La religion est-elle une illusion ?

« un être personnel, et en faisant ainsi ressortir la personnalité, qu'on oublie l'origine de la religion, que l'on oublie quece que la représentation de la réflexion tient pour un prédicat distinguable ou séparable du sujet était originairementle vrai sujet.

» L'inversion religieuse, qui conduit à doter Dieu d'attributs que l'homme ne se reconnaît pas — ou plus — à lui-mêmen'est pas intelligible en elle-même, c'est-à-dire indépendamment des enjeux qui sont les siens dans le « monde réel».

L'aliénation religieuse, en bref, renvoie à une aliénation plus primitive, qui est, selon Marx, de nature socio-économique.

Si l'homme « se sépare de lui-même » dans la représentation, c'est qu'il est déjà aliéné dans lasituation réelle qu'il vit.

Si Dieu est d'autant plus fort que l'homme est plus faible (terminologie feuerbachienne),c'est dans la condition effective de l'homme qu'il faut en chercher l'explication.

Compensation imaginaire, voire opiumdu peuple, la religion exprime et traduit, comme un symptôme, une situation d'aliénation réelle.

Il est vain d'endénoncer le caractère illusoire tant qu'on ne rétablit pas, dans la réalité, une vie épanouie d'où tout besoin decompensation a disparu.

Selon Marx, l'illusion religieuse est un effet qui ne survivra pas à sa cause.

Mais il convientd'en neutraliser, dans la lutte idéologique, les incidences démobilisatrices ou apologétiques lorsqu'elle tend àsanctifier un ordre social injuste (cf.

la rubrique histoire pour les rapports entre justification théologique et pouvoirtemporel.

Bossuet, Politique tirée de l'écriture sainte). Pour approfondir la réflexion sur les analyses de Marx, on pourra se reporter à trois textes : Manuscrits de 1844,troisième manuscrit, Éditions Sociales, pages 141 et suivantes, L'idéologie allemande, première partie, ÉditionsSociales; et surtout la quatrième Thèse sur Feuerbach (où Marx formule très précisément la nécessité de référerl'aliénation religieuse à sa « base temporelle »).

L'analyse des compensations et des « bénéfices secondaires » de lareligion peut se développer par ailleurs sur le terrain de la psychologie collective où Freud l'a mise en œuvre (cf.L'avenir d'une illusion, Presses Universitaires de France, chapitre 6, page 43) : « Les idées religieuses, qui professent d'être des dogmes, ne sont pas le résidu de l'expérience ou le résultat final dela réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants del'humanité; le secret de leur force est la force de ces désirs.

» — Analyse complémentaire : critique de la représentation anthropomorphique de Dieu et de sa fonction mystifiante.Cf.

Spinoza, Traité théologico-politique et Éthique, livre IV. Spinoza établit une distinction, capitale à ses yeux, entre Dieu conçu comme totalité de l'être réel (Deus sivenatura) et Dieu conçu sur le modèle d'une personne humaine, dotée d'attributs correspondants (vision judéo-chrétienne traditionnelle).

Les représentations anthropomorphiques d'un Dieu juge, qui châtie ou récompense,manifeste sa colère, aime et punit, véhiculent un cortège de préjugés, de superstitions qui fait fonctionner l'hommepar crainte et non par vertu.

Dans le livre IV de \'Éthique, Spinoza dénonce toutes les recommandationsd'abstinence, de sacrifice ou de mortification qui accompagnent ces représentations.

Son analyse le conduit d'autrepart à mettre en cause l'utilisation que font les théologiens de telles recommandations : voulant perpétuer leurpouvoir, ils maintiennent les fidèles dans l'ignorance et la soumission, et développent pour cela la haineobscurantiste de la Raison (cf.

Traité théologico-politique, chapitre 15).

L'illusion est dans ce cas soigneusemententretenue et reproduite, se nourrissant constamment du recours à la volonté de Dieu (« asile de l'ignorance », ditSpinoza).. »