le besoin s'en fait sentir, où il y a lieu de choisir, au sein d'une notion qui peut comporter uneétendue immense, ce qui' est susceptible de servir.

Songeons par exemple à l'immense domaine mental enveloppédans des termes tels qu'entropie, potentiel, force électromotrice, équilibre chimique, métabolisme basai, circulationfiduciaire, et nous comprendrons par combien de biais de telles notions peuvent être utilisées si l'analyse s'en révèlenécessaire. En attendant, le concept reste une ressource que l'esprit possède en bloc sans s'y attarder, comme l'oiseleur du «Théétète » possède ses pigeons, dans une volière sans pour cela chercher à les saisir. Il est inutile d'aller plus loin, pensons-nous, pour mettre en valeur le caractère essentiellement potentiel d'unepensée conceptuelle qui, telle une fonction à valeur multiple, s'arrête tantôt à une expression, tantôt à une autre,sans qu'aucune de ces expressions en épuise la signification.

Ce qui définit avant tout un concept c'est en effet lesens qu'il possède, c'est ce sens qui, faute d'être saisi lui-même s'incarne à volonté dans une série de réalisationspossibles.

Sans rejoindre complètement la notion, de telles illustrations en donneront une idée, comme quelquespoints fournissent la direction d'une courbe sans permettre autre chose qu'en soupçonner la loi. Prenons au contraire la pensée telle qu'elle se présente chez un auteur doué d'une fonction imaginativeparticulièrement riche comme un Balzac ou un Flaubert par exemple.

L'effort chez eux sera sensible pour ne paslaisser d'évocation disponible à l'arrière plan, pour fournir un tableau auquel rien ne manque.

Qu'il s'agisse de cettesalle à manger de pension de famille « puant le service, l'office, l'hospice...

meublée de fauteuils et de chaises enétoffe de crin à raies alternativement mates et luisantes », décrite dans Le Père Goriot ou du festin « que sedonnaient les mercenaires de Sicile à Megara, Faubourg de Carthage, dans les Jardins d'Hamilcar », parmi « degrands feux clairs où rôtissaient des bœufs », on sent le souci chez les écrivains de déployer dans l'esprit du lecteurune illustration dont aucune nuance ne se perde, comme une tapisserie dont tous les coloris seraient étalés à la foissous les yeux d'un spectateur.

Du reste, cette pensée par images nous en saisirons peut être plus intensémentencore les caractères si nous analysons des cas où nous la vivons au lieu d'en étudier les manifestations mêmeéclatantes chez d'autres que nous. On prononce devant nous par exemple la formule de Nietzche : « Il faut aménager le mal comme on aménage uneforêt ».

Je vois un coin de bois avec des gens qui balayent.

Dans cette direction au moins ma pensée ne demandepas à aller plus loin, c'est une impasse dont le fond est formé par e tableau évoqué.

Si on tentait du reste d'aller audelà on constaterait aisément que l'image acceptée par nous interprète à contresens les termes utilisés parNietzche.

« Aménager » une forêt ne signifiant pas la nettoyer mais l'organiser de manière à tirer parti de sa naturesauvage elle-même.

Et alors naturellement la comparaison d'après laquelle il conviendrait de composer avec le malcomme on compose avec la nature devient un non-sens si nous nous tenons à l'illustration choisie.

Peu importe ! jeme désintéresse de toute signification précise.

Aménager équivaut à peu près à v< Faire le ménage », ce qui seconcrétise pour moi dans une certaine vision aussi complète que possible où contrastent péniblement les arbres, lapoussière, les papiers sales.

Cela me suffit.

C'est un aboutissement, Tout ce qu'on pourra demander dans ces conditions à l'image ce sera d'être riche en caractères, haute en couleurs.A ce moment elle vaudra pour elle-même et non pour ce qu'elle traduit, pour ce qui en a été l'occasion.

On sera rivéà sa contemplation, elle réalisera une espèce de confiscation de l'esprit.

D'où l'impossibilité non seulement de ladépasser, mais encore de lui échapper. Les raisons profondes d'une telle attitude mentale répondant à la pensée imagée, nous les trouverons aussi biendans la nature inhérente à l'image que dans l'orientation qui la caractérise.. »

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