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Héraclite

Publié le 22/02/2012

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Aristocrate d'Ephèse, Héraclite refusait de participer à la vie politique de la cité ionienne et méprisait ses concitoyens pour leur ignorance, leur préférant la compagnie des enfants. En retour, ses contemporains le surnommèrent " l'Obscur ", sans doute en raison de sa pensée énigmatique. Pourtant, nombreux sont ceux qui l'admiraient, dont le roi Darius de Perse qui l'invita à sa cour (un honneur qu'Héraclite déclina) ; on fonda après sa mort une école destinée à perpétuer sa philosophie. Le penseur misanthrope se targuait de n'avoir jamais été l'élève de quiconque, et d'avoir tout appris en se questionnant lui-même. Comme Parménide, il prétendait que les choses n'étaient pas telles que nous les percevons ; mais à l'inverse de ce dernier, il concevait l'univers comme un lieu de changements et de conflits. Dans son monde, l'interaction, la tension et l'opposition étaient des forces créatrices. La seule caractéristique constante des choses était leur éternel Devenir. Sa doctrine se résume souvent à son passage le plus célèbre : " On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. " Héraclite identifiait le feu comme étant l'élément et le principe fondamental de la nature et de la création. Il l'appelait parfois le logos, sorte d'âme universelle qui pénétrait et gouvernait toute vie. L'âme humaine ­ le feu de l'homme ­ devait être protégée de son opposé, l'humidité, qui étouffait les flammes durant le sommeil, et pouvait causer la folie. Tragique ironie du sort, il souffrait d'hydropisie, maladie dans laquelle l'eau s'accumule dans le corps. Il mourut dans une tentative désespérée d'extraire l'eau de son corps grâce à la chaleur des excréments, en s'inhumant dans un fumier.

« L'Ephésien, dans son langage oraculaire, parle volontiers par images.

Or une image qui revient au moins à troisreprises dans les Fragments est l'image du fleuve.

Il est bien évident qu'au premier abord, l'image du fleuve évoquel'idée d'un écoulement sans terme.

Mais Héraclite, nommant le fleuve, oppose bien plutôt à l'écoulement des eaux lapermanence du fleuve.

" Ceux qui entrent dans les mêmes fleuves, ce sont des eaux toujours autres et autres quicoulent sur eux.

" Ainsi, par le perpétuel changement des eaux, c'est la perpétuité du fleuve qui est assurée en unenaissance qui est en même temps une fuite, en une approche par laquelle le fleuve s'éloigne tout aussi bien.

Nousapprenons de même que " le soleil est nouveau chaque jour ", mais que cependant " il ne franchira pas les mesuresqui lui sont propres, autrement les Erinnyes, gardiennes de la justice, sauraient bien le trouver ".

De même encore "le feu devient mer, et, de la mer, une moitié devient terre, une moitié nuée ardente ".

On pourrait croire ici, qu'à lalimite, il ne resterait plus rien de la mer ? Non, car la mer ne cesse de relever elle-même " du même logos (logos)dont elle avait pris mesure avant que naisse la terre ".

Ainsi, ce qu'enseigne Héraclite, ce n'est pas l'écoulementuniversel, mais bien la permanence du fleuve, la permanence du soleil, la permanence de la mer à travers lamouvance des vagues et des flammes.

Il en résulte que " l'éclosion de chaque jour est une et la même ".

Unus diespar omni est, dira très bien Sénèque. Mais la doctrine héraclitéenne de la permanence, opposée à une pseudo-doctrine du flux héraclitéen, n'est pas làpour nous ménager, au sein du changement, un îlot de calme sur lequel nous pourrions confortablement trouverrefuge.

Car, pour Héraclite, s'il y a permanence, ce n'est jamais qu'au plein feu d'un combat où ne cessent des'affronter les éléments contraires.

La raison profonde du changement au milieu duquel seulement peut s'établir unepermanence est que, pour l'Ephésien, rien ne peut déployer son être qu'habité au plus intime par la contre-possibilitéadverse.

Ainsi le jour n'est jour que par la nuit en lui sous-entendue, et la nuit ne répand ses ténèbres qu'enabritant en elle la menace croissante du jour en voie d'éclore.

Sous le regard d'aigle du philosophe, rien ne se réduitjamais à la simplification triviale de l'unilatéralité : " Dieu est jour et nuit, hiver et été, guerre et paix, abondance etdisette ; il devient autre comme le feu mêlé d'aromates, il est nommé selon que chacun y trouve plaisir.

" Mais siDieu est tel, c'est qu'en Dieu même est, dès l'origine, allumé le combat qui n'a pas de cesse : " Le Combat est detoutes choses père, de toutes choses roi ; c'est lui qui fait apparaître les uns dieux, les autres hommes, et quirévèle les uns esclaves, les autres libres.

" Il est bien évident qu'un tel combat n'est pas une mêlée batailleuse oùles adversaires échangeraient coup pour coup.

Il est l'unité des contraires maintenus en sens inverse l'un de l'autreau plus extrême de leur tension antagoniste.

Une telle unité qui ne cesse d'écarter de son essence l'apaisement dela discorde dans la fadeur du compromis, Héraclite la voit à l'oeuvre dans l'ajointement contrasté par lequelseulement l'arc projette la flèche et la lyre devient chant.

Platon trouvera impensable cette révélation héraclitéennede " l'harmonie ".

Car, dit Platon dans le Banquet, l'harmonie ne peut naître que lorsque les contraires ont déposéleur discorde.

L'harmonie suppose en effet consonance, et la consonance exclut l'âpreté irréconciliable del'antagonisme.

Mais le mot harmonie tel que le profère Héraclite est libre encore de toute concession équivoquecomme de tout fléchissement doucereux.

Ajointement plutôt qu'harmonie, il dit la drue éclosion (jusis) de ce qui estvaillamment différencié, contre ce scrupule du ton et du bon ton qui, s'emparant tôt de la pensée, la fera déclineren philosophie, c'est-à-dire réduira la différence héraclitéenne aux proportions plus convenables du mixteplatonicien. Nous trouvons dans Héraclite une critique péremptoire des sens : " Mauvais témoins sont pour les hommes les yeuxet les oreilles lorsque les âmes sont barbares.

" Les disciples d'Héraclite inaugureront ici le contresens que recueillerapieusement l'empirisme futur.

Imbus de leur interprétation mobiliste de la pensée du maître, ils enseignent que lessens sont de mauvais témoins parce qu'ils nous font voir constance et fixité là où il n'y a au contraire quemétamorphose continuelle.

Nous le savons par le Théétète de Platon, où Socrate nous enseigne à prendre leurlangage " en délit de stabilité ".

Les sens, dira de même Nietzsche, pervertis par un long atavisme rationaliste, sontdevenus incapables de surprendre " ce qu'il y a de plus bref et de plus passager, l'éclair d'or qui s'allume au ventredu serpent Vita ".

Mais ici Héraclite est exactement aux antipodes des héraclitéens du Théétète et de ce modernehéraclitéen que veut être Nietzsche.

Si, pour lui, les yeux et surtout les oreilles sont de mauvais témoins, c'est bienplutôt parce que, dans la barbarie de l'âme, ils s'attachent séparément aux aspects contraires du réel, sans pouvoirdistinguer l'unité au sein de la contrariété comme le foyer même du Combat originel.

Et ici tous les philosophes auxâmes barbares sont victimes de leurs sens à courte vue.

Même Homère, le plus sage des Grecs, souhaitait que laDiscorde disparaisse d'entre les dieux et les hommes.

C'est qu'il ne la voyait pas au principe de tout.

Ne sachant pasdès lors que l'autre nom d'Eris est Dich, c'est-à-dire que l'ajointement invisible qu'est le Combat surpasse toutesplendeur visible, ou encore que c'est la différence qui compose, il est du même côté qu'Hésiode ignorant que Jouret Nuit sont un.

Ainsi " celui-là même qui est le plus en vue ne fait que connaître et prendre en garde ce qui sauteaux yeux ", sans pouvoir s'élever au zunon, c'est-à-dire, selon un jeu de mots absolument intraduisible, non plus àce que connaissent les sens de l'âme barbare, mais à ce qui ne peut être connu que zun now et qui est le Combat,le polemos zunos du Fragment 114. A quelle distance demeure ce zunon héraclitéen du coinon de Platon et d'Aristote qui pourtant en dérive, bien qued'une manière déficiente et dans la modalité du déclin ? A la distance exacte où se tient l'harmonie héraclitéenne dela consonance platonicienne qui prétend l'éliminer comme discordante et irrecevable.

Le zunon n'a pas, comme l'Idéede Platon ou d'Aristote, l'universalité indifférente d'un genre qui planerait au-dessus des choses singulières sansjamais pouvoir se saisir d'aucune d'entre elles.

Le zunon est ce qui rassemble, rallie et recueille " comme une citéprend force de sa loi, mais avec plus de force encore ".

Les membres de la cité doivent " combattre pour leur loicomme pour leurs murailles ".

C'est parce que cette loi est gardienne de l'unité coextensive aux tensions adversesdes différences et sans lesquelles la cité retombe à la torpeur du bétail.

Mais les lois de la cité se nourrissent elles-mêmes de l'Unique, la Divine, celle qui plutôt que nomos doit être nommée enfin logos (logos) ou encore fusis et quine fait qu'un à son tour avec l'unité jaillie de l'opposition des différences, celle qui ne veut pas et veut pourtant être. »

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