Henri BERGSON, l’Energie spirituel
Publié le 21/11/2025
Extrait du document
«
Si nous considérons (…) la vie à son entrée dans le monde, nous la voyons
apporter avec elle quelque chose qui tranche sur la matière brute.
Le monde,
laissé à lui-même, obéit à des lois fatales.
Dans des conditions déterminées, la
matière se comporte de façon déterminée, rien de ce qu'elle fait n'est
imprévisible : si notre science était complète et notre puissance de calculer
infinie, nous saurions par avance tout ce qui se passera dans l'univers matériel
inorganisé, dans sa masse et dans ses éléments, comme nous prévoyons une
éclipse de soleil ou de lune.
Bref, la matière est inertie, géométrie, nécessité.
Mais avec la vie apparaît le mouvement imprévisible et libre.
L'être vivant
choisit ou tend à choisir.
Son rôle est de créer.
Dans un monde où tout le
reste est déterminé, une zone d'indétermination l'environne.
Comme, pour
créer l'avenir, il faut en préparer quelque chose dans le présent, comme la
préparation de ce qui sera ne peut se faire que par l'utilisation de ce qui a été, la
vie s'emploie dès le début à conserver le passé et à anticiper sur l'avenir dans
une durée où passé, présent et avenir empiètent l'un sur l'autre et forment une
continuité indivisée : cette mémoire et cette anticipation sont (…) la conscience
même.
Et c'est pourquoi, en droit sinon en fait, la conscience est coextensive à
la vie.
Henri BERGSON, l’Energie spirituel
Thème :
La distinction entre la matière déterminée et la vie libre et consciente.
Problème :
Comment la vie, apparue dans un monde matériel régi par des lois nécessaires, peut-elle
introduire la liberté, la création et la conscience ?
Thèse :
Bergson affirme que la vie se distingue de la matière par son caractère imprévisible, libre et
créateur.
La conscience, qui conserve le passé et anticipe l’avenir, est inséparable de la vie :
elle en est l’expression spirituelle.
Antithèse :
Le déterminisme matériel soutient que tout dans l’univers, y compris la vie, obéit à des lois
nécessaires et prévisibles, sans place pour la liberté ni la création.
Intention de l’auteur :
Montrer que la vie et la conscience ne peuvent être expliquées par les seules lois de la
matière, et défendre une conception spirituelle, libre et créatrice du vivant.
Enjeu :
Affirmer la valeur de la liberté et de la conscience dans un monde dominé par le déterminisme
scientifique ; réhabiliter la dimension spirituelle et créatrice de l’être vivant.
Structure logique du texte :
1.
La matière est déterminée, inerte et soumise à la nécessité.
2.
Avec la vie surgit le mouvement libre, créateur et imprévisible.
3.
La conscience, coextensive à la vie, unit passé, présent et avenir dans une durée
vivante et continue.
Dans cet extrait de l’Énergie spirituelle, Bergson aborde le thème de la liberté et du
déterminisme.
Si le monde est fait de matière brute réglé par les lois de la nécessité, avec le
vivant, est introduit une zone d’indétermination rendant possible liberté et choix pour tout être
vivant.
Tout l’enjeu du texte de Bergson sera alors de distinguer nettement la vie d’une part et
la matière brute d’autre part dans un seul et même monde en retranchant la vie dans une
sphère psychologique et dynamique, et en maintenant la matière brute dans une inertie et
nécessité radicales.
Dans cette optique, tout ce qui arrivera à la matière sera nécessairement et
intégralement calculable d’avance et en ce sens parfaitement prévisible.
Alors que
l’intégration de la vie au sens du vécu psychologique permettra à Bergson de rendre possible
une liberté de création imprévisible de nouveauté, potentiellement présente en chaque être
vivant et en particulier en l’homme.
C’est que le vital, contrairement à l’inertie de la matière
brute, n’est pas extensif mais participe de la durée, et tant que la vie est coextensive à la
conscience, celle-ci est capable de mémoire et d’anticipation dont elle peut former une
continuité afin de se lancer dans m’avenir en créant du nouveau de manière imprévisible, car
anticiper n’est pas déterminer.
Si le rôle du vivant se distingue par sa capacité de créer, c’est
précisément parce que celui-ci est capable de s’extraire de l’inertie de la matière afin de se
hisser dans une zone d’indétermination.
il semblerait que l’intérêt de cette distinction est
qu’elle n’implique pas une division du monde, mais montre l’effort de création introduit dans
la
monde
par
la
vie.
Pour répondre à cet enjeu et mettre en perspective son intérêt, nous avons repéré deux
moments dans l’argumentation de Bergson.
Dans un premier temps, Bergson affirme que
l’arrivée de
la vie apporte un supplément dans le monde.
Ainsi Bergson caractérise
précisément la sphère déterministe et fatale des lois qui règlent la conduite de la matière brute
ainsi que la grille d'intelligibilité convenant à un tel monde afin de pouvoir la distinguer
nettement dans un deuxième temps à ce qu’apporte la vie dans un tel monde, en maintenant la
distinction et attribuant la vie au vécu psychologique de chaque être vivant en ce que ces êtres
sont potentiellement capables de création en vertu du pouvoir de mémoire et d’anticipation.
I) Vie et matière.
a.
Le monde est matière et vie : « Si nous considérons [...] la vie à son entrée dans le monde,
nous la voyons apporter quelque chose qui tranche sur la matière brute ».
L’entrée dans le
monde de la vie ne se fait pas dans la matière.
Il y a une nuance entre monde et matière
amorcée par la manifestation de la vie.
Cela veut dire que le monde n’est pas que matière
brute et que c’est par la notion de la vie que Bergson dégagera ce qu’il y a en plus de la
matière dans le monde, pour le moment non précisé (« quelque chose »).
b.
Qu’est-ce que le monde sans vie? « Le monde laissé à lui-même, obéit à des lois fatales ».
Pour commencer à comprendre ce que la vie apporte dans le monde lorsqu’elle se manifeste,
il faut commencer par comprendre ce qu’est le monde avant cette « entrée » de la vie afin
d’être en mesure de saisir en quoi ce qu’elle apporte « tranche sur la matière brute ».
Le
monde sans vie est un monde soumis à des « lois » dites fatales, c’est-à-dire des lois qui
déroulent des événements fixés d’avance.
Tout ce qui arrivera dans ce monde sera
nécessairement fixé par avance par des lois immuables, la matière se comportera donc de
manière déterminée : « Dans des conditions déterminées, la matière se comporte de façon
déterminée, rien ce qu’elle fait n’est imprévisible ».
Affirmer que le monde laissé à lui-même
est configuré par les lois fatales permet ainsi à Bergson de dégager la structure d’un tel
monde.
En ce que le monde laissé à lui-même est fixé par avance, tout ce qui tombe sous ses
lois qualifiées de fatales, toute la matière, sera configuré par cette fatalité.
De ce fait l’action
de la matière n’est en aucune manière imprévisible.
Il suffirait de remontrer à la loi qui la
détermine pour déplier son comportement et prévoir tout ce qui arrivera à la matière.
D’ailleurs, sans doute que nous n’aurions pas besoin de voir le déroulement du comportement
de la matière pour estimer ce qu’elle peut puisque les lois qui la conditionnent contiendraient
tout
ce
qu’elle
peut
et
tout
ce
qu’elle
pourra.
c.
Précisément, d’après Bergson, il est tout à fait possible de prévoir tout ce qui arrivera dans
un monde configuré par la fatalité : « Si notre science était complète et notre puissance de
calculer infinie, nous saurions par avance tout ce qui se passera dans l’univers matériel
inorganisé, dans sa masse et dans ses éléments, comme nous prévoyons une éclipse de soleil
ou de lune ».
Autrement dit, ça n’est pas que ce qui n’est pas arrivé n’arrive pas encore qu’il
peut arriver autrement qu’il doit arriver.
Même si la science et les instruments de mesure reste
encore à perfectionner pour dégager tout ce qui arrivera dans la dimension strictement
matérielle du monde, cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible de la faire.
D’ailleurs
Bergson évoque un « univers matériel inorganisé », c’est-à-dire en cours d’organisation et en
train de s’organiser puisqu’il ne contient pas moins en lui les moyens immuables de son
organisation parfaitement déterminés.
Bergson ne laisse échapper aucune parcelle cet univers
matériel à la fatalité de ses lois et à la possible capacité de rendre compte scientifiquement ou
non de ce qui lui arrive et ce qui doit lui arriver : « dans sa masse et ses éléments » cerne
effectivement la totalité de cette univers matériel dans ce qu’il a d’infiniment grand ou à notre
échelle (« masse ») et dans ce qu’il a d’infiniment petit (« éléments »).
La matière, dans toute
son extension, est conduite donc par des lois qui en fixent le déroulement et le comportement,
déroulement et comportement possiblement connaissables intégralement par les sciences.
L’exemple de l’éclipse solaire ou lunaire est à ce titre très significatif.
L’éclipse solaire par
exemple se produit lorsque la....
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