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La Pérouse

Publié le 22/02/2012

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Y eut-il jamais homme dont les dehors éveillent moins l'idée du sublime que La Pérouse ? Ses portraits, une ou deux miniatures surtout dont le réalisme ne saurait mentir, montrent un gros garçon débordant de bonne humeur avec un soupçon de malice, mais au demeurant un peu rustique. Rustique, ce provincial d'un Midi à demi-auvergnat l'était en effet ; il l'avouait avec la meilleure grâce du monde : "J'aurais été au supplice, écrivait-il un jour, si, ayant épousé une demoiselle de Paris, notre bonhomie et nos manières albigeoises lui avaient paru ridicules." Sa correspondance est d'un homme simple et limpide, étranger à l'intrigue et excellent camarade ; d'un officier plus soucieux de bien servir que de briguer les postes où l'on sert avec éclat, heureux de son sort, prêt à accepter tous les commandements qu'on voudra bien lui confier, fût-ce celui des gabarres affectées au transport des bois de la Marine, parce qu'ils satisfont sa passion pour la mer. Nous ne savons d'où cette passion lui est venue. Il était de souche terrienne, étant né le 23 août 1741 au château du Gô, près d'Albi, de Victor-Joseph de Galaup, dont les ancêtres s'étaient distingués dans la gestion des intérêts de la ville, et de Marguerite de Rességuier, d'une vieille famille du Rouergue. Faut-il croire à l'ascendant, resté ignoré, d'un professeur au collège local des Jésuites ? Deux condisciples de La Pérouse, Rochegude et Mengaud de la Hage, devaient entrer comme lui dans la Marine. Ou bien les souvenirs de campagnes contés au Gô par le vieil amiral de La Jonquière, cousin des Galaup, ont-ils assez enflammé l'âme de l'enfant pour décider de sa vocation ? Toujours est-il que nous le trouvons le 19 décembre 1756 garde de la Marine à Brest et portant, d'une terre que son père lui a donnée, le nom de La Pérouse. La guerre de Sept Ans bat son plein : tristes débuts pour un jeune officier que de servir à bord de vaisseaux vaincus !

« de Vanikoro ? En vérité, rien ne semble avoir été négligé pour assurer à la campagne une admirable réussite.

Mais penchons-noussur les fameuses instructions du 26 juin 1785, annotées de la main même du roi.

Catalogue des dernièresincertitudes géographiques du XVIIIe siècle, elles invitent La Pérouse à parachever l'exploration des mers du Sud, del'île de Pâques à la Grande Baie australienne, à y relever toutes les terres échappées à la vigilance d'un Cook ; ellesle promènent, pour en faire l'hydrographie, sur les côtes américaines, de la Californie jusqu'à l'archipel desAléoutiennes, enfin dans le monde mystérieux de la Tartarie dont on ignore les contours les plus élémentaires.Devant l'énormité de ce programme, un doute irrévérencieux nous saisit : n'aurait-il pas mieux valu, dans l'intérêt dela science comme pour la gloire de l'expédition, assigner aux recherches de La Pérouse un champ moins vaste qu'ileût fouillé à loisir, ne laissant matière, où il aurait passé, à aucune découverte d'importance ? Dans les faits, le commandant de la Boussole, autorisé par ses instructions à modifier en cas de besoin le calendrierde son itinéraire, prend d'amples libertés.

Ayant quitté Brest le 1er août 1785 et doublé le cap Horn le 8 févriersuivant, il ne gouverne pas vers la Polynésie, mais d'emblée vers le Pacifique septentrional où l'attendent, de l'aveude Fleurieu, organisateur du voyage, les "seules parties vraiment neuves dont il ait à faire la reconnaissance" Lebruit courait à Versailles d'un armement anglais à destination de ces régions : à aucun prix La Pérouse ne veut yêtre devancé.

Ambition combien naturelle chez un homme dont le démon de l'aventure s'est emparé ! Il ne s'attardeque quelques heures aux Hawaï pour apporter une précision ou deux à leur relevé : elles sont le fief de Cook, qu'ilvénère comme "le Christophe Colomb de presque tous les archipels de la mer du Sud" et sur les brisées de qui, avecdélicatesse, il se refuse à courir.

Mais le voici le 23 juin dans les eaux américaines, en vue de la cime neigeuse dumont Saint-Elie, à l'extrémité septentrionale d'une côte que Cook, sans cesse en proie au gros temps, n'a visitéeque très imparfaitement.

Pendant deux mois il en fait l'hydrographie, non sans pester contre la faiblesse des délaisqui lui sont accordés, au milieu des grains, de courants violents qui le chassent au large, de brouillards si densesqu'ils obligent les frégates à sonner la cloche pour éviter l'abordage.

Croisière trop brève pour qu'il puisse discernerchaque accident du littoral, assez longue néanmoins pour qu'il devine, avec une étonnante prescience, qu'il n'estpas en présence du continent, mais d'un chapelet d'îles extérieures, de trois archipels exactement (Alexandre,Prince-de-Galles et Reine-Charlotte), entre lesquels s'ouvrent des détroits profonds parfois, à son estimation, deplusieurs dizaines de lieues.

Sans se douter de l'origine géologique de ce paysage, disséqué par l'érosion fluviale etglaciaire puis submergé par la mer, il en décrit déjà la physionomie avec une remarquable exactitude.

Seul unVancouver, moins avare que lui de son temps, le dépassera par la précision des découvertes. Un bref séjour dans le port espagnol de Monterey, suivi d'une nouvelle traversée du Pacifique et d'un hivernage àMacao, d'où part pour la France, en même temps que le naturaliste Dufresne, une première poignée de documents,puis à Manille où l'on se pourvoit de voiles d'agrès.

Le 25 mai 1787, La Pérouse embouque les détroits de Corée.

Ilest là au seuil de l'inconnu, la xénophobie japonaise ayant jusqu'à présent fermé aux Européens ces contrées surlesquelles les relations des Jésuites (qui, soit dit en passant, voyageaient par terre) et les propos vagues denavigateurs d'autrefois, qui n'ont fait que les effleurer, projettent seuls quelques lueurs.

Les géographes prononcentles noms de Jesso, d'Oku-Jesso, de Ségalien ; mais les uns voient dans ces terres des îles séparées, d'autres lesrelient entre elles ou même les soudent au continent comme une réplique méridionale du Kamtchatka ; certains,négateurs obstinés, vont jusqu'à leur refuser toute existence indépendante, affirmant qu'elles se confondent avecles Kouriles… Une campagne de trois mois, la plus fructueuse du voyage, permet à La Pérouse de débrouiller cetécheveau, à la faveur à la fois de ses découvertes et de ses conversations avec les indigènes : la mer du Japon etla Manche de Tartarie, Sakhaline, le nord d'Yezo et les Kouriles méridionales revêtent des formes appeléespratiquement à ne plus changer ; les cartes s'émaillent de noms français, qu'avec justice les atlas modernesconserveront : baies Ternay, Suffren et Castries sur les rivages du continent, détroit de La Pérouse, canal de laBoussole.

Comme on comprend que la colonie russe du Kamtchatka, où La Pérouse fait escale du 13 au 30septembre, l'ait acclamé et que cet homme, d'ordinaire si modeste à l'endroit de son Oeuvre, ait poussé dans sonjournal ce cri d'orgueil : "Je crois le moment arrivé où tous les voiles qui couvrent les navigations particulières vontêtre levés.

Bientôt la géographie ne sera plus une science problématique !" Lesseps part pour la France, chargéd'une brassée d'heureuses nouvelles… Avec le retour dans les mers du Sud voici, hélas ! les jours sombres.Depuis plus de deux ans qu'ils naviguent, les équipages de la Boussole et de l'Astrolabe ont été miraculeusementpréservés.

Vingt et un hommes ont, il est vrai, péri sur les brisants de la côte alaskienne au cours d'un sondage ;mais les maladies qui décimaient la expéditions de jadis n'ont fait aucune victime, tant La Pérouse a apporté de soinà tenir propres ses navires et ses matelots, à combattre les symptômes du scorbut par des distributions desprucebeer, de mélasse, de vivres frais.

Les indigènes, non plus, n'ont jamais inquiété notre explorateur : si, àl'encontre des philosophes "qui font leurs livres au coin du feu", il voit en général dans l'homme de la nature "uneffronté coquin", c'est du moins sans incidents qu'il a commercé avec les tribus indiennes, les Tartares mandchousou les Tongouses de Sakhaline.

Ses efforts pour démêler les ressemblances ou les dissemblances entre les typesphysiques, les langues et les modes de vie, pêche ou chasse, travail du fer ou du bois - essai bien timide encored'ethnologie comparée - n'ont provoqué aucune rixe avec les sujets de ses observations : La Pérouse estprofondément humain. Dans cette atmosphère d'absolue quiétude, le drame du 11 décembre 1787, l'assassinat par les insulaires des Samoadu capitaine de vaisseau de Langle, commandant de l'Astrolabe, l'ami le plus fidèle de La Pérouse, avec onze dessiens, prend des proportions de catastrophe.

Rien ne permettait de le prévoir : nos marins débarquaient paisiblementleurs barriques à l'aiguade ; cent pirogues s'affairaient autour des frégates, troquant des vivres contre la pacotille. »

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