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la philosophie dans le boudoir

Publié le 26/09/2013

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Marquis de Sade La Philosophie dans le boudoir Be Q Marquis de Sade La Philosophie dans le boudoir ou Les Instituteurs immoraux La Bibliothèque électronique du Québec Collection Libertinage Volume 6 : version 1.0 2 La Philosophie dans le boudoir ou Les Instituteurs immoraux DIALOGUES Destinés à l'éducation des jeunes Demoiselles. 3 Aux Libertins Voluptueux de tous les âges et de tous les sexes, c'est à vous seuls que j'offre cet ouvrage : nourrissez-vous de ses principes, ils favorisent vos passions, et ces passions, dont de froids et plats moralistes vous effraient, ne sont que les moyens que la nature emploie pour faire parvenir l'homme aux vues qu'elles a sur lui ; n'écoutez que ces passions délicieuses ; leur organe est le seul qui doive vous conduire au bonheur. Femmes lubriques, que la voluptueuse SaintAnge soit votre modèle ; méprisez, à son exemple, tout ce qui contrarie les lois divines du plaisir qui l'enchaînèrent toute sa vie. Jeunes filles trop longtemps contenues dans les liens absurdes et dangereux d'une vertu fantastique et d'une religion dégoûtante, imitez l'ardente Eugénie ; détruisez, foulez aux pieds, avec autant de rapidité qu'elle, tous les préceptes 4 ridicules inculqués par d'imbéciles parents. Et vous, aimables débauchés, vous qui, depuis votre jeunesse, n'avez plus d'autres freins que vos désirs et d'autres lois que vos caprices, que le cynique Dolmancé vous serve d'exemple ; allez aussi loin que lui, si, comme lui, vous voulez parcourir toutes les routes de fleurs que la lubricité vous prépare ; convainquez-vous à son école que ce n'est qu'en étendant la sphère de vos goûts et de ses fantaisies, que ce n'est qu'en sacrifiant tout à la volupté, que le malheureux individu connu sous le nom d'homme, et jeté malgré lui sur ce triste univers, peut réussir à semer quelques roses sur les épines de la vie. 5 Premier Dialogue Madame de Saint-Ange, le Chevalier de Mirvel. MME DE SAINT-ANGE : Bonjour, mon frère. Eh bien, M. Dolmancé ? LE CHEVALIER : Il arrivera à quatre heures précises, nous ne dînons qu'à sept ; nous aurons, comme tu vois, tout le temps de jaser. MME DE SAINT-ANGE : Sais-tu, mon frère, que je me repens un peu et de ma curiosité et de tous les projets obscènes formés pour aujourd'hui ? En vérité, mon ami, tu es trop indulgent, plus je devrais être raisonnable, plus ma maudite tête s'irrite et devient libertine : tu me passes tout, cela ne sert qu'à me gâter... À vingt-six ans, je devrais être déjà dévote, et je ne suis encore que la plus débordée des femmes... On n'a pas idée de ce que je conçois, mon ami, de ce que je voudrais faire. J'imaginais qu'en m'en tenant aux femmes, 6 cela me rendrait sage ;... que mes désirs concentrés dans mon sexe ne s'exhaleraient plus vers le vôtre ; projets chimériques, mon ami ; les plaisirs dont je voulais me priver ne sont venus s'offrir qu'avec plus d'ardeur à mon esprit, et j'ai vu que quand on était, comme moi, née pour le libertinage, il devenait inutile de songer à s'imposer des freins : de fougueux désirs les brisent bientôt. Enfin, mon cher, je suis un animal amphibie ; j'aime tout, je m'amuse de tous les genres ; mais, avoue-le, mon frère, n'est-ce pas une extravagance complète à moi que de vouloir connaître ce singulier Dolmancé qui, de ses jours, dis-tu, n'a pu voir une femme comme l'usage le prescrit, qui, sodomite par principe, non seulement est idolâtre de son sexe, mais ne cède même pas au nôtre que sous la clause spéciale de lui livrer les attraits chéris dont il est accoutumé de se servir chez les hommes ? Vois, mon frère, quelle est ma bizarre fantaisie : je veux être le Ganymède de ce nouveau Jupiter, je veux jouir de ses goûts, des ses débauches, je veux être la victime de ses erreurs : jusqu'à présent, tu le sais, mon cher, je ne me suis livrée ainsi qu'à toi, par 7 complaisance, ou qu'à quelqu'un de mes gens qui, payé pour me traiter de cette façon, ne s'y prêtait que par intérêt ; aujourd'hui, ce n'est plus ni la complaisance ni le caprice, c'est le goût seul qui me détermine... Je vois, entre les procédés qui m'ont asservie et ceux qui vont m'asservir à cette manie bizarre, une inconcevable différence, et je veux la connaître. Peins-moi ton Dolmancé, je t'en conjure, afin que je l'aie bien dans la tête avant de le voir arriver ; car tu sais que je ne le connais que pour l'avoir rencontré l'autre jour dans une maison où je ne fus que quelques minutes avec lui. LE CHEVALIER : Dolmancé, ma soeur, vient d'atteindre sa trente-sixième année ; il est grand, d'une fort belle figure, des yeux très vifs et très spirituels, mais quelque chose d'un peu dur et d'un peu méchant se peint malgré lui dans ses traits ; il a les plus belles dents du monde, un peu de mollesse dans la taille et dans la tournure, par l'habitude, sans doute, qu'il a de prendre si souvent des airs féminins ; il est d'une élégance extrême, une jolie voix, des talents, et principalement beaucoup de philosophie dans 8 l'esprit. MME DE SAINT-ANGE : Il ne croit pas en Dieu, j'espère. LE CHEVALIER : Ah ! que dis-tu là ! C'est le plus célèbre athée, l'homme le plus immoral... Oh ! c'est bien la corruption la plus complète et la plus entière, l'individu le plus méchant et le plus scélérat qui puisse exister au monde. MME DE SAINT-ANGE : Comme tout cela m'échauffe ! Je vais raffoler de cet homme. Et ses goûts, mon frère ? LE CHEVALIER : Tu les sais ; les délices de Sodome lui sont aussi chers comme agent que comme patient ; il n'aime que les hommes dans ses plaisirs, et si quelquefois, néanmoins, il consent à essayer les femmes, ce n'est qu'aux conditions qu'elles seront assez complaisantes pour changer de sexe avec lui. Je lui ai parlé de toi, je l'ai prévenu de tes intentions ; il accepte et t'avertit à son tour des clauses du marché. Je t'en préviens, ma soeur, il te refusera tout net si tu prétends l'engager à autre chose : « Ce que je consens à faire avec votre soeur est, prétend-il, 9 une licence... une incartade dont on ne se souille que rarement et avec beaucoup de précautions. « MME DE SAINT-ANGE : Se souiller !... des précautions !... J'aime à la folie le langage de ces aimables gens ! Entre nous autres femmes, nous avons aussi de ces mots exclusifs qui prouvent, comme ceux-là, l'horreur profonde dont elles sont pénétrées pour tout ce qui ne tient pas au culte admis... Eh ! dis-moi, mon cher, il t'a eu ? Avec ta délicieuse figure et tes vingt ans, on peut, je crois, captiver un tel homme ! LE CHEVALIER : Je ne te cacherai point mes extravagances avec lui : tu as trop d'esprit pour les blâmer. Dans le fait, j'aime les femmes, moi, et je ne me livre à ces goûts bizarres que quand un homme aimable m'en presse. Il n'y a rien que je ne fasse alors. Je suis loin de cette morgue ridicule qui fait croire à nos jeunes freluquets qu'il faut répondre par des coups de canne à de semblables propositions ; l'homme est-il le maître de ses goûts ? Il faut plaindre ceux qui en ont de singuliers, mais ne les insulter jamais : leur tort est celui de la nature ; ils n'étaient pas plus 10 les maîtres d'arriver au monde avec des goûts différents que nous ne le sommes de naître ou bancal ou bien fait. Un homme vous dit-il d'ailleurs une chose désagréable en vous témoignant le désir qu'il a de jouir de vous ? Non, sans doute ; c'est un compliment qu'il vous fait ; pourquoi donc y répondre par des injures ou des insultes ? Il n'y a que les sots qui puissent penser ainsi ; jamais un homme raisonnable ne parlera de cette matière différemment que je ne fais, mais c'est que le monde est peuplé de plats imbéciles qui croient que c'est leur manquer que de leur avouer qu'on les trouve propres à des plaisirs, et qui, gâtés par les femmes, toujours jalouses de ce qui a l'air d'attenter à leurs droits, s'imaginent être les Don Quichotte de ces droits ordinaires, en brutalisant ceux qui n'en reconnaissent pas toute l'étendue. MME DE SAINT-ANGE : Ah ! mon ami, baisemoi ! Tu ne serais pas mon frère si tu pensais différemment ; mais un peu de détails, je t'en conjure, et sur le physique de cet homme et sur ses plaisirs avec toi. 11 LE CHEVALIER : M. Dolmancé était instruit par un de mes amis du superbe membre dont tu sais que je suis pourvu ; il engagea le marquis de V... à me donner à souper avec lui. Une fois là, il fallut bien exhiber ce que je portais ; la curiosité parut d'abord être le seul motif ; un très beau cul qu'on me tourna, et dont on me supplia de jouir, me fit bientôt voir que le goût seul avait eu part à cet examen. Je prévins Dolmancé de toutes les difficultés de l'entreprise ; rien ne l'effaroucha. « Je suis à l'épreuve du bélier, me dit-il, et vous n'aurez même pas la gloire d'être le plus redoutable des hommes qui perforèrent le cul que je vous offre ! « Le marquis était là ; il nous encourageait en tripotant, maniant, baisant tout ce que nous mettions au jour l'un et l'autre. Je me présente... je veux au moins quelques apprêts : « Gardez-vous-en bien ! me dit le marquis ; vous ôteriez la moitié des sensations que Dolmancé attend de vous ; il veut qu'on le pourfende... il veut qu'on le déchire : Il sera satisfait ! « dis-je en me plongeant aveuglément dans le gouffre... Et tu crois peut-être, ma soeur, que j'eus beaucoup de peine ?... Pas un mot ; mon vit, tout 12 énorme qu'il est, disparut sans que je m'en doutasse, et je touchai le fond de ses entrailles sans que le bougre eût l'air de le sentir. Je traitai Dolmancé en ami ; l'excessive volupté qu'il goûtait, ses frétillements, ses propos délicieux, tout me rendit bientôt heureux moi-même, et je l'inondai. À peine fus-je dehors que Dolmancé, se retournant vers moi, échevelé, rouge comme une bacchante : « Tu vois l'état où tu m'as mis, cher chevalier ? me dit-il, en m'offrant un vit sec et mutin, fort long et d'au moins six pouces de tour ; daigne, je t'en conjure, ô mon amour ! me servir de femme après avoir été mon amant, et que je puisse dire que j'ai goûté dans tes bras divins tous les plaisirs du goût que je chéris avec tant d'empire. « Trouvant aussi peu de difficultés à l'un qu'à l'autre, je me prêtai ; le marquis, se déculottant à mes yeux, me conjura de vouloir bien être encore un peu homme avec lui pendant que j'allais être la femme de son ami ; je le traitai comme Dolmancé, qui, me rendant au centuple toutes les secousses dont j'accablais notre tiers, exhala bientôt au fond de mon cul cette liqueur enchanteresse dont j'arrosais, presque en même 13 temps, celui de V... MME DE SAINT-ANGE : Tu dois avoir eu le plus grand plaisir, mon frère, à te trouver ainsi entre deux ; on dit que c'est charmant. LE CHEVALIER : Il est bien certain, mon ange, que c'est la meilleure place ; mais quoi qu'on en dise, tout cela ce sont des extravagances que je ne préférerai jamais au plaisir des femmes. MME DE SAINT-ANGE : Eh bien, mon cher amour, pour récompenser aujourd'hui ta délicate complaisance, je vais livrer à tes ardeurs une jeune fille vierge, et plus belle que l'Amour. LE CHEVALIER : Comment ! Avec Dolmancé... tu fais venir une femme chez toi ? MME DE SAINT-ANGE : Il s'agit d'une éducation ; c'est une petite fille que j'ai connue au couvent l'automne dernier, pendant que mon mari était aux eaux. Là, nous ne pûmes rien, nous n'osâmes rien, trop d'yeux étaient fixés sur nous, mais nous nous promîmes de nous réunir dès que cela serait possible ; uniquement occupée de ce désir, j'ai pour y satisfaire, fait connaissance avec 14 sa famille. Son père est un libertin... que j'ai captivé. Enfin la belle vient, je l'attends ; nous passerons deux jours ensemble... deux jours délicieux ; la meilleure partie de ce temps, je l'emploie à éduquer cette jeune personne. Dolmancé et moi nous placerons dans cette jolie petite tête tous les principes du libertinage le plus effréné, nous l'embraserons de nos feux, de nos désirs, et comme je veux joindre un peu de pratique à la théorie, comme je veux qu'on démontre à mesure qu'on dissertera, je t'ai destiné, mon frère, à la moisson des myrtes de Cythère, Dolmancé à celle des roses de Sodome. J'aurai deux plaisirs à la fois, celui de jouir moimême de ces voluptés criminelles et celui d'en donner des leçons, d'en inspirer les goûts à l'aimable innocente que j'attire dans nos filets. Eh bien, chevalier, ce projet est-il digne de mon imagination ? LE CHEVALIER : Il ne peut être conçu que par elle ; il est divin, ma soeur, et je te promets d'y remplir à merveille le rôle charmant que tu m'y destines. Ah ! friponne, comme tu vas jouir du plaisir d'éduquer cette enfant ! quelles délices 15 pour toi de la corrompre, d'étouffer dans ce jeune coeur toutes les semences de vertu et de religion qu'y placèrent ses institutrices ! En vérité, cela est trop roué pour moi. MME DE SAINT-ANGE : Il est bien sûr que je n'épargnerai rien pour la pervertir, pour dégrader, pour culbuter dans elle tous les faux principes de morale dont on aurait pu déjà l'étourdir ; je veux, en deux leçons, la rendre aussi scélérate que moi... aussi impie... aussi débauchée. Préviens Dolmancé, mets-le au fait dès qu'il arrivera, pour que le venin de ses immoralités, circulant dans ce jeune coeur avec celui que j'y lancerai, parvienne à déraciner dans peu d'instants toutes les semences de vertu qui pourraient y germer sans nous. LE CHEVALIER : Il était impossible de mieux trouver l'homme qu'il te fallait : l'irréligion, l'impiété, l'inhumanité, le libertinage découlent des lèvres de Dolmancé, comme autrefois l'onction mystique de celles du célèbre archevêque de Cambrai ; c'est le plus profond séducteur, l'homme le plus corrompu, le plus 16 dangereux... Ah ! ma chère amie, que ton élève réponde aux soins de l'instituteur, et je te la garantis bientôt perdue. MME DE SAINT-ANGE : Cela ne sera sûrement pas long avec les dispositions que je lui connais... LE CHEVALIER : Mais, dis-moi, chère soeur, ne redoutes-tu rien des parents ? Si cette petite fille venait à jaser quand elle retournera chez elle ? MME DE SAINT-ANGE : Ne crains rien, j'ai séduit le père... il est à moi. Faut-il enfin te l'avouer ? je me suis livrée à lui pour qu'il fermât les yeux ; il ignore mes desseins, mais il n'osera jamais les approfondir... Je le tiens. LE CHEVALIER : Tes moyens sont affreux ! MME DE SAINT-ANGE : Voilà comme il les faut pour qu'ils soient sûrs. LE CHEVALIER : Eh ! dis-moi, je te prie, quelle est cette jeune personne ? MME DE SAINT-ANGE : On la nomme Eugénie, elle est la fille d'un certain Mistival, l'un des plus riches traitants de la capitale, âgé d'environ trente-six ans ; la mère en a tout au plus trente17 deux et la petite fille quinze. Mistival est aussi libertin que sa femme est dévote. Pour Eugénie, ce serait en vain, mon ami, que j'essaierais de te la peindre : elle est au-dessus de mes pinceaux ; qu'il te suffise d'être convaincu que ni toi ni moi n'avons certainement jamais rien vu d'aussi délicieux au monde. LE CHEVALIER : Mais esquisse au moins, si tu ne peux peindre, afin que, sachant à peu près à qui je vais avoir affaire, je me remplisse mieux l'imagination de l'idole où je dois sacrifier. MME DE SAINT-ANGE : Eh bien, mon ami, ses cheveux châtains, qu'à peine on peut empoigner, lui descendent au bas des fesses ; son teint est d'une blancheur éblouissante, son nez est un peu aquilin, ses yeux d'un noir d'ébène et d'une ardeur !... Oh ! mon ami, il n'est pas possible de tenir à ces yeux-là... Tu n'imagines point toutes les sottises qu'ils m'ont fait faire... Si tu voyais les jolis sourcils qui les couronnent... les intéressantes paupières qui les bordent !... Sa bouche est très petite, ses dents superbes, et tout cela d'une fraîcheur !... Une de ses beautés est la 18 manière élégante dont sa belle tête est attachée sur ses épaules, l'air de noblesse qu'elle a quand elle la tourne... Eugénie est grande pour son âge ; on lui donnerait dix-sept ans ; sa taille est un modèle d'élégance et de finesse, sa gorge délicieuse... Ce sont bien les deux plus jolis tétons !... À peine y a-t-il de quoi remplir la main, mais si doux... si frais... si blancs !... Vingt fois j'ai perdu la tête en les baisant ! et si tu avais vu comme elle s'animait sous mes caresses... comme ses deux grands yeux me peignaient l'état de son âme !... Mon ami, je ne sais pas comment est le reste. Ah ! s'il faut en juger par ce que je connais, jamais l'Olympe n'eut une divinité qui la valût... Mais je l'entends... laisse-nous ; sors par le jardin pour ne la point rencontrer, et sois exact au rendez-vous. LE CHEVALIER : Le tableau que tu viens de me faire te répond de mon exactitude... Oh, ciel ! sortir... te quitter dans l'état où je suis !... Adieu... un baiser... un seul baiser, ma soeur, pour me satisfaire au moins jusque-là. (Elle le baise, touche son vit au travers de sa culotte, et le jeune homme sort avec précipitation.) 19 Deuxième Dialogue Madame de Saint-Ange, Eugénie. MME DE SAINT-ANGE : Eh ! bonjour, ma belle ; je t'attendais avec une impatience que tu devines bien aisément, si tu lis dans mon coeur. EUGÉNIE : Oh ! ma toute bonne, j'ai cru que je n'arriverais jamais, tant j'avais d'empressement d'être dans tes bras ; une heure avant de partir, j'ai frémi que tout ne changeât ; ma mère s'opposait absolument à cette délicieuse partie ; elle prétendait qu'il n'était pas convenable qu'une jeune fille de mon âge allât seule ; mais mon père l'avait si mal traitée avant-hier qu'un seul de ses regards a fait rentrer Mme de Mistival dans le néant ; elle a fini par consentir à ce qu'accordait mon père, et je suis accourue. On me donne deux jours ; il faut absolument que ta voiture et l'une de tes femmes me ramènent 20 après-demain. MME DE SAINT-ANGE : Que cet intervalle est court, mon cher ange ! à peine pourrai-je, en si peu de temps, t'exprimer tout ce que tu m'inspires... et d'ailleurs nous avons à causer ; ne sais-tu pas que c'est dans cette entrevue que je dois t'initier dans les plus secrets mystères de Vénus ? aurons-nous le temps en deux jours ? EUGÉNIE : Ah ! si je ne savais pas tout, je resterais... je suis venue ici pour m'instruire et je ne m'en irai pas que je ne sois savante. MME DE SAINT-ANGE, la baisant : Oh ! cher amour, que de choses nous allons faire et dire réciproquement ! Mais, à propos, veux-tu déjeuner, ma reine ? Il serait possible que la leçon fût longue. EUGÉNIE : Je n'ai, chère amie, d'autre besoin que celui de t'entendre ; nous avons déjeuné à une lieue d'ici ; j'attendrais maintenant jusqu'à huit heures du soir sans éprouver le moindre besoin. MME DE SAINT-ANGE : Passons donc dans mon 21 boudoir, nous y serons plus à l'aise ; j'ai déjà prévenu mes gens ; sois assurée qu'on ne s'avisera pas de nous interrompre. (Elles y passent dans les bras l'une de l'autre.) 22 Troisième Dialogue La scène est dans un boudoir délicieux. Madame de Saint-Ange, Eugénie, Dolmancé. EUGÉNIE, très surprise de voir dans ce cabinet un homme qu'elle n'attendait pas : Oh ! Dieu ! ma chère amie, c'est une trahison ! MME DE SAINT-ANGE, également surprise : Par quel hasard ici, monsieur ? Vous ne deviez, ce me semble, arriver qu'à quatre heures ? DOLMANCÉ : On devance toujours le plus qu'on peut le bonheur de vous voir, madame ; j'ai rencontré monsieur votre frère ; il a senti le besoin dont serait ma présence aux leçons que vous devez donner à mademoiselle ; il savait que ce serait ici le lycée où se ferait le cours ; il m'y a secrètement introduit, n'imaginant pas que vous 23 le désaprouvassiez, et pour lui, comme il sait que ses démonstrations ne seront nécessaires qu'après les dissertations théoriques, il ne paraîtra que tantôt. MME DE SAINT-ANGE : En vérité, Dolmancé, voilà un tour... EUGÉNIE : Dont je ne suis pas la dupe, ma bonne amie ; tout cela est ton ouvrage... Au moins fallait-il me consulter... Me voilà d'une honte à présent qui, certainement, s'opposera à tous nos projets. MME DE SAINT-ANGE : Je te proteste, Eugénie, que l'idée de cette surprise n'appartient qu'à mon frère ; mais qu'elle ne t'effraie pas : Dolmancé, que je connais pour un homme fort aimable, et précisément du degré de philosophie qu'il nous faut pour ton instruction, ne peut qu'être très utile à nos projets ; à l'égard de sa discrétion, je te réponds de lui comme de moi. Familiarise-toi donc, ma chère, avec l'homme du monde le plus en état de te former, et de te conduire dans la carrière du bonheur et des plaisirs que nous voulons parcourir ensemble. 24 EUGÉNIE, rougissant : Oh ! je n'en suis pas moins d'une confusion... DOLMANCÉ : Allons, belle Eugénie, mettezvous à votre aise... la pudeur est une vieille vertu dont vous devez, avec autant de charmes, savoir vous passer à merveille. EUGÉNIE : Mais la décence... DOLMANCÉ : Autre usage gothique, dont on fait bien peu de cas aujourd'hui. Il contrarie si fort la nature ! (Dolmancé saisit Eugénie, la presse entre ses bras et la baise.) EUGÉNIE, se défendant : Finissez donc, monsieur !... En vérité, vous me ménagez bien peu ! MME DE SAINT-ANGE : Eugénie, crois-moi, cessons l'une et l'autre d'être prudes avec cet homme charmant ; je ne le connais pas plus que toi : regarde comme je me livre à lui ! (Elle le baise lubriquement sur la bouche.) Imite-moi. EUGÉNIE : Oh ! je le veux bien ; de qui prendrais-je de meilleurs exemples ! (Elle se livre à Dolmancé qui la baise ardemment, langue en 25 bouche.) DOLMANCÉ : Ah ! l'aimable et délicieuse créature ! MME DE SAINT-ANGE, la baisant de même : Crois-tu donc, petite friponne, que je n'aurai pas également mon tour ? (Ici Dolmancé, les tenant l'une et l'autre dans ses bras, les langote un quart d'heure toutes deux, et toutes deux se le rendent et le lui rendent.) DOLMANCÉ : Ah ! voilà des préliminaires qui m'enivrent de volupté ! Mesdames, voulez-vous m'en croire ? Il fait extraordinairement chaud : mettons-nous à notre aise, nous jaserons infiniment mieux. MME DE SAINT-ANGE : J'y consens ; revêtonsnous de ces simarres de gaze : elles ne voileront de nos attraits que ce qu'il faut cacher au désir. EUGÉNIE : En vérité, ma bonne, vous me faites faire des choses !... MME DE SAINT-ANGE, l'aidant à se déshabiller : Tout à fait ridicules, n'est-ce pas ? EUGÉNIE : Au moins bien indécentes, en 26 vérité... Eh ! comme tu me baises ! MME DE SAINT-ANGE : La jolie gorge !... c'est une rose à peine épanouie. DOLMANCÉ, considérant les tétons d'Eugénie, sans les toucher : Et qui promet d'autres appas... infiniment plus estimables. MME DE SAINT-ANGE : Plus estimables ? DOLMANCÉ : Oh ! oui, d'honneur ! (En disant cela, Dolmancé fait mine de retourner Eugénie pour l'examiner par-derrière.) EUGÉNIE : Oh ! non, non, je vous en conjure. MME DE SAINT-ANGE : Non, Dolmancé... je ne veux pas que vous voyiez encore... un objet dont l'empire est trop grand sur vous, pour que, l'ayant une fois dans la tête, vous puissiez ensuite raisonner de sang-froid. Nous avons besoin de vos leçons, donnez-nous-les, et les myrtes que vous voulez cueillir formeront ensuite votre couronne. DOLMANCÉ : Soit, mais pour démontrer, pour donner à ce bel enfant les premières leçons du libertinage, il faut bien au moins que vous, 27 madame, vous ayez la complaisance de vous prêter. MME DE SAINT-ANGE : À la bonne heure !... Eh bien, tenez, me voilà toute nue : dissertez sur moi autant que vous voudrez ! DOLMANCÉ : Ah ! le beau corps !... C'est Vénus elle-même, embellie par les Grâces ! EUGÉNIE : Oh ! ma chère amie, que d'attraits ! Laissez-moi les parcourir à mon aise, laissez-moi les couvrir de baisers. (Elle exécute.) DOLMANCÉ : Quelles excellentes dispositions ! Un peu moins d'ardeur, belle Eugénie ; ce n'est que de l'attention que je vous demande pour ce moment-ci. EUGÉNIE : Allons, j'écoute, j'écoute... C'est qu'elle est si belle... si potelée, si fraîche !... Ah ! comme elle est charmante, ma bonne amie, n'estce pas, monsieur ? DOLMANCÉ : Elle est belle, assurément... parfaitement belle ; mais je suis persuadé que vous ne le lui cédez en rien... Allons, écoutezmoi, jolie petite élève, ou craignez que, si vous 28 n'êtes pas docile, je n'use sur vous des droits que me donne amplement le titre de votre instituteur. MME DE SAINT-ANGE : Oh ! oui, oui, Dolmancé, je vous la livre ; il faut la gronder d'importance, si elle n'est pas sage. DOLMANCÉ : Je pourrais bien ne pas m'en tenir aux remontrances. EUGÉNIE : Oh ! juste ciel ! vous m'effrayez... et qu'entreprendriez-vous donc, monsieur ? DOLMANCÉ, balbutiant et baisant Eugénie sur la bouche : Des châtiments... des corrections, et ce joli petit cul pourrait bien me répondre des fautes de la tête. (Il le lui frappe au travers de la simarre de gaze dont est maintenant vêtue Eugénie.) MME DE SAINT-ANGE : Oui, j'approuve le projet, mais non pas le reste. Commençons notre leçon, ou le peu de temps que nous avons à jouir d'Eugénie va se passer ainsi en préliminaires, et l'instruction ne se fera point. DOLMANCÉ : (Il touche à mesure, sur Mme de Saint-Ange, toutes les parties qu'il démontre.) Je 29 commence. Je ne parlerai point de ces globes de chair : vous savez aussi bien que moi, Eugénie, que l'on les nomme indifféremment gorge, seins, tétons ; leur usage est d'une grande vertu dans le plaisir ; un amant les a sous les yeux en jouissant ; il les caresse, il les manie, quelquesuns en forment même le siège de la jouissance et, leur membre se nichant entre les deux monts de Vénus, que la femme serre et comprime sur ce membre, au bout de quelques mouvements, certains hommes parviennent à répandre là le baume délicieux de la vie, dont l'écoulement fait tout le bonheur des libertins... Mais ce membre sur lequel il faudra disserter sans cesse, ne seraitil pas à propos, madame, d'en donner dissertation à notre écolière ? MME DE SAINT-ANGE : Je le crois de même. DOLMANCÉ : Eh bien, madame, je vais m'étendre sur ce canapé ; vous vous placerez près de moi, vous vous emparerez du sujet, et vous en expliquerez vous-même les propriétés à notre jeune élève. (Dolmancé se place et Mme de SaintAnge démontre.) 30 MME DE SAINT-ANGE : Ce sceptre de Vénus, que tu vois sous tes yeux, Eugénie, est le premier agent des plaisirs en amour : on le nomme membre par excellence ; il n'est pas une seule partie du corps humain dans lequel il ne s'introduise. Toujours docile aux passions de celui qui le meut, tantôt il se niche là (elle touche le con d'Eugénie) : c'est sa route ordinaire... la plus usitée, mais non pas la plus agréable ; recherchant un temple plus mystérieux, c'est souvent ici (elle écarte ses fesses et montre le trou de son cul) que le libertin cherche à jouir : nous reviendrons sur cette jouissance, la plus délicieuse de toutes ; la bouche, le sein, les aisselles lui présentent souvent encore des autels où brûle son encens ; et quel que soit enfin celui de tous les endroits qu'il préfère, on le voit, après s'être agité quelques instants, lancer une liqueur blanche et visqueuse dont l'écoulement plonge l'homme dans un délire assez vif pour lui procurer les plaisirs les plus doux qu'il puisse espérer de sa vie. EUGÉNIE : Oh ! que je voudrais voir couler cette liqueur ! 31 MME DE SAINT-ANGE : Cela se pourrait par la simple vibration de ma main : vois, comme il s'irrite à mesure que je le secoue ! Ces mouvements se nomment pollution et, en terme de libertinage, cette action s'appelle branler. EUGÉNIE : Oh ! ma chère amie, laisse-moi branler ce beau membre. DOLMANCÉ : Je n'y tiens pas ! Laissons-la faire, madame : cette ingénuité me fait horriblement bander. MME DE SAINT-ANGE : Je m'oppose à cette effervescence. Dolmancé, soyez sage ; l'écoulement de cette semence, en diminuant l'activité de vos esprits animaux, ralentirait la chaleur de vos dissertations. EUGÉNIE, maniant les testicules de Dolmancé : Oh ! que je suis fâchée, ma bonne amie, de la résistance que tu mets à mes désirs !... Et ces boules, quel est leur usage, et comment les nomme-t-on ? MME DE SAINT-ANGE : Le mot technique est couilles... testicules est celui de l'art. Ces boules 32 renferment le réservoir de cette semence prolifique dont je viens de te parler, et dont l'éjaculation dans la matrice de la femme produit l'espèce humaine ; mais nous appuierons peu sur ces détails, Eugénie, plus dépendants de la médecine que du libertinage. Une jolie fille ne doit s'occuper que de foutre et jamais d'engendrer. Nous glisserons sur tout ce qui tient au plat mécanisme de la population, pour nous attacher uniquement aux voluptés libertines dont l'esprit n'est nullement populateur. EUGÉNIE : Mais, ma chère amie, lorsque ce membre énorme, qui peut à peine tenir dans ma main, pénètre, ainsi que tu m'assures que cela se peut, dans un trou aussi petit que celui de ton derrière, cela doit bien faire une grande douleur à la femme. MME DE SAINT-ANGE : Soit que cette introduction se fasse par-devant, soit qu'elle se fasse par derrière, lorsqu'une femme n'y est pas encore accoutumée, elle y éprouve toujours de la douleur. Il a plu à la nature de ne nous faire arriver au bonheur que par des peines ; mais, une 33 fois vaincue, rien ne peut plus rendre les plaisirs que l'on goûte, et celui qu'on éprouve à l'introduction de ce membre dans nos culs est incontestablement préférable à tous ceux que peut procurer cette même introduction par-devant. Que de dangers, d'ailleurs, n'évite pas une femme alors ! Moins de risque pour sa santé, et plus aucun pour la grossesse. Je ne m'étends pas davantage à présent sur cette volupté ; notre maître à toutes deux, Eugénie, l'analysera bientôt amplement, et, joignant la pratique à la théorie, te convaincra, j'espère, ma toute bonne, que, de tous les plaisirs de la jouissance, c'est le seul que tu doives préférer. DOLMANCÉ : Dépêchez vos démonstrations, madame, je vous en conjure, je n'y puis plus tenir ; je déchargerai malgré moi, et ce redoutable membre, réduit à rien, ne pourrait plus servir à vos leçons. EUGÉNIE : Comment ! il s'anéantirait, ma bonne, s'il perdait cette semence dont tu parles !... Oh ! laisse-moi la lui faire perdre, pour que je voie comme il deviendra... Et puis j'aurais 34 tant de plaisir à voir couler cela ! MME DE SAINT-ANGE : Non, non, Dolmancé, levez-vous ; songez que c'est le prix de vos travaux, et que je ne puis vous le livrer qu'après que vous l'aurez mérité. DOLMANCÉ : Soit, mais pour mieux convaincre Eugénie de tout ce que nous allons lui débiter sur le plaisir, quel inconvénient y aurait-il que vous la branliez devant moi, par exemple ? MME DE SAINT-ANGE : Aucun, sans doute, et j'y vais procéder avec d'autant plus de joie que cet épisode lubrique ne pourra qu'aider nos leçons. Place-toi sur ce canapé, ma toute bonne. EUGÉNIE : Ô Dieu ! la délicieuse niche ! Mais pourquoi toutes ces glaces ? MME DE SAINT-ANGE : C'est pour que, répétant les attitudes en mille sens divers, elles multiplient à l'infini les mêmes jouissances aux yeux de ceux qui les goûtent sur cette ottomane. Aucune des parties de l'un ou l'autre corps ne peut être cachée par ce moyen : il faut que tout soit en vue ; ce sont autant de groupes rassemblés autour 35 de ceux que l'amour enchaîne, autant d'imitateurs de leurs plaisirs, autant de tableaux délicieux, dont leur lubricité s'enivre et qui servent bientôt à la compléter elle-même. EUGÉNIE : Que cette invention est délicieuse ! MME DE SAINT-ANGE : Dolmancé, déshabillez vous-même la victime. DOLMANCÉ : Cela ne sera pas difficile, puisqu'il ne s'agit que d'enlever cette gaze pour distinguer à nu les plus touchants attraits. (Il la met nue, et ses premiers regards se portent aussitôt sur le derrière.) Je vais donc le voir, ce cul divin et précieux que j'ambitionne avec tant d'ardeur !... Sacredieu ! que d'embonpoint et de fraîcheur, que d'éclat et d'élégance !... Je n'en vis jamais un plus beau ! MME DE SAINT-ANGE : Ah ! fripon ! comme tes premiers hommages prouvent tes plaisirs et tes goûts ! DOLMANCÉ : Mais peut-il être au monde rien qui vaille cela ?... Où l'amour aurait-il de plus divins autels ?... Eugénie... sublime Eugénie, que 36 j'accable ce cul des plus douces caresses ! (Il le manie et le baise avec transport.) MME DE SAINT-ANGE : Arrêtez, libertin !... Vous oubliez qu'à moi seule appartient Eugénie, unique prix des leçons qu'elle attend de vous ; ce n'est qu'après les avoir reçues qu'elle deviendra votre récompense. Suspendez cette ardeur, ou je me fâche. DOLMANCÉ : Ah ! friponne ! c'est de la jalousie... Eh bien, livrez-moi le vôtre : je vais l'accabler des mêmes hommages. (Il enlève la simarre de Mme de Saint-Ange et lui caresse le derrière.) Ah ! qu'il est beau, mon ange... qu'il est délicieux aussi ! Que je les compare... que je les admire l'un près de l'autre : c'est Ganymède à côté de Vénus ! (Il les accable de baisers tous deux.) Afin de laisser toujours sous mes yeux le spectacle enchanteur de tant de beautés, ne pourriez-vous pas, madame, en vous enchaînant l'une à l'autre, offrir sans cesse à mes regards ces culs charmants que j'idolâtre ? MME DE SAINT-ANGE : À merveille !... Tenez, êtes-vous satisfait ?... (Elles s'enlacent l'une dans 37 l'autre, de manière à ce que leurs deux culs soient en face de Dolmancé.) DOLMANCÉ : On ne saurait davantage : voilà précisément ce que je demandais, agitez maintenant ces beaux culs de tout le feu de la lubricité ; qu'ils se baissent et se relèvent en cadence ; qu'ils suivent les impressions dont le plaisir va les mouvoir... Bien, bien, c'est délicieux !... EUGÉNIE : Ah ! ma bonne, que tu me fais de plaisir !... Comment appelle-t-on ce que nous faisons là ? MME DE SAINT-ANGE : Se branler, ma mie... se donner du plaisir ; mais, tiens, changeons de posture ; examine mon con... c'est ainsi que se nomme le temple de Vénus. Cet antre que la main couvre, examine-le bien : je vais l'entrouvrir. Cette élévation dont tu vois qu'il est couronné s'appelle la motte : elle se garnit de poils communément à quatorze ou quinze ans, quand une fille commence à être réglée. Cette languette, qu'on trouve au-dessous, se nomme le clitoris. Là gît toute la sensibilité des femmes ; c'est le foyer 38 de toute la mienne ; on ne saurait me chatouiller cette partie sans me voir pâmer de plaisir... Essaie-le... Ah ! petite friponne ! comme tu y vas !... On dirait que tu n'as fait que cela toute ta vie !... Arrête !... Arrête !... Non, te dis-je, je ne veux pas me livrer !... Ah ! contenez-moi, Dolmancé !... sous les doigts enchanteurs de cette jolie fille, je suis prête à perdre la tête ! DOLMANCÉ : Eh bien ! pour attiédir, s'il se peut, vos idées en les variant, branlez-la vousmême ; contenez-vous, et qu'elle seule se livre... Là, oui !... dans cette attitude ; son joli cul, de cette manière, va se trouver sous mes mains ; je vais le polluer légèrement d'un doigt... Livrezvous, Eugénie ; abandonnez tous vos sens au plaisir ; qu'il soit le seul dieu de votre existence ; c'est à lui seul qu'une jeune fille doit tout sacrifier, et rien à ses yeux ne doit être aussi sacré que le plaisir. EUGÉNIE : Ah ! rien au moins n'est aussi délicieux, je l'éprouve... Je suis hors de moi... je ne sais plus ce que je dis ni ce que je fais... Quelle ivresse s'empare de mes sens. 39 DOLMANCÉ : Comme la petite friponne décharge !... Son anus se resserre à me couper le doigt... Qu'elle serait délicieuse à enculer dans cet instant ! (Il se lève et présente son vit au trou du cul de la jeune fille.) MME DE SAINT-ANGE : Encore un moment de patience. Que l'éducation de cette chère fille nous occupe seule !... Il est si doux de la former. DOLMANCÉ : Eh bien ! tu le vois, Eugénie, après une pollution plus ou moins longue, les glandes séminales se gonflent et finissent par exhaler une liqueur dont l'écoulement plonge la femme dans le transport le plus délicieux. Cela s'appelle décharger. Quand ta bonne amie le voudra, je te ferai voir de quelle manière plus énergique et plus impérieuse cette même opération se fait dans les hommes. MME DE SAINT-ANGE : Attends, Eugénie, je vais maintenant t'apprendre une nouvelle manière de plonger une femme dans la plus extrême volupté. Écarte bien tes cuisses... Dolmancé, vous voyez que, de la façon dont je la place, son cul vous reste ! Gamahuchez-le-lui 40 pendant que son con va l'être par ma langue, et faisons-la pâmer entre nous ainsi trois ou quatre fois de suite, s'il se peut. Ta motte est charmante, Eugénie. Que j'aime à baiser ce petit poil follet !... Ton clitoris, que je vois mieux maintenant, est peu formé, mais bien sensible... Comme tu frétilles !... Laisse-moi t'écarter... Ah ! tu es sûrement bien vierge !... Dis-moi l'effet que tu vas éprouver dès que nos langues vont s'introduire, à la fois, dans tes deux ouvertures. (On exécute.) EUGÉNIE : Ah ! ma chère, c'est délicieux, c'est une sensation impossible à peindre ! Il me serait bien difficile de dire laquelle de vos deux langues me plonge mieux dans le délire. DOLMANCÉ : Par l'attitude où je me place, mon vit est très près de vos mains, madame ; daignez le branler, je vous prie, pendant que je suce ce cul divin. Enfoncez davantage votre langue, madame, ne vous en tenez pas au clitoris ; faites pénétrer cette langue voluptueuse jusque dans la matrice : c'est la meilleure façon de hâter l'éjaculation de son foutre. 41 Eugénie, se raidissant : Ah ! je n'en peux plus, je me meurs ! Ne m'abandonnez pas, mes amis, je suis prête à m'évanouir !... (Elle décharge au milieu de ses deux instituteurs). MME DE SAINT-ANGE : Eh bien ! ma mie, comment te trouves-tu du plaisir que nous t'avons donné ? EUGÉNIE : Je suis morte, je suis brisée... je suis anéantie !... Mais expliquez-moi, je vous prie, deux mots que vous avez prononcés et que je n'entends pas ; d'abord que signifie matrice ? MME DE SAINT-ANGE : C'est une espèce de vase, ressemblant à une bouteille, dont le col embrasse le membre de l'homme et qui reçoit le foutre produit chez la femme par le suintement des glandes, et dans l'homme par l'éjaculation que nous te ferons voir ; et du mélange de ces liqueurs naît le germe, qui produit tour à tour des garçons ou des filles. EUGÉNIE : Ah ! j'entends ; cette définition m'explique en même temps le mot foutre que je n'avais pas d'abord bien compris. Et l'union des semences est-elle nécessaire à la formation du 42 foetus ? MME DE SAINT-ANGE : Assurément, quoiqu'il soit néanmoins prouvé que ce foetus ne doive son existence qu'au foutre de l'homme ; élancé seul, sans mélange avec celui de la femme, il ne réussirait cependant pas ; mais celui que nous fournissons ne fait qu'élaborer ; il ne crée point, il aide à la création, sans en être la cause. Plusieurs naturalistes modernes prétendent même qu'il est inutile ; d'où les moralistes, toujours guidés par la découverte de ceux-ci, ont conclu, avec assez de vraisemblance, qu'en ce cas l'enfant formé du sang du père ne devait de tendresse qu'à lui. Cette assertion n'est point sans apparence, et, quoique femme, je ne m'aviserais pas de la combattre. EUGÉNIE : Je trouve dans mon coeur la preuve de ce que tu me dis, ma bonne, car j'aime mon père à la folie, et je sens que je déteste ma mère. DOLMANCÉ : Cette prédilection n'a rien d'étonnant : j'ai pensé tout de même ; je ne suis pas encore consolé de la mort de mon père, et lorsque je perdis ma mère, je fis un feu de joie... 43 Je la détestais cordialement. Adoptez sans crainte ces mêmes sentiments, Eugénie : ils sont dans la nature. Uniquement formés du sang de nos pères, nous ne devons absolument rien à nos mères ; elles n'ont fait d'ailleurs que se prêter dans l'acte, au lieu que le père l'a sollicité ; le père a donc voulu notre naissance, pendant que la mère n'a fait qu'y consentir. Quelle différence pour les sentiments ! MME DE SAINT-ANGE : Mille raisons de plus sont en ta faveur, Eugénie. S'il est une mère au monde qui doive être détestée, c'est assurément la tienne ! Acariâtre, superstitieuse, dévote, grondeuse... et d'une pruderie révoltante, je gagerais que cette bégueule n'a pas fait un faux pas dans sa vie... Ah ! ma chère, que je déteste les femmes vertueuses !... Mais nous y reviendrons. DOLMANCÉ : Ne serait-il pas nécessaire, à présent, qu'Eugénie, dirigée par moi, apprît à rendre ce que vous venez de lui prêter, et qu'elle vous branlât sous mes yeux ? MME DE SAINT-ANGE : J'y consens, je le crois même utile, et sans doute que, pendant 44 l'opération, vous voulez aussi voir mon cul, Dolmancé ? DOLMANCÉ : Pouvez-vous douter, madame, du plaisir avec lequel je lui rendrais mes plus doux hommages ? MME DE SAINT-ANGE, lui présentant les fesses : Eh bien, me trouvez-vous comme il faut ainsi ? DOLMANCÉ : À merveille ! Je puis au mieux vous rendre, de cette manière, les mêmes services dont Eugénie s'est si bien trouvée. Placez-vous, à présent, petite folle, la tête bien entre les jambes de votre amie, et rendez-lui, avec votre jolie langue, les mêmes soins que vous venez d'en obtenir. Comment donc ! mais, par l'attitude, je pourrai posséder vos deux culs, je manierai délicieusement celui d'Eugénie, en suçant celui de sa belle amie. Là... bien... Voyez comme nous sommes ensemble. MME DE SAINT-ANGE, se pâmant : Je me meurs, sacredieu !... Dolmancé, que j'aime à toucher ton beau vit, pendant que je décharge !... Je voudrais qu'il m'inondât de foutre !... 45 Branlez !... sucez-moi, foutredieu !... Ah ! que j'aime à faire la putain, quand mon sperme éjacule ainsi ! C'est fini, je n'en puis plus... Vous m'avez accablée tous les deux... Je crois que de mes jours je n'eus tant de plaisir. EUGÉNIE : Que je suis aise d'en être la cause ! Mais un mot, chère amie, un mot vient de t'échapper encore, et je ne l'entends pas. Qu'entends-tu par cette expression de putain ? Pardon, mais tu sais ? je suis ici pour m'instruire. MME DE SAINT-ANGE : On appelle de cette manière, ma toute belle, ces victimes publiques de la débauche des hommes, toujours prêtes à se livrer à leur tempérament ou à leur intérêt ; heureuses et respectables créatures, que l'opinion flétrit, mais que la volupté couronne, et qui, bien plus nécessaires à la société que les prudes, ont le courage de sacrifier, pour la servir, la considération que cette société ose leur enlever injustement. Vivent celles que ce titre honore à leurs yeux ! Voilà les femmes vraiment aimables, les seules véritablement philosophes ! Quant à moi, ma chère, qui depuis douze ans travaille à le 46 mériter, je t'assure que loin de m'en formaliser, je m'en amuse. Il y a mieux : j'aime qu'on me nomme ainsi quand on me fout ; cette injure m'échauffe la tête. EUGÉNIE : Oh ! je le conçois, ma bonne ; je ne serais pas fâchée non plus que l'on me l'adressât, encore bien moins d'en mériter le titre ; mais la vertu ne s'oppose-t-elle pas à une telle inconduite, et ne l'offensons-nous pas en nous comportant comme nous le faisons ? DOLMANCÉ : Ah ! renoncez aux vertus, Eugénie ! Est-il un seul des sacrifices qu'on puisse faire à ces fausses divinités, qui vaille une minute des plaisirs que l'on goûte en les outrageant ? Va, la vertu n'est qu'une chimère, dont le culte ne consiste qu'en des immolations perpétuelles, qu'en des révoltes sans nombre contre les inspirations du tempérament. De tels mouvements peuvent-ils être naturels ? La nature conseille-t-elle ce qui l'outrage ? Ne sois pas la dupe, Eugénie, de ces femmes que tu entends nommer vertueuses. Ce ne sont pas, si tu veux, les mêmes passions que nous qu'elles servent, 47 mais elles en ont d'autres, et souvent bien plus méprisables... C'est l'ambition, c'est l'orgueil, ce sont des intérêts particuliers, souvent encore la froideur seule d'un tempérament qui ne leur conseille rien. Devons-nous quelque chose à de pareils êtres, je le demande ? N'ont-elles pas suivi les uniques impressions de l'amour de soi ? Est-il donc meilleur, plus sage, plus à propos de sacrifier à l'égoïsme qu'aux passions ? Pour moi, je crois que l'un vaut bien l'autre ; et qui n'écoute que cette dernière voix a bien plus de raison sans doute, puisqu'elle est seule organe de la nature, tandis que l'autre n'est que celle de la sottise et du préjugé. Une seule goutte de foutre éjaculée de ce membre, Eugénie, m'est plus précieuse que les actes les plus sublimes d'une vertu que je méprise. EUGÉNIE : (Le calme s'étant un peu rétabli pendant ces dissertations, les femmes, revêtues de leurs simarres, sont à demi couchées sur le canapé, et Dolmancé auprès d'elle dans un grand fauteuil.) - Mais il est des vertus de plus d'une espèce ; que pensez-vous, par exemple, de la piété ? 48 DOLMANCÉ : Que peut être cette vertu pour qui ne croit pas à la religion ? et qui peut croire à la religion ? Voyons, raisonnons avec ordre, Eugénie : n'appelez-vous pas religion le pacte qui le lie à son Créateur, et qui l'engage à lui témoigner, par un culte, la reconnaissance qu'il a de l'existence reçue de ce sublime auteur ? EUGÉNIE : On ne peut mieux le définir. DOLMANCÉ : Eh bien ! s'il est démontré que l'homme ne doit son existence qu'aux plans irrésistibles de la nature ; s'il est prouvé qu'aussi ancien sur ce globe que le globe même, il n'est, comme le chêne, comme le lion, comme les minéraux qui se trouvent dans les entrailles de ce globe, qu'une production nécessitée par l'existence du globe, et qui ne doit la sienne à qui que ce soit ; s'il est démontré que ce Dieu, que les sots regardent comme auteur et fabricateur unique de tout ce que nous voyons, n'est que le nec plus ultra de la raison humaine, que le fantôme créé à l'instant où cette raison ne voit plus rien, afin d'aider à ses opérations ; s'il est prouvé que l'existence de ce Dieu est impossible, 49 et que la nature, toujours en action, toujours en mouvement, tient d'elle-même ce qu'il plaît aux sots de lui donner gratuitement ; s'il est certain qu'à supposer que cet être inerte existât, ce serait assurément le plus ridicule de tous les êtres, puisqu'il n'aurait servi qu'un seul jour, et que depuis des millions de siècles il serait dans une inaction méprisable ; qu'à supposer qu'il existât comme les religions nous le peignent, ce serait assurément le plus détestable des êtres, puisqu'il permettrait le mal sur la terre, tandis que sa toutepuissance pourrait l'empêcher ; si, dis-je, tout cela se trouvait prouvé, comme cela l'est incontestablement, croyez-vous alors, Eugénie, que la piété qui lierait l'homme à ce Créateur imbécile, insuffisant, féroce et méprisable, fût une vertu bien nécessaire ? EUGÉNIE, à Mme de Saint-Ange : Quoi ! réellement, mon aimable amie, l'existence de Dieu serait une chimère ? MME DE SAINT-ANGE : Et des plus méprisables, sans doute. DOLMANCÉ : Il faut avoir perdu le sens pour y 50 croire. Fruit de la frayeur des uns et de la faiblesse des autres, cet abominable fantôme, Eugénie, est inutile au système de la terre ; il y nuirait infailliblement, puisque ses volontés, qui devraient être justes, ne pourraient jamais s'allier avec les injustices essentielles aux lois de la nature ; qu'il devrait constamment vouloir le bien, et que la nature ne doit le désirer qu'en compensation du mal qui sert à ses lois ; qu'il faudrait qu'il agît toujours, et que la nature, dont cette action perpétuelle est une des lois, ne pourrait se trouver en concurrence et en opposition perpétuelle avec lui. Mais, dira-t-on à cela, Dieu et la nature sont la même chose. Ne serait-ce pas une absurdité ? La chose créée ne peut être égale à l'être créant : est-il possible que la montre soit l'horloger ? Eh bien, continuera-ton, la nature n'est rien, c'est Dieu qui est tout. Autre bêtise ! Il y a nécessairement deux choses dans l'univers : l'agent créateur et l'individu créé. Or quel est cet agent créateur ? Voilà la seule difficulté qu'il faut résoudre ; c'est la seule question à laquelle il faille répondre. Si la matière agit, se meut, par des 51 combinaisons qui nous sont inconnues, si le mouvement est inhérent à la matière, si elle seule enfin peut, en raison de son énergie, créer, produire, conserver, maintenir, balancer dans les plaines immenses de l'espace tous les globes dont la vue nous surprend et dont la marche uniforme, invariable, nous remplit de respect et d'admiration, que sera le besoin de chercher alors un agent étranger à tout cela, puisque cette faculté active se trouve essentiellement dans la nature elle-même, qui n'est autre chose que la matière en action ? Votre chimère déifique éclaircira-t-elle quelque chose ? Je défie qu'on puisse me le prouver. À supposer que je me trompe sur les facultés internes de la matière, je n'ai du moins devant moi qu'une difficulté. Que faites-vous en m'offrant votre Dieu ? Vous m'en donnez une de plus. Et comment voulez-vous que j'admette, pour cause que je ne comprends pas, quelque chose que je comprends encore moins ? Sera-ce au moyen de dogmes de la religion chrétienne que j'examinerai... que je me représenterai votre effroyable Dieu ? Voyons un peu comme elle me le peint... 52 Que vois-je dans le Dieu de ce culte infâme, si ce n'est pas un être inconséquent et barbare, créant aujourd'hui un monde, de la construction duquel il s'en repent demain ? Qu'y vois-je, qu'un être faible qui ne peut jamais faire prendre à l'homme le pli qu'il voudrait ? Cette créature, quoique émanée de lui, le domine ; elle peut l'offenser et mériter par là des supplices éternels ! Quel être faible que ce Dieu-là ! Comment ! il a pu créer tout ce que nous voyons, et il lui est impossible de former un homme à sa guise ? Mais, me répondrez-vous à cela, s'il l'eût créé tel, l'homme n'eût pas eu de mérite. Quelle platitude ! et quelle nécessité y a-t-il que l'homme mérite de son Dieu ? En le formant tout à fait bon, il n'aurait jamais pu faire le mal, et de ce moment seul l'ouvrage était digne d'un Dieu. C'est tenter l'homme que de lui laisser un choix. Or Dieu, par sa prescience infinie, savait bien ce qui en résulterait. De ce moment, c'est donc à plaisir qu'il perd la créature que lui-même a formée. Quel horrible Dieu que ce Dieu-là ! quel monstre ! quel scélérat plus digne de notre haine et notre implacable vengeance ! Cependant, peu 53 content d'une aussi sublime besogne, il noie l'homme pour le convertir ; il le brûle, il le maudit. Rien de tout cela ne le change. Un être plus puissant que ce vilain Dieu, le Diable, conservant toujours son empire, pouvant toujours braver son auteur, parvient sans cesse, par ses séductions, à débaucher le troupeau que s'était réservé l'Éternel. Rien ne peut vaincre l'énergie de ce démon sur nous. Qu'imagine alors, selon vous, l'horrible Dieu que vous prêchez ? Il n'a qu'un fils, un fils unique, qu'il possède de je ne sais quel commerce ; car, comme l'homme fout, il a voulu que son Dieu foutît également ; il détache du ciel cette respectable portion de luimême. On s'imagine peut-être que c'est sur des rayons célestes, au milieu du cortège des anges, à la vue de l'univers entier, que cette sublime créature va paraître... Pas un mot : c'est dans le sein d'une putain juive, c'est au milieu d'une étable à cochons, que s'annonce le Dieu qui vient sauver la terre ! Voilà la digne extraction qu'on lui prête ! Mais son honorable mission nous dédommagera-t-elle ? Suivons un instant le personnage. Que dit-il ? que fait-il ? quelle 54 sublime mission recevons-nous de lui ? quel mystère va-t-il révéler ? quel dogme va-t-il nous prescrire ? dans quels actes enfin sa grandeur vat-elle éclater ? Je vois d'abord une enfance ignorée, quelques services, très libertins sans doute, rendus par ce polisson aux prêtres du temple de Jérusalem ; ensuite une disparition de quinze ans, pendant laquelle le fripon va s'empoisonner de toutes les rêveries de l'école égyptienne qu'il rapporte enfin en Judée. À peine y reparaît-il, que sa démence débute par lui faire dire qu'il est le fils de Dieu, égal à son père ; il associe à cette alliance un autre fantôme qu'il appelle l'Esprit-Saint, et ces trois personnes, assure-t-il, ne doivent en faire qu'une ! Plus ce ridicule mystère étonne la raison, plus le faquin assure qu'il y a du mérite à l'adopter... de dangers à l'anéantir. C'est pour nous sauver tous, assure l'imbécile, qu'il a pris chair, quoique dieu, dans le sein d'une enfant des hommes ; et les miracles éclatants qu'on va lui voir opérer, en convaincront bientôt l'univers ! Dans un souper d'ivrognes, en effet, le fourbe change, à ce qu'on dit, l'eau en vin ; dans un 55 désert, il nourrit quelques scélérats avec des provisions cachées que ses sectateurs préparèrent ; un de ses camarades fait le mort, notre imposteur le ressuscite ; il se transporte sur une montagne, et là, seulement devant deux ou trois de ses amis, il fait un tour de passe-passe dont rougirait le plus mauvais bateleur de nos jours. Maudissant d'ailleurs avec enthousiasme tous ceux qui ne croient pas en lui, le coquin promet les cieux à tous les sots qui l'écouteront. Il n'écrit rien, vu son ignorance ; parle fort peu, vu sa bêtise ; fait encore moins, vu sa faiblesse, et, lassant à la fin les magistrats, impatientés de ses discours séditieux, quoique fort rares, le charlatan se fait mettre en croix, après avoir assuré les gredins qui le suivent que, chaque fois qu'ils l'invoqueront, il descendra vers eux pour s'en faire manger. On le supplicie, il se laisse faire. Monsieur son papa, de Dieu sublime, dont il ose dire qu'il descend, ne lui donne pas le moindre secours, et voilà le coquin traité comme le dernier des scélérats, dont il était si digne d'être le chef. 56 Ses satellites s'assemblent : « Nous voilà perdus, disent-ils, et toutes nos espérances évanouies, si nous ne nous sauvons par un coup d'éclat. Enivrons la garde qui entoure Jésus ; dérobons son corps, publions qu'il est ressuscité : le moyen est sûr ; si nous parvenons à faire croire cette friponnerie, notre nouvelle religion s'étaie, se propage ; elle séduit le monde entier... Travaillons ! « Le coup s'entreprend, il réussit. À combien de fripons la hardiesse n'a-t-elle pas tenu lieu de mérite ! Le corps est enlevé ; les sots, les femmes, les enfants crient, tant qu'ils le peuvent, au miracle, et cependant, dans cette ville où de si grandes merveilles viennent de s'opérer, dans cette ville teinte du sang d'un Dieu, personne ne veut croire à ce Dieu ; pas une conversion ne s'y opère. Il y a mieux : le fait est si peu digne d'être transmis, qu'aucun historien n'en parle. Les seuls disciples de cet imposteur pensent tirer parti de la fraude, mais non pas dans le moment. Cette considération est encore bien essentielle, ils laissent écouler plusieurs années avant de faire usage de leur fourberie ; ils érigent enfin sur elle 57 l'édifice chancelant de leur dégoûtante doctrine. Tout changement plaît aux hommes. Las du despotisme des empereurs, une révolution devenait nécessaire. On écoute ces fourbes, leur progrès devient très rapide : c'est l'histoire de toutes les erreurs. Bientôt les autels de Vénus et de Mars sont changés en ceux de Jésus et de Marie ; on publie la vie de l'imposteur ; ce plat roman trouve des dupes ; on lui fait dire cent choses auxquelles il n'a jamais pensé ; quelquesuns de ses propos saugrenus deviennent aussitôt la base de sa morale, et comme cette nouveauté se prêchait à des pauvres, la charité en devient la première vertu. Des rites bizarres s'instituent sous le nom de sacrements, dont le plus indigne et le plus abominable de tous est celui par lequel un prêtre, couvert de crimes, a néanmoins, par la vertu de quelques paroles magiques, le pouvoir de faire arriver Dieu dans un morceau de pain. N'en doutons pas ; dès sa naissance même, ce culte indigne eût été détruit sans ressource, si l'on n'eût employé contre lui que les armes du mépris qu'il méritait ; mais on s'avisa de le persécuter : il s'accrut ; le moyen était inévitable. Qu'on 58 essaie encore aujourd'hui de le couvrir de ridicule, il tombera. L'adroit Voltaire n'employait jamais d'autres armes, et c'est de tous les écrivains celui qui peut se flatter d'avoir fait le plus de prosélytes. En un mot, Eugénie, telle est l'histoire de Dieu et de la religion ; voyez le cas que ces fables méritent, et déterminez-vous sur leur compte. EUGÉNIE : Mon choix n'est pas embarrassant ; je méprise toutes ces rêveries dégoûtantes, et ce Dieu même, auquel je tenais encore par faiblesse ou par ignorance, n'est plus pour moi qu'un objet d'horreur. MME DE SAINT-ANGE : Jure-moi bien de n'y plus penser, de ne t'en occuper jamais, de ne l'invoquer en aucun instant de ta vie, et de n'y revenir de tes jours. EUGÉNIE, se précipitant sur le sein de Mme de Saint-Ange : Ah ! j'en fais le serment dans tes bras ! Ne m'est-il pas facile de voir que ce que tu exiges est pour mon bien, et que tu ne veux pas que de pareilles réminiscences puissent jamais troubler ma tranquillité ? 59 MME DE SAINT-ANGE : Pourrais-je avoir d'autre motif ? EUGÉNIE : Mais, Dolmancé, c'est, ce me semble, l'analyse des vertus qui nous a conduits à l'examen des religions ? Revenons-y. N'existerait-il pas dans cette religion, toute ridicule qu'elle est, quelques vertus prescrites par elle, et dont le culte pût contribuer à notre bonheur ? DOLMANCÉ : Eh bien ! examinons. Sera-ce la chasteté, Eugénie, cette vertu que vos yeux détruisent, quoique votre ensemble en soit l'image ? Révérerez-vous l'obligation de combattre tous les mouvements de la nature ? les sacrifierez-vous tous au vain et ridicule honneur de n'avoir jamais une faiblesse ? Soyez juste, et répondez, belle amie : croyez-vous trouver dans cette absurde et dangereuse pureté d'âme tous les plaisirs du vice contraire ? EUGÉNIE : Non, d'honneur, je ne veux point de celle-là ; je ne me sens pas le moindre penchant à être chaste, mais la plus grande disposition au vice contraire ; mais, Dolmancé, la 60 charité, la bienfaisance, ne pourraient-elles pas faire le bonheur de quelques âmes sensibles ? DOLMANCÉ : Loin de nous, Eugénie, les vertus qui ne font que des ingrats ! Mais ne t'y trompe point d'ailleurs, ma charmante amie : la bienfaisance est bien plutôt un vice de l'orgueil qu'une véritable vertu de l'âme ; c'est par ostentation qu'on soulage ses semblables, jamais dans la seule vue de faire une bonne action ; on serait bien fâché que l'aumône qu'on vient de faire n'eût pas toute la publicité possible. Ne t'imagine pas non plus, Eugénie, que cette action ait d'aussi bon effets qu'on se l'imagine : je ne l'envisage, moi, que comme la plus grande de toutes les duperies ; elle accoutume le pauvre à des secours qui détériorent son énergie ; il ne travaille plus quand il s'attend à vos charités, et devient, dès qu'elles lui manquent, un voleur ou un assassin. J'entends de toutes parts demander les moyens de supprimer la mendicité, et l'on fait, pendant ce temps-là, tout ce qu'on peut pour la multiplier. Voulez-vous ne pas avoir de mouches dans votre chambre ? N'y répandez pas de sucre pour les attirer. Voulez-vous ne pas 61 avoir de pauvres en France ? Ne distribuez aucune aumône, et supprimez surtout vos maisons de charité. L'individu né dans l'infortune, se voyant alors privé de ces ressources dangereuses, emploiera tout le courage, tous les moyens qu'il aura reçus de la nature, pour se tirer de l'état où il est né ; il ne vous importunera plus. Détruisez, renversez sans aucune pitié ces détestables maisons où vous avez l'effronterie de receler les fruits du libertinage de ce pauvre, cloaques épouvantables vomissant chaque jour dans la société un essaim dégoûtant de ces nouvelles créatures, qui n'ont d'espoir que dans votre bourse. À quoi sert-il, je le demande, que l'on conserve de tels individus avec tant de soin ? A-t-on peur que la France ne se dépeuple ? Ah ! n'ayons jamais cette crainte. Un des premiers vices de ce gouvernement consiste dans une population beaucoup trop nombreuse, et il s'en faut bien que de tels superflus soient des richesses pour l'État. Ces êtres surnuméraires sont comme des branches parasites qui, ne vivant qu'aux dépens du tronc, finissent toujours par l'exténuer. Souvenez-vous 62 que toutes les fois que, dans un gouvernement quelconque, la population sera supérieure aux moyens de l'existence, ce gouvernement languira. Examinez bien la France, vous verrez que c'est ce qu'elle vous offre. Qu'en résulte-til ? On le voit. Le Chinois, plus sage que nous, se garde bien de se laisser dominer ainsi par une population trop abondante. Point d'asile pour les fruits honteux de sa débauche : on abandonne ces affreux résultats comme les suites d'une digestion. Point de maisons pour la pauvreté : on ne la connaît point en Chine. Là, tout le monde travaille : là, tout le monde est heureux ; rien n'altère l'énergie du pauvre, et chacun y peut dire, comme Néron : Quid est pauper ? EUGÉNIE, à Mme de Saint-Ange : Chère amie, mon père pense absolument comme Monsieur : de ses jours il ne fit une bonne oeuvre. Il ne cesse de gronder ma mère des sommes qu'elle dépense à de telles pratiques. Elle était de la Société maternelle, de la Société philantropique : je ne sais de quelle association elle n'était point ; il l'a contrainte à quitter tout cela, en l'assurant qu'il la réduirait à la plus modique pension si elle 63 s'avisait de retomber encore dans de pareilles sottises. MME DE SAINT-ANGE : Il n'y a rien de plus ridicule et en même temps de plus dangereux, Eugénie, que toutes ces associations : c'est à elles, aux écoles gratuites et aux maisons de charité que nous devons le bouleversement horrible dans lequel nous voici maintenant. Ne fais jamais d'aumône, ma chère, je t'en supplie. EUGÉNIE : Ne crains rien ; il y a longtemps que mon père a exigé de moi la même chose, et la bienfaisance me tente trop peu pour enfreindre, sur cela, ses ordres... les mouvements de mon coeur et tes désirs. DOLMANCÉ : Ne divisons pas cette portion de sensibilité que nous avons reçue de la nature : c'est l'anéantir que de l'étendre. Que me font à moi les maux des autres ! N'ai-je donc point assez des miens, sans aller m'affliger de ceux qui me sont étrangers ! Que le foyer de cette sensibilité n'allume jamais que nos plaisirs ! Soyons sensibles à tout ce qui les flatte, absolument inflexibles sur tout le reste. Il résulte 64 de cet état de l'âme une sorte de cruauté, qui n'est quelquefois pas sans délices. On ne peut pas toujours faire le mal. Privés du plaisir qu'il donne, équivalons au moins cette sensation par la petite méchanceté piquante de ne jamais faire le bien. EUGÉNIE : Ah ! Dieu ! comme vos leçons m'enflamment ! je crois qu'on me tuerait plutôt maintenant que de me faire faire une bonne action ! MME DE SAINT-ANGE : Et s'il s'en présentait une mauvaise, serais-tu de même prête à la commettre ? EUGÉNIE : Tais-toi, séductrice ; je ne répondrai sur cela que lorsque tu auras fini de m'instruire. Il me paraît que, d'après tout ce que vous me dites, Dolmancé, rien n'est aussi indifférent sur la terre que d'y commettre le bien ou le mal ; nos goûts, notre tempérament doivent seuls être respectés ? DOLMANCÉ : Ah ! n'en doutez pas, Eugénie, ces mots de vice et de vertu ne nous donnent que des idées purement locales. Il n'y a aucune 65 action, quelque singulière que vous puissiez la supposer, qui soit vraiment criminelle ; aucune qui puisse réellement s'appeler vertueuse. Tout est en raison de nos moeurs et du climat que nous habitons ; ce qui est crime ici est souvent vertu quelque cent lieues plus bas, et les vertus d'un autre hémisphère pourraient bien réversiblement être des crimes pour nous. Il n'y a pas d'horreur qui n'ait été divinisée, pas une vertu qui n'ait été flétrie. De ces différences purement géographiques naît le peu de cas que nous devons faire de l'estime ou du mépris des hommes, sentiments ridicules et frivoles, au-dessus desquels nous devons nous mettre, au point même de préférer sans crainte leur mépris, pour peu que les actions qui nous le méritent soient de quelques volupté pour nous. EUGÉNIE : Mais il me semble pourtant qu'il doit y avoir des actions assez dangereuses, assez mauvaises en elles-mêmes, pour avoir été généralement considérées comme criminelles, et punies comme telles d'un bout de l'univers à l'autre ? 66 MME DE SAINT-ANGE : Aucune, mon amour, aucune, pas même le viol ni l'inceste, pas même le meurtre ni le parricide. EUGÉNIE : Quoi ! ces horreurs ont pu s'excuser quelque part ? DOLMANCÉ : Elles y ont été honorées, couronnées, considérées comme d'excellentes actions, tandis qu'en d'autres lieux, l'humanité, la candeur, la bienfaisance, la chasteté, toutes nos vertus, enfin, étaient regardées comme des monstruosités. EUGÉNIE : Je vous prie de m'expliquer tout cela ; j'exige une courte analyse de chacun de ces crimes, en vous priant de commencer par m'expliquer d'abord votre opinion sur le libertinage des filles, ensuite sur l'adultère des femmes. MME DE SAINT-ANGE : Écoute-moi donc, Eugénie. Il est absurde de dire qu'aussitôt qu'une fille est hors du sein de sa mère, elle doit, de ce moment, devenir la victime de la volonté de ses parents, pour rester telle jusqu'à son dernier soupir. Ce n'est pas dans un siècle où l'étendue et 67 les droits de l'homme viennent d'être approfondis avec tant de soins, que des jeunes filles doivent continuer à se croire les esclaves de leurs familles, quand il est constant que les pouvoirs de ces familles sur elles sont absolument chimériques. Écoutons la nature sur un objet aussi intéressant, et que les lois des animaux, bien plus rapprochées d'elle, nous servent un moment d'exemples. Les devoirs paternels s'étendent-ils chez eux au-delà des premiers besoins physiques ? Les fruits de la jouissance du mâle et de la femelle ne possèdent-ils pas toute leur liberté, tous leurs droits ? Sitôt qu'ils peuvent marcher et se nourrir seuls, dès cet instant, les auteurs de leurs jours les connaissent-ils ? Et eux, croient-ils devoir quelque chose à ceux qui leur ont donné la vie ? non, sans doute. De quel droit les enfants des hommes sont-ils donc astreints à d'autres devoirs ? Et qui les fondent, ces devoirs, si ce n'est l'avarice ou l'ambition des pères ? Or, je demande s'il est juste qu'une jeune fille qui commence à sentir et à raisonner se soumette à de tels freins. N'est-ce donc pas le préjugé tout seul qui prolonge ces chaînes ? Et y a-t-il rien de plus 68 ridicule que de voir une jeune fille de quinze ou seize ans, brûlée par des désirs qu'elle est obligée de vaincre, attendre, dans des tourments pires que ceux des enfers, qu'il plaise à ses parents, après avoir rendu sa jeunesse malheureuse, de sacrifier encore son âge mûr, en l'immolant à leur perfide cupidité, en l'associant, malgré elle, à un époux, ou qui n'a rien pour se faire aimer, ou qui a tout pour se faire haïr ? Eh ! non, non, Eugénie, de tels liens s'anéantiront bientôt ; il faut que, dégageant dès l'âge de raison la jeune fille de la maison paternelle, après lui avoir donné une éducation nationale, on la laisse maîtresse, à quinze ans, de devenir ce qu'elle voudra. Donnera-t-elle dans le vice ? Eh ! qu'importe ? Les services que rend une jeune fille, en consentant à faire le bonheur de tous ceux qui s'adressent à elle, ne sont-ils pas infiniment plus important que ceux qu'en s'isolant elle offre à son époux ? La destinée de la femme est d'être comme la chienne, comme la louve : elle doit appartenir à tous ceux qui veulent d'elle. C'est visiblement outrager la destination que la nature impose aux femmes, que 69 de les enchaîner par le lien absurde d'un hymen solitaire. Espérons qu'on ouvrira les yeux, et qu'en assurant la liberté de tous les individus, on n'oubliera pas le sort des malheureuses filles ; mais si elles sont assez à plaindre pour qu'on les oublie, que, se plaçant d'elles-mêmes au-dessus de l'usage et du préjugé, elles foulent hardiment aux pieds les fers honteux dont on prétend les asservir ; elles triompheront bientôt alors de la coutume et de l'opinion ; l'homme devenu plus sage, parce qu'il sera plus libre, sentira l'injustice qu'il y aurait à mépriser celles qui agiront ainsi et que l'action de céder à la nature, regardée comme un crime chez un peuple captif, ne peut plus l'être chez un peuple libre. Pars donc de la légitimité de ces principes, Eugénie, et brise tes fers à quelques prix que ce puisse être ; méprise les vaines remontrances d'une mère imbécile, à qui tu ne dois légitimement que de la haine et que du mépris. Si ton père, qui est un libertin, le désire, à la bonne heure : qu'il jouisse de toi, mais sans 70 t'enchaîner ; brise le joug s'il veut t'asservir ; plus d'une fille ont agi de même avec leur père. Fouts, en un mot, fouts ; c'est pour cela que tu es mise au monde ; aucune borne à tes plaisirs que celles de tes forces ou de tes volontés ; aucune exception de lieux, de temps et de personne ; toutes les heures, tous les endroits, tous les hommes doivent servir à tes voluptés ; la continence est une vertu impossible, dont la nature, violée dans ses droits, nous punit aussitôt par mille malheurs. Tant que les lois seront telles qu'elles sont encore aujourd'hui, usons de quelques voiles ; l'opinion nous y contraint ; mais dédommageons-nous en silence de cette chasteté cruelle que nous sommes obligées d'avoir en public. Qu'une jeune fille travaille à se procurer une bonne amie qui, libre et dans le monde, puisse lui faire secrètement goûter les plaisirs ; qu'elle tâche, au défaut de cela, de séduire les argus dont elle est entourée ; qu'elle les supplie de la prostituer, en leur promettant tout l'argent qu'ils pourront retirer de sa vente, ou ces argus par euxmêmes, ou des femmes qu'ils trouveront, et 71 qu'on nomme maquerelles, rempliront bientôt les vues de la jeune fille ; qu'elle jette alors de la poudre aux yeux de tout ce qui l'entoure, frères, cousins, amis, parents ; qu'elle se livre à tous, si cela est nécessaire pour cacher sa conduite ; qu'elle fasse même, si cela est exigé, le sacrifice de ses goûts et de ses affections ; une intrigue qui lui aura déplu, et dans laquelle elle ne se sera livrée que par politique, la mènera bientôt dans une plus agréable situation, et la voilà lancée. Mais qu'elle ne revienne plus sur les préjugés de son enfance ; menaces, exhortations, devoirs, vertus, religion, conseils, qu'elle foule tout aux pieds ; qu'elle rejette et méprise opiniâtrement tout ce qui ne tend qu'à la renchaîner, tout ce qui ne vise point, en un mot, à la livrer au sein de l'impudicité. C'est une extravagance de nos parents que ces prédictions de malheurs dans la voie du libertinage ; il y a des épines partout, mais les roses se trouvent au-dessus d'elles dans la carrière du vice ; il n'y a que dans les sentiers bourbeux de la vertu que la nature n'en fait jamais naître. Le seul écueil à redouter dans la 72 première de ces routes, c'est l'opinion des hommes ; mais quelle est la fille d'esprit qui, avec un peu de réflexion, ne se rendra pas supérieure à cette méprisable opinion ? Les plaisirs reçus par l'estime, Eugénie, ne sont que des plaisirs moraux, uniquement convenables à certaines têtes ; ceux de la fouterie plaisent à tous, et ces attraits séducteurs dédommagent bientôt de ce mépris illusoire auquel il est difficile d'échapper en bravant l'opinion publique, mais dont plusieurs femmes sensées se sont moquées au point de s'en composer un plaisir de plus. Fouts, Eugénie, fouts donc, mon cher ange ; ton corps est à toi, à toi, seule ; il n'y a que toi seule au monde qui aies le droit d'en jouir et d'en faire jouir qui bon te semble. Profite du plus heureux temps de ta vie : elles ne sont que trop courtes, ces heureuses années de nos plaisirs ! Si nous sommes assez heureuses pour en avoir joui, de délicieux souvenirs nous consolent et nous amusent encore dans notre vieillesse. Les avons-nous perdues ?... des regrets amers, d'affreux remords nous déchirent et se joignent aux tourments de l'âge, pour entourer de 73 larmes et de ronces les funestes approches du cercueil... Aurais-tu la folie de l'immortalité ? Eh bien, c'est en foutant, ma chère, que tu restera dans la mémoire des hommes. On a bientôt oublié les Lucrèce, tandis que les Théodora et les Messaline font les plus doux entretiens et les plus fréquents de la vie. Comment donc, Eugénie, ne pas préférer un parti qui, nous couronnant de fleurs ici-bas, nous laisse encore l'espoir d'un culte bien au-delà du tombeau ! Comment, dis-je, ne pas préférer ce parti à celui qui, nous faisant végéter imbécilement sur la terre, ne nous promet après notre existence que du mépris et de l'oubli ? EUGÉNIE, à Mme de Saint-Ange : Ah ! cher amour, comme ces discours séducteurs enflamment ma tête et séduisent mon âme ! Je suis dans un état difficile à peindre... Et, dis-moi, pourras-tu me faire connaître quelques-unes de ces femmes... (troublée) qui me prostitueront, si je leur dis ? MME DE SAINT-ANGE : D'ici à ce que tu aies plus d'expérience, cela ne regarde que moi seule, 74 Eugénie ; rapporte-t'en à moi de ce soin, et plus encore à toutes les précautions que je prendrai pour couvrir tes égarements : mon frère et cet ami solide qui t'instruit seront les premiers auxquels je veux que tu te livres ; nous en trouverons d'autres après. Ne t'inquiète pas, chère amie : je te ferai voler de plaisir en plaisir, je te plongerai dans une mer de délices, je t'en comblerai, mon ange, je t'en rassasierai ! EUGÉNIE, se précipitant dans les bras de Mme de Saint-Ange : Oh ! ma bonne, je t'adore ; va, tu n'auras jamais une écolière plus soumise que moi ; mais il me semble que tu m'as fait entendre, dans nos anciennes conversations, qu'il était difficile qu'une jeune épouse se jette dans le libertinage sans que l'époux qu'elle doit prendre après ne s'en aperçoive ? MME DE SAINT-ANGE : Cela est vrai, ma chère, mais il y a des secrets qui raccommodent toutes ces brèches. Je te promets de t'en donner connaissance, et alors, eusses-tu foutu comme Antoinette, je me charge de te rendre aussi vierge que le jour que tu vins au monde. 75 EUGÉNIE : Ah ! tu es délicieuse ! Allons, continue de m'instruire. Presse-toi donc en ce cas de m'apprendre quelle doit être la conduite d'une femme dans le mariage. MME DE SAINT-ANGE : Dans quelque état que se trouve une femme, ma chère, soit fille, soit femme, soit veuve, elle ne doit jamais avoir d'autre but, d'autre occupation, d'autre désir que de se faire foutre du matin au soir : c'est pour cette unique fin que l'a créée la nature ; mais si, pour remplir cette intention, j'exige d'elle de fouler aux pieds tous les préjugés de son enfance, si je lui prescris la désobéissance la plus formelle aux ordres de sa famille, le mépris le plus constaté de tous les conseils de ses parents, tu conviendras, Eugénie, que, de tous les freins à rompre, celui dont je lui conseillerai le plus tôt l'anéantissement sera bien sûrement celui du mariage. Considère en effet, Eugénie, une jeune fille à peine sortie de la maison paternelle ou de sa pension, ne connaissant rien, n'ayant nulle expérience, obligée de passer subitement de là 76 dans les bras d'un homme qu'elle n'a jamais vu, obligée de jurer à cet homme, aux pieds des autels, une obéissance, une fidélité d'autant plus injuste qu'elle n'a souvent au fond de son coeur que le plus grand désir de lui manquer de parole. Est-il au monde, Eugénie, un sort plus affreux que celui-là ? Cependant la voilà liée, que son mari lui plaise ou non, qu'il ait ou non pour elle de la tendresse ou des mauvais procédés ; son honneur tient à ses serments : il est flétri si elle les enfreint ; il faut qu'elle se perde ou qu'elle traîne le joug, dût-elle en mourir de douleur. Eh ! non, Eugénie, non, ce n'est point pour cette fin que nous sommes nées ; ces lois absurdes sont l'ouvrage des hommes, et nous ne devons pas nous y soumettre. Le divorce même est-il capable de nous satisfaire ? Non, sans doute. Qui nous répond de trouver plus sûrement dans de seconds liens le bonheur qui nous a fuies dans les premiers ? Dédommageons-nous donc en secret de toute la contrainte de noeuds si absurdes, bien certaines que nos désordres en ce genre, à quelques excès que nous puissions les porter, loin d'outrager la nature, ne sont qu'un hommage 77 sincère que nous lui rendons ; c'est obéir à ses lois que de céder aux désirs qu'elle seule a placés dans nous ; ce n'est qu'en lui résistant que nous l'outragerions. L'adultère que les hommes regardent comme un crime, qu'ils ont osé punir comme tel en nous arrachant la vie, l'adultère, Eugénie, n'est donc que l'acquit d'un droit à la nature, auquel les fantaisies de ces tyrans ne sauraient jamais nous soustraire. Mais n'est-il pas horrible, disent nos époux, de nous exposer à chérir comme nos enfants, à embrasser comme tels, les fruits de vos désordres ? C'est l'objection de Rousseau ; c'est, j'en conviens, la seule un peu spécieuse dont on puisse combattre ...

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