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« La nature aime à se cacher » (123 Diels-Kranz) ?

Publié le 27/02/2008

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Ces raisons se nomment le souci, les préoccupations environnantes et collectives qu'Heidegger dans Sein und Zeit, nomme « uneigentlich », « unheimlich » impropre, étrange ; c'est à dire n'étant pas dans le rayonnement de l'Etre. Autrement dit, ils sont enfermés dans la prison de la particularité et de la subjectivité qui font obstacle à la vérité ; celle-ci ne pouvant être découverte que par delà le bien et le mal, plus sérieusement par delà les mondes particuliers des endormis, c'est-à-dire dans l'univers du kosmoV, d'un monde indépendant de nous. Etant donné la situation de la plupart des hommes, la nature si elle ne trouve pas d'adversaires à sa hauteur risque de couler des jours heureux en ermite dans sa cachette.             Les polloi peuvent-ils compter sur leur élite intellectuelle pour accomplir cette tâche ? L'idée qui de prime abord paraît judicieuse devient vite risible quand on regarde de plus près les critères d'accès à la jusiV : l'érudition n'en fait en aucun cas partie.(« polumaqih noon ou didaskei Hsiodon gar av edidaxe kai Puqagorhn, autis te Cenojanea te kai Ekataion*16 » (40) D'ailleurs, Héraclite éprouve du mépris pour la majeure partie de ses aînés. A ce propos, il suffit de considérer les remarques acerbes qu'il fait sur Hérodote à propos des bons et des mauvais jours et de la description d'Homère quand il est trompé par des enfants. En raison de son désaccord profond avec l'idée d'agwn, ce dernier devrait être renvoyé des concours(42) et surtout, il nous paraît évident qu'il ne pourra jamais atteindre la nature avec une telle conception. Sans des notions comme conflit, discorde, comment y accéder ? Ainsi que ce soit les hommes en général ou les savants ; ils semblent incompétents dans cette quête.

« elle désirerait que l'homme ne voit que le fruit et non le long processus qui part de l'éclosion du bourgeon vers lafloraison qui elle-même laissera place au fruit ! En conclusion, quelques éléments dans cette analyse plutôt philologique que philosophique semblent nousfaire-part d'ores et déjà que ce jeu de cache-cache avec la nature risque d'être intéressant étant donnél'importance sous-jacente de ce qu'elle cache.

Ainsi, élaborons une stratégie et demandons-nous : pourquoi etcomment se cache-t-elle ? D'ailleurs se cache-t-elle vraiment ? De prime abord, il semble impossible à la nature de se dérober car en effet elle ne peut se cacher quederrière une chose qui est elle-même.

Autrement dit, elle est obligée de se montrer mais le fait d'être vue n'impliquepas le fait d'être découverte, d'être dévoilée.

En effet, la meilleure façon de disparaître aux yeux de tous, n'est cepas celle de se retrouver au milieu de la foule, où tout le monde se voit mais où en fait personne ne remarquepersonne.

Même si cela peut paraître paradoxal, c'est à peu près la situation de la jusiV face aux hommes : elle est l'évidence qui n'est pas évidence.

Mais que laisse donc entrevoir cette nature à découvert ? Une chose est sûre :ce qu'elle nous cède est toujours partiel.

Si la jusiV était une femme, d'elle on pourrait ou bien voir son profil droit,cette répulsion apparente des contraires ou bien son profil gauche, une apparence d'unité, d'unicité etd'homogénéité.

Ce OU est donc exclusif et donc admirer cette femme de face semble être une chimère du moinspour les polloi, les plus nombreux. Analysons le premier côté de cette disjonction exclusive, celle où les contraires s'entrechoquent sans lienapparent.

Notons que dans les fragments conservés, le mot contraire ( enantioV)est absent alors qu'il est déjà présent chez Homère et Sophocle.

D'ailleurs qu'y a-t-il à comprendre derrière ce terme ? N'est-il pas nécessaire dedistinguer contraire, de relatif ou bien même de contradictoire ? (pour reprendre la terminologie aristotélicienne desCatégories ).

Ainsi, contraire se dit de deux concepts qui font partie d'un même genre, et qui diffèrent le plus d'entre eux : « aqanatoi qnhtoi *8» (62) par exemple.

Relatif s'applique dès lors qu'il y a une relation entre les deux termes : « paidas tokewnwn *9» peut en être une illustration.

En ce qui concerne le sens de contradictoire, il va falloir séparer les vrais contradictoires des faux.

D'ailleurs chez Héraclite, il n'y a pas de véritables contradictoiresautrement dit, ils ne le sont qu'en apparence mais cela ne peut être reconnu que par le philosophe.

Ainsi l'homme neparvient à distinguer que des éléments qui s'opposent sans pour autant y percevoir un semblant d'unité.

C'est enoutre le cas d'Hésiode qui voyait dans le jour et la nuit des contraires alors qu'en fait ils sont un.

Nous ne prenonspas le cas du poète par hasard car il était considéré par ses contemporains comme l'un des plus grands savants.

( « didaskaloV de pleistwn HsiodoV toutov epistantai pleista eidenai, ostis hmerhn kai eujronhn ouk eginwsken esti gar en. *10 »(57)) Qu'en est-il de l'autre terme de la disjonction, celui d'une apparente unicité ? Celui que l'on rencontre dans l'immédiateté de la rencontre de l'étant, celui qui nous fait à la foisoublier qu'il est étant et non être, qu'il est le résultat d'un long cheminement constituant et aussi qu'il est sujet audevenir.

Ainsi imaginons-nous devant un fleuve, la Seine.

Qu'on y soit à l'instant t ou à l'instant t², on est toujoursdevant le même cours d'eau.

Du moins, c'est l'impression qu'on en a.

Cependant, si on y prête un peu plusd'attention, on remarquera que l'eau de l'instant t est différente de l'eau de l'instant t².

(le devenir) De plus quandon dit que le fleuve est, on fait abstraction du fait que le fleuve est le résultat de tout un processus d'associationde contraires exécutée par la loi dite de l'unité des contraires.

Certains jalons ont été posés et nous incitent à affirmer que les contraires ne sont pas que contraires etque l'unité n'est pas simplement une.

En effet, tout est un (« en panta einai »(50)).

Toutes les choses en apparence contradictoires et contraires sont en fait sous le sceau de l'unité à une restriction près : le discours vraiet le discours faux car ces deux notions ne peuvent en aucun cas être une.

Sinon, on pourrait dire qu'il est le casque tout (est) un et qu'il n'est pas le cas que tout (est) un.

Donc « le discours vrai, le logoV, ne fait pas partie dutout : il est hors du tout, justement pour pouvoir dire, dévoiler le tout.* 11 » Cette loi de l'unité des contraires comme l'a expliqué G.

S.

Kirk dans Héraclitus, the cosmic fragments se place au cœur d'une série de notions fondamentales qui s'explicitent mutuellement : l'harmonie (armonih), le combat (polemoV), la justice (dikh), ladiscorde (eriV) et le feu (pur).

Considérons les rétroactivement : le feu est du point de vue physique substanceprimordial, un élément qui serait à l'origine de la composition et de la décomposition de chaque chose, de chaqueêtre (comme l'était l'eau pour Thalès de Milet), conception dont il devait reconnaître la paternité d'Anaximandre.

Eneffet, il dit « Conversions du feu : d'abord mer, la moitié terre, et la moitié souffle brûlant.

< Terre> se dissout enmer, et est mesurée selon le même rapport qu'avant de devenir terre* 12.

»(31) D'un point de vue micro logique, si j'ose dire, il a son rôle à jouer au niveau de l'âme humaine car elle est comme il le sous-entend au fragment 36essentiellement feu, prester (feu mêlé d'air et de vent).

D'un point de vue macro logique, il est le responsable del'embrasement final ayant pour issue une renaissance, une régénération.

En effet en embrasant le tout (la diversité),il les fait retourner à leur unité première, le principe.

Mais s'il est élément physique essentiel, il est surtout une« substantialisation * 13 » du logoV, l' « image mobile (de ce dernier) ».

Mais quels sont les rapports entre les concepts évoqués plus-haut ? Cette idée d'unité des contraires est centrale, tellement au centre qu'elle semanifeste de façon « grandiose » pour reprendre le mot de Nietzsche dans le binaire « polemoV-dikh ».

« Le conflit(serait comme l') action ininterrompue d'une dikh unitaire* 14 ».

Le philosophe allemand y voit le reflet de la mentalité du peuple grec où la joute que ce soit sportive ou oratoire occupait un rôle prépondérant.

Ce n'est paspour rien que l'éphésien souligne le caractère absurde du propos des poètes qui souhaiteraient que l' eriVdisparaisse.(107) Finalement, il apparaît que si certes, il y a contraire, il est tout à fait possible si on y regarde deplus près de mettre en valeur l'unité régnante sur ces oppositions apparentes.

D'ailleurs, on peut presque sedemander si la nature aime vraiment à se cacher et si ce ne sont pas les hommes (polloi) qui sont ou se rendentaveugles lorsqu'il s'agit de rechercher la jusiV .

A moins qu'il ne soit mauvais joueur au point de ne pas vouloir miser car le risque de perdre est toujours présent...

En effet, ne peut-on pas voir une pointe d'ironie chez Héraclite quand il affirme que la jusiV aime se cacher ? Il peut paraître assez surprenant de sa part de le voir poser la jusiV comme aimant, comme jouant à. »

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