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Handicap et Identité

Publié le 18/06/2011

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 Au moment où je commence à investir ce champ de réflexion «Handicap et Identité«, il me vient à l'esprit que la parole est un archipel et chacun des mots sur lesquels nous nous attardons à réfléchir pour en explorer les déclinaisons de sens, les parcelles, un îlot de pensée. Le mot «identité«, quant à lui, m'évoque l’image d'un être en suspens, debout sur un seuil et qui s'interroge : « En quoi suis-je semblable à cette silhouette qui là-bas me fait face et dont les contours me sont familiers parce que semblables aux miens ? Et par-delà ces contours qui nous rapprochent, en quoi suis-je distant d'elle parce que singulièrement moi-même? «

« " statue intérieure [1] ", à la fois intime et nourrie de mon côtoiement du monde extérieur.

Cet objet, visible de moi seule, je peux l'examiner et dire : "Voici ce que ma vie, ses hasards et ses choix, ses retraits et ses élans ont faitde moi en ce moment où j'essaie d'approcher une représentation de moi-même.

En quoi me suis-je reconnue ou aucontraire quels éléments ai-je écartés qui auraient fourni à d'autres une piste possible ?" Tout d'abord, si le handicap m'apparaît comme un trait constitutif de moi-même ou de certaines personnesqui ont choisi ma proximité comme j'ai choisi la leur, je ne l'ai jamais considéré comme un dénominateur commun, unfacteur de regroupement qui puisse suffire à faire naître un sentiment d'appartenance.

Or, tout le monde ne réagitpas ainsi.

Je me souviens, par exemple, d'un monsieur qui, au cours d'une réunion à l’Association Nationale desI.M.C [2].

avait dit, après avoir décliné ses nom et prénom, qu'il était " I.M.C.

avant tout ".

Pour ma part, j'ai opté, et mes parents avant moi de par l'éducation qu'ils m'ont donnée, pour un positionnement qui consistait à ne passurévaluer le poids du handicap comme facteur déterminant de mon mode de vie.

Ainsi, si l'entre-soi lié au monde duhandicap s'est avéré nécessaire voire utile dans certaines circonstances de vie, telles ma scolarisation en maternelleet en primaire, dans le milieu spécialisé ou mon placement en centre de rééducation fonctionnelle pour un suivipostopératoire, il ne s'est jamais imposé comme un chemin unique. Cependant, en refusant de me ranger sous la seule bannière du handicap comme signe de ralliement,d'agrégation, je me suis mise en position de suivre une voie moins nettement tracée, plus exigeante dans lacapacité d'invention qu'elle requiert : j'ai pris le pari de la singularité. Cette expérience, c'est d'abord, par ordre chronologique, au sein de ma famille que j'ai été amenée à lavivre.

En effet, mon handicap ne m'a jamais séparée durablement de mes proches, il ne m'a conduit à vivre eninternat que pour des périodes très ponctuelles.

Je me souviens de ces étés où, dans la famille de ma mère, jeretrouvais mes cousins.

Ils jouaient au ballon, je lisais un livre et je me disais "Ils me plaignent peut-être d'être làsur mon fauteuil pendant qu'ils courent...

En fait, je suis sur la plus haute branche d'un arbre et je les regarde...

"Ce petit jeu de métamorphose auquel j'ai joué très tôt, a, je crois, droit de cité ici.

Il me rappelle que dès l'enfance,l'identité m'est apparue moins comme un héritage statique, la conséquence d'un enchaînement de circonstances qu'ilme fallait subir, que comme une constellation d'éléments à rapprocher pour les combiner ensemble.

Aujourd'hui,j'interviens dans l'affaire avec la distance de l'âge adulte pour la résumer ainsi : " Je ne serai pas forcément ce queles autres disent que je suis, je serai les musiques que j'écoute, les personnages des livres que je lis, la douceur desgens qui me sourient.

" Parce que le handicap n'intervenait que très peu dans ma vie en tant qu'élément d'appartenancecommunautaire, j'ai dû fournir un autre socle à la construction de mon identité.

Je me rappelle qu'enfant, alors qu'aujour le jour je menais une vie calme et sereine, ponctuée d'efforts, tels les séances de kiné, mais sans violenceaucune, je cherchais néanmoins des modèles, mes pairs en difficulté, qui eux aussi butaient sur des obstacles ets'en sortaient.

C'est d'abord dans le domaine de l'imaginaire que je les ai rencontrés.

À vrai dire, je n'ai jamaiséprouvé, à fréquenter le milieu spécialisé, ce sentiment de la fraternité des faibles qu'évoque, par exemple, lephilosophe suisse Alexandre Jollien, lui-même Infirme Moteur Cérébral, dans son premier essai, Éloge de la faiblesse . L'expérience de vie en institution qu'il a connue pendant plusieurs années l'amène à écrire, par exemple, à proposd'un ami qui suivait avec attention ses premiers pas : " Jean avait tout essayé pour me soutenir.

Il savait très bienqu'il ne marcherait jamais ; à travers son humble présence, sans parole, sans geste, avec la justesse que donnentles vraies tendresses, il avait cependant accompagné chacun de mes pas " [3]J'ai le sentiment, durant ces années, d'avoir, sans doute plus prosaïquement qu'Alexandre Jollien, côtoyé des gens, avec leurs qualités, leurs défauts.Tous autant que nous étions, notre handicap ne nous dotait d'aucune vertu particulière...

Mais peut-être le fait devivre constamment ensemble et un peu à l'écart du monde comme en une expérience insulaire ou conventuelle,développe-t-il des solidarités méconnues de qui n'a pas fait l'expérience d'une telle proximité géographique ettemporelle.

Quant à moi, j'avais besoin de héros, de petits débrouillards qui triomphaient.

La petite Fadette, lasorcière sage, d'abord exclue puis reconnue pour son charme et son savoir a été une de mes premières compagnes.Plus tard, j'ai appelé à la rescousse Cyrano de Bergerac, cet escrimeur des mots, solitaire et généreux, disgracié etflamboyant.

Épure du panache, il m'a appris que l'on pouvait se draper dans le verbe, danser sur le fil des mots entrelégèreté et dérision.

Bien sûr, ces personnages n'ont pas été mes seules sources vives, j'en ai, depuis lors, vusourdre bien d'autres chez des compagnons moins évanescents.

Pourtant, dégagés des contingences, descompromis et des vicissitudes quotidiennes, ils cristallisaient en eux des comportements auxquels je pouvaism'identifier et qui m'encourageaient à oser être singulière.. »

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