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HUME: La doctrine d'une divinité suprême

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

hume
« La doctrine d'une divinité suprême, auteur de la nature, est très ancienne et elle s'est répandue à travers de vastes nations très peuplées, où tous les rangs et toutes les conditions l'ont embrassée. Mais qui penserait qu'elle a dû son succès à la force déterminante des invincibles raisons, sur lesquelles elle est indubitablement fondée, se montrerait peu instruit de l'ignorance et de la stupidité du peuple et de ses préjugés incurables en faveur de ses superstitions particulières. Même aujourd'hui et en Europe, demandez à un homme du peuple pourquoi il croit en un créateur du monde tout puissant ; il ne mentionnera jamais la béatitude des causes finales qu'il ignore totalement ; il ne tendra pas sa main en vous invitant à contempler la souplesse et la variété des jointures de ses doigts, le fait qu'ils se plient d'une seule façon, l'équilibre qu'ils reçoivent du pouce, la douceur et le caractère charnu de l'intérieur de la main, ainsi que toutes les autres circonstances qui rendent ce membre apte à l'usage auquel il est destiné. Il est accoutumé depuis longtemps à toutes ces choses et il les regarde avec inattention et indifférence. Mais il vous parlera de la mort soudaine et inattendue d'un tel, de la chute et des meurtrissures d'un autre, et de la sécheresse excessive d'une saison et de la rigueur et des pluies d'une autre. Il met tout cela au compte d'une opération immédiate de la providence ; et de tels événements qui, pour ceux qui raisonnent correctement, constituent les principaux obstacles à la reconnaissance d'une intelligence suprême, sont pour lui les seuls arguments en faveur. » Hume

Qu'est-ce qui motive la croyance religieuse? C'est à cette question que répond Hume dans l'extrait proposé. S'il existe de solides raisons permettant d'affirmer l'existence d'un Créateur du monde, la religion populaire n'est quant à elle qu'une superstition reposant sur l'ignorance. Ainsi Hume, fidèle à l'esprit du XVIIIe siècle, critique la religion établie au nom d'un déisme philosophique. Nous nous attacherons à dégager avec précision les arguments rationnels sur lesquels se fonde la croyance en Dieu ainsi que les préjugés qui alimentent la religion vulgaire. Nous nous interrogerons ensuite sur la légitimité d'une telle partition du domaine religieux.

hume

« Il faut aussi distinguer le contenu d'une croyance et ses raisons.

On peut croire à une idée vraie pour des raisonsfausses.

Nous trouvons là un écho à la distinction platonicienne entre l'opinion et le savoir.

L'opinion peut être droitemais elle ne l'est qu'accidentellement : elle ne peut rendre raison d'elle-même.

Le savoir, quant à lui, peut expliciterles raisons qui le fondent.

Il y a donc lieu d'opposer les « invincibles raisons » aux « préjugés incurables ».

Si, dansles deux cas, une force détermine l'esprit à penser comme il le fait, sa nature varie : aux arguments (c'est le sensdu mot « raison » employé au pluriel) s'oppose le « pré-jugé » c'est-à-dire l'idée reçue avant tout examen rationnel. [2.

Religion établie et religion naturelle. ] Cette dissociation entre religion populaire et religion du philosophe s'oppose fortement à la doctrine chrétienne.Selon cette dernière, les « sages de ce monde » ne jouissent d'aucun privilège en matière de foi.

Au contraire, ilspeuvent tout au plus redécouvrir par le raisonnement ce qui est accessible aux simples par la voie du cœur.

Niercette identité équivaut à détruire la communauté des croyants : ce n'est que par hasard que le peuple et lephilosophe peuvent s'entendre sur des formules auxquelles ils donnent, en vérité, des sens différents.

Si Hume nieainsi la possibilité de l'Église, c'est d'abord parce qu'il détruit l'idée même de foi.

En effet, à côté d'une croyancefondée sur la raison, il ne reste que des « superstitions » (le mot désigne au xviiie siècle tout ce qu'il y a d'irrationneldans la religion), ou encore des « préjugés » considérés comme des maladies de l'esprit (cf.

« incurables », l.

8).

Or,la foi selon le christianisme ne s'identifie ni à la raison ni au préjugé.

S'il s'oppose à la religion établie, Hume est enrevanche proche de l'idée très répandue au xviiie siècle d'une « religion naturelle » : Dieu y est accessible par lesseules lumières naturelles (raison, sentiment intérieur) et non par la révélation surnaturelle de la foi.

On pensera àtitre d'exemple au déisme voltairien.

Le déisme expurge la religion révélée et instituée de toute « superstition » pourn'en retenir guère plus que l'idée d'un Dieu créateur.

Or, c'est bien aussi sur cet attribut divin que Hume metl'accent (l.1 et 10).

C'est aussi à ce progrès des « lumières » qu'il est fait allusion au moment où Hume déplore lapermanence de l'obscurantisme au siècle de la raison : « Même aujourd'hui et en Europe...

». Hume, dès le début du texte, fait éclater la notion de religion.

Elle peut être rationnellement fondée : elle relèvealors de la philosophie.

Elle peut n'être qu'une superstition populaire.

On la considérera alors comme un phénomènehistorique (cf.

I.

1 et 4), et plus généralement comme une donnée explicable par des causes empiriques(psychologiques, sociologiques...). [II.

Une religion rationnellement fondée sur la beauté du monde.

(I.

9 à 18)] [1.

« Les causes finales.

» ] Le sage croit en Dieu parce que le monde semble obéir à un dessein.

La « cause finale » désigne en effet le but, l'intention dans laquelle existe une chose; elle s'oppose à la cause qui produit la chose comme son effet.

L'argument du sage est alors le suivant : dans la nature et surtout dans le vivant, tout paraît disposé en vue d'une fin.

Lesdifférentes parties du doigt sont organisées de telle sorte que le doigt peut remplir sa fonction.

La parfaiteadéquation entre les moyens et la fin confère au vivant sa beauté : tout dans le vivant remplit une fonction et la remplit au mieux.

La beauté de la nature réside donc dans son harmonie : il y a un accord entre les parties et letout.

Une telle finalité ne peut être là par hasard, c'est-à-dire par le jeu aveugle de causes mécaniques.

Enraisonnant par analogie avec l'artisan (voir le Dieu horloger de Voltaire), on conclura que la nature est produite parune intelligence.

Celle-ci sera à la mesure de sa création : incomparablement plus grande que l'homme, « toute-puissante » (l.11 ).

Telles sont les « invincibles raisons » qui conduisent à l'idée d'un Créateur.

Peut-êtres'étonnera-t-on de trouver une preuve de l'existence de Dieu sous la plume d'un auteur connu principalement pourson scepticisme.

Du reste, il sera question un peu plus loin d'« obstacles à la reconnaissance d'une intelligencesuprême ».

C'est dire que ces arguments « invincibles » ne vont peut-être pas sans difficultés (Hume d'ailleurscritiquera impitoyablement cette preuve dans les Dialogues sur la religion naturelle).

Il semble donc que c'est principalement par opposition à la superstition que Hume défend cette preuve rationnelle de l'existence de Dieu :celle-ci est infiniment plus probante que les élucubrations du peuple, même si, en l'examinant de près, elle peutprésenter à son tour quelques difficultés.

Un élément permettant d'apprécier la position de Hume par rapport àl'argument du dessein est constitué par le sens problématique du mot « indubitablement » de la ligne 6 : la phrasepeut signifier que la religion est fondée sur des raisons indubitables (ces raisons ne laissent subsister aucun doute)mais elle peut vouloir dire qu'indubitablement, c'est-à-dire incontestablement, il existe des raisons sur lesquelles lareligion est fondée, sans que ces raisons soient elles-mêmes indubitables. [2.

Un peuple aveuglé par la coutume. ] Les causes finales sont sans influence sur le peuple.

Hume en donne la raison en trois mots : « accoutumé », «inattention », « indifférence ».

Seul l'extraordinaire frappe l'esprit (cf.

l.16 à 20) qui, en revanche, ne voit pas ce quiest habituel.

Par cette remarque psychologique pertinente.

Hume insiste sur le rôle de la coutume dans la formation du préjugé.

On rapprochera cela de la célèbre critique humienne de la causalité : si nous croyons qu'une cause Aproduit un effet B, ce n'est pas parce que nous connaissons la cause qui fait que A produit B, mais parce que noussommes accoutumés à voir l'événement B suivre dans le temps l'événement A.

Nos esprits sont donc davantagefaçonnés par l'habitude que par la raison.

Pourquoi cependant le sage se libère-t-il de l'habitude et non le peuple? Hume tient pour un fait établi que l'argument du dessein est sans influence sur le peuple.

La chose peut surprendrecar, même si cet argument peut donner lieu à de hautes spéculations philosophiques, pris en lui-même, il ne faitappel qu'au bon sens.

On surmontera la difficulté en remarquant que le peuple se caractérise par un rapport à lanature fondé sur l'utilité et le travail.

Pour le paysan, la nature est la source dont il tire sa subsistance ; c'est. »

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