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Guillaume Dupuytren

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

Deux anecdotes, peut-être légendaires, l'ont montré, à trois et treize ans, fascinant des inconnus, prêt à l'aventure, peu embarrassé d'attachements. Il était né le 3 octobre en 1777 à Pierre-Buffière (Haute-Vienne). Après les années du Collège des colonies, à Paris, il dut faire à pied, étant sans franc ni sol, la route du retour. Comme les comités révolutionnaires, de village en village, proclamaient la Patrie en danger, il voulut être soldat. Son père répondit par un ordre : "Tu seras chirurgien !" A sa première entrée dans une salle de dissection, la vue des cadavres morcelés le fit blêmir. Il se trouva mal ; mais au lieu de désespérer, il apprit à se ressaisir d'une honte. L'accueil paternel de Boyer, grand chirurgien, les recommandations de Thouret, frère du Conventionnel, et de Vergniaud, le Girondin, facilitèrent ses débuts ; son intelligence, son ambition, son énergie invincible eussent suffi. Il fut nommé prosecteur à dix-huit ans et se trouvait en même temps capable d'être préparateur du célèbre chimiste Vauquelin. Mais la misère l'étreignait. Avec un ami, il partageait, au dernier étage d'une maison sordide, puis au couvent des cordeliers, une très pauvre chambre, où ils étaient assez souvent sans pain et sans feu. La volonté peut se durcir, dans ces épreuves, mais le lutteur y devenir âpre et chagrin. Dupuytren travaillait, dès quatre heures du matin, l'anatomie, la physiologie, la chimie. Quand il en était saturé, il s'accordait les délices de Corneille, de Montesquieu, de Diderot.

« Par sa probité d'enquête clinique, sa sûreté d'analyse ou sa soudaineté de coup d'Oeil, il enthousiasmait l'auditoire.Parfois, désireux de frapper de jeunes imaginations, il allait jusqu'à une virtuosité de prestidigitateur et dessimplifications un peu théâtrales.

Par exemple, il énonçait en une seconde et avec sarcasme un diagnostic difficile, ilécrasait un kyste superficiel, puis jouait, avec l'entourage, à en contester l'authenticité ; il incisait, avec unesoudaineté inattendue ou une désinvolture feinte, les abcès les moins accessibles ; il obtenait une équivalenced'anesthésie par une brutalité de langage jouée...

etc.

Mais qu'ils parussent procéder de l'examen le plus méthodiqueou d'une illumination d'intelligence, ses diagnostics étaient à peu près infaillibles.

Sauf Corvisart, en médecine, nul nel'égalait. L'opérateur passait pour n'avoir ni l'élégance de Roux, ni la prestesse de Lisfranc, ni la majesté de Desault, nil'opportunisme subtil de Marjolin ; mais il excellait dans les précautions, pesait mieux qu'eux les indications et leschances opératoires, connaissait plus sûrement les véritables lésions et les meilleurs chemins.

Son sang-froid étaitproverbial.

On le vit, en des circonstances tragiques, tirer parti d'un accident mortel, découvrir aussitôt, avec ungénie inductif, plus sûr de soi que jamais, une pathogénie jusqu'à lui inconnue. C'est à l'amphithéâtre des cours qu'il surpassait tous les autres et se surpassait.

On lui amenait dix à quinzemalades.

Sur un ton modéré, quelquefois bas, lent, il parlait avec une aisance qui se passait de volubilité etd'emphase, avec une action sobre d'effets et de pathétique.

Il enseignait la rigueur, la finesse, et rattachaitétroitement la liaison et les symptômes.

Magistralement instruit des dégâts et de leurs signes cliniques les moinsflous, il pouvait commenter avec sincérité ses diagnostics les plus prompts et ceux qu'il avait parfois mûris pendantplusieurs jours.

Une concentration sévère, saisissante, la prudence de la sagacité, une simplicité lumineuse, uneintelligence logicienne et fertile en formules neuves, enfin une harmonieuse diction lui étaient des ressourcesnaturelles pour conquérir, retenir, enchanter l'attention de la jeunesse la moins passive du monde. Pendant cinq ou six heures par matinée, des salles de malades aux salles d'opération, à l'amphithéâtre des cours età la consultation externe, il ne cessait de soigner et d'instruire.

Il modelait des esprits et préparait des médecins.Mais être utile ne lui suffisait pas.

Être premier non plus.

Il voulait dominer dans l'arrogance.

Être devenu le meilleurenseigneur, le consultant oraculaire, l'opérateur des grands, des riches et des plus déshérités, rêver de devenir pairde France, de rester le conseiller des rois, sourire au pouvoir, régler sur lui ses pas, tout cela témoignait de désirstrop contradictoires pour permettre la sérénité ou une fierté moins revêche.

Peut-être de longues héréditéspaysannes et sa pauvreté initiale l'avaient-elles alourdi de cupidité, de méfiance, de vanité, en même temps qu'ellesl'avaient doté d'opiniâtreté.

Il donna à la clientèle, à l'enrichissement, un temps qu'il dérobait au raffinement dequelques plaisirs et surtout à des Oeuvres écrites dignes de sa carrière et de l'opinion fort immodeste qu'il en laissaitvoir. Ses succès soulevèrent contre lui les irréconciliables jalousies que la supériorité ne peut guère éviter ; mais sonattitude écrasante, qui n'admettait pas la contradiction, une joie vindicative qui enflammait son visage, lesinsatiables convoitises qui multipliaient, aigrissaient, parfois abaissaient ses démarches, lui valurent, plus qu'à toutautre, des adversaires déchaînés, des conflits orageux.

Pour que des hommes comme Lisfranc, Percy, Richerandl'aient dénoncé avec tant de fiel, il a fallu que sa brigue eût été bousculante et qu'il ait moins encore désiré quevoulu priver les autres. On l'a calomnié, jusqu'à le dire insolent avec Boyer, son maître et bienfaiteur, imprudent dans le traitement du ducde Berry, hypocritement agenouillé aux Tuileries.

Sa gloire a été sans bonheur.

Ses compatriotes limousins eux-mêmes le frustrèrent de ces satisfactions de politicien qu'il ambitionnait aussi. Au lieu de songer à tant d'emplois et d'ourdir tant de manOeuvres, que ne continuait-il, dans l'ivresse de création,son Oeuvre remarquable ? Certes, il avait peu écrit, mais dans ses exposés oraux, recueillis par ses adjoints, saforte griffe se reconnaissait en des descriptions cliniques impérissables.

C'est vers elles que venaient des étudiantset des maîtres de tous les pays.

Avec Bichat, Corvisart, Bayle, Laennec il avait fait, pour trente ans, de l'École deParis, la première du monde. Une maladie des mains, une fracture de la jambe porteront longtemps son nom.

On lui a dû des interventionschirurgicales nouvelles ou hardiment élargies, des innovations techniques et instrumentales (résection du maxillaireinférieur, ténotomie, ligature de l'artère iliaque externe, incision d'abcès cérébral, invention de l'entérotome, etc.).Mais, avant tout, s'inspirant des travaux de Morgagni et de Hunter, il avait été, avec une foi, un zèle, une hauteraison, le champion, en science chirurgicale, de l'incomparable méthode anatomo-clinique. Son labeur démesuré, ses responsabilités, les obligations de la vogue, une humeur irascible, la constance et la ragedes inimitiés, enfin des chagrins intimes, eurent raison de forces peu communes. Une première crise apoplectique, pendant une leçon qu'il n'abrégea pas, l'avait averti et diminué ; mais aprèsquelque repos, il crut pouvoir reprendre.

La grande voix avait faibli.

Il dut renoncer. Comme s'il eût voulu oublier les froissements, les batailles, les rivaux injustes et se délecter tardivementd'indulgence ou de modestie, il se réconcilia avec Richerand, et l'on vit, dans les bras l'un de l'autre, celui qui avaitété victorieux et implacable et celui dont l'envie et l'inconsolabilité avaient peu à peu dégradé les dons.. »

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