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Gaston Bachelard: Arithmétique et géométrie

Publié le 29/03/2005

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L'arithmétique n'est pas plus que la géométrie une promotion naturelle d'une raison immuable. L'arithmétique n'est pas fondée sur la raison. C'est la doctrine de la raison qui est fondée sur l'arithmétique élémentaire. Avant de savoir compter, je ne savais guère ce qu'était la raison. En général, l'esprit doit se plier aux conditions du savoir. Il doit créer en lui une structure correspondant à la structure du savoir. Il doit se mobiliser autour d'articulations qui correspondent aux dialectiques du savoir. Que serait une fonction sans des occasions de fonctionner ? Que serait une raison sans des occasions de raisonner ? La pédagogie de la raison doit donc profiter de toutes les occasions de raisonner. Elle doit chercher la variété des raisonnements, ou mieux du raisonnement. [...] La raison, encore une fois, doit obéir à la science. Gaston Bachelard

— Thèse facile à repérer : la raison n'est pas immuable, elle se plie aux enseignements de la science.  — On peut aisément distinguer la position de Bachelard du rationalisme classique, qui affirme, au contraire, l'existence d'une raison innée, toujours semblable à elle-même. Ce texte est, par exemple, clairement anticartésien.  — On peut comparer ce qui est ici énoncé à la formule : « la fonction crée l'organe « — ne serait-ce que pour développer la question que pose Bachelard : « Que serait une raison sans des occasions de raisonner ? «

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« Ce fonctionnement, tel que Bachelard l'envisage, est fondamentalement celui qui s'illustre dans la connaissancescientifique.

Et c'est pourquoi on ne doit pas seulement admettre que la raison se forme à partir des premièresactivités de connaissance : sa dépendance est constante et, puisqu'il existe une histoire des sciences, cela oblige àconsidérer qu'il existe aussi une histoire de la raison.

Ainsi se comprend qu'une affirmation initialement reçue commenon rationnelle (imaginons un contemporain d'Aristote affirmant que la terre est ronde, ou un homme du XIIe sièclesoutenant qu'elle tourne autour du soleil) soit ensuite approuvée par la raison elle-même.

C'est que, d'une époque àl'autre, la science a progressé, a contraint la raison à reconnaître comme vrai ce qui lui semblait d'abord aberrant, età modifier en conséquence ses normes.

A la suite de Galilée, être rationnel signifie tenir compte des expériencesscientifiques et pratiquer des inductions, parce que Galilée a prouvé la fécondité de telles démarches.

Mais au XIII esiècle, être rationnel ne pouvait signifier que suivre rigoureusement une démarche non expérimentale et déductive.L'esprit doit donc évoluer en fonction des apports de la science.

Ces apports sont aussi dans ses méthodes, et dansce que Bachelard nomme ses « dialectiques » : ses capacités à montrer que des lois jusqu'alors admises ou desconcepts tenus pour « universels », doivent être rectifiés, et désormais considérés comme « locaux ».

En retraçantl'évolution du concept scientifique de masse, Bachelard a pu montrer que les moments successifs de la mécanique(de Newton à Einstein, puis à Dirac) supposent des conceptions différentes du rationalisme : d'abord « classique »,puis « complexe », et enfin « dialectique ».

Or, le passage d'une étape à la suivante est dû en priorité aux avancéesde la science : c'est la mécanique d'Einstein qui contraint la raison à mettre en cause l'unicité de l'espace(euclidien) et du temps, tels que les affirme Kant, ou à modifier la notion même de vérité, qui doit être admisedésormais comme « plurielle ».On peut d'ailleurs confirmer une telle évolution par les apports d'autres disciplines : l'ethnologie enseigne volontiers,au XXe siècle et en renonçant à l'idéologie de 1'« évolutionnisme sociologique » qui affirmait une hiérarchie entresociétés « civilisées » et sociétés « primitives » (considérées comme infantiles), qu'il existe, non une raisonuniverselle, mais bien diverses mentalités rationnelles.

Or celles-ci, si l'on suit l'analyse de Bachelard, renvoient àdes modes de connaissance différents : là où la connaissance que nous considérons comme scientifique ne s'est pasdéveloppée, la raison ne peut avoir le même profil que dans les sociétés technoscientifiques (ce qui ne signifieaucunement qu'elle soit inférieure). [III.

Vers une pédagogie de la raison] Comment, si la raison est ainsi tenue de suivre les avancées scientifiques, être rationnel ? Cela semblait, pour laphilosophie classique, très simple : il suffisait en somme d'être un homme « normal », et une pédagogie de la raisonne pouvait qu'en concerner les usages — c'est la méthode cartésienne.Pour Bachelard, la pédagogie de la raison désigne sa constitution même, et non ses applications.

Ce qu'il fautdésormais apprendre, c'est la variété des formes de raisonnement.

Raisonner ne renvoie plus à une seule logique,mais peut aujourd'hui s'effectuer relativement à différents systèmes.

Il existe une histoire de la logique et de sessystèmes, comme il existe une histoire de la raison et, en amont, une histoire des sciences : à la logique bivalented'Aristote sont venues s'ajouter des logiques polyvalentes, dans lesquelles les valeurs de vérité ne sont plusseulement V et F (vrai et faux, selon une contradiction qui, pour être conforme au principe d'identité, oblige àn'affirmer qu'une valeur à la fois), mais tiennent compte du possible, de l'éventuel, du probable, de l'aléatoire, etc.De telles logiques sont complexes, et d'une certaine façon « choquantes » relativement aux besoins et habitudes dela pensée quotidienne.C'est sur ce point que la situation révèle ses difficultés : tandis que la science progresse et impose auxscientifiques, aux épistémologues et, éventuellement, aux philosophes, ses nouvelles normes rationnelles, la viequotidienne peut continuer à ne faire usage que de la logique classique et à concevoir la raison comme une donnéeà peu de choses près permanente.

Ainsi s'affirme un écart, qui ne peut que grandir, entre une mentalité rationnellede « spécialistes » et la mentalité du « grand public ».

Avec, à l'horizon, le risque évident d'une coupure complèteentre les deux groupes, celui qui est le plus nombreux ne pouvant absolument plus suivre les avancées scientifiques,ni comprendre les nouvelles formes de la raison.Lorsqu'il évoque la nécessité d'une pédagogie de la raison, Bachelard ne pointe pas explicitement le danger de latechnocratie, mais il signale qu'à ne pas tenir compte des modifications de la raison qu'entraîne la science, unementalité se sclérose et accumule un retard intellectuel, qui la rend incapable d'assimiler les nouveaux savoirs. [Conclusion] « La raison doit obéir à la science ».

Cela ne donne pas tous les pouvoirs à la science, mais indique la nécessité d'enêtre informé, pour comprendre les formes de rationalité qu'elle inaugure.

S'il faut ainsi suivre la science, ce peut êtreaussi pour mieux la contrôler, ou simplement éviter qu'elle se trouve réservée à une « élite », qui pourrait alors êtretentée de s'emparer, puisqu'elle « saurait », de tous les pouvoirs.. »

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