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La théologie chrétienne de l'amour

Publié le 23/03/2015

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amour

Cette double soumission signifie un double déchirement, une double «scission«, pour parler comme Hegel, une scission entre l'humanité et un divin totalement transcendant par rapport à l'humain ; mais aussi une scission, un déchirement, entre l'humain et la nature.

 

La nature, c'est l'ennemie, une entité qui n'a désormais d'autre statut que d'être utilisée et dominée.

 

Il n'y a qu'une exception à cette domination, par ailleurs sans faille, un seul impératif à respecter, c'est le fameux : «Tu ne tueras point«, le respect de la vie, y compris sous sa forme biologique, naturelle.

 

Si un homme tue un autre homme, il mérite la mort, et Dieu lui enlèvera la vie.

 

Mais ce commandement de ne pas tuer, du moins de respecter le vivant, vaut aussi partiellement pour les animaux, ce qui se traduit par la fameuse interdiction de consommer leur sang.

 

C'est l'origine de la cacheront, la viande casher : les hommes doivent s'abstenir de consommer le sang des animaux parce que le sang est le symbole de la vie et que la vie, même animale, doit être absolument respectée.

 

Noé s'engage donc à respecter cette loi, en échange de quoi Dieu lui permet de dominer les végétaux et les bêtes, d'être le maître et possesseur de la nature.

 

La nature reste l'ennemie, mais c'est désormais une ennemie muselée, dominée, dont on n'a plus rien à craindre, plus rien en tout cas qui puisse s'apparenter à cette catastrophe absolue qu'a été le Déluge.

 

Le résultat de ce double déchirement, c'est que le judaïsme, selon Hegel, prendra la forme de la conscience malheureuse.

 

possible non seulement entre les hommes et la nature, mais aussi entre les hommes et un Dieu tellement transcendant qu'on ne peut ni le nommer ni s'en faire la moindre représentation anthropomorphique.

 

Nemrod va pousser encore plus loin la logique de la scission.

 

On pourrait discuter longuement l'analyse de Hegel --- elle est très caricaturale et à vrai dire fort injuste ---, le judaïsme a mille autres aspects dont Hegel, qui ne dispose comme source pour sa réflexion que des Antiquités juives, ne parle pas.

 

Il y a notamment, dans le judaïsme, comme je l'évoquais tout à l'heure à propos du Lévitique ou de la doctrine du Tsimtsoum, une magnifique philosophie de l'amour.

 

l'analyse hégélienne est donc à la fois partielle et injuste.

 

Mais laissons ce débat de côté pour nous intéresser seulement à cette lecture hégélienne du judaïsme en tant que telle, en tant qu'elle est l'arrière-fond d'une lecture du Sermon sur la montagne qui, elle, en revanche, me semble profonde et juste.

 

Revenons donc à la figure de Nemrod.

 

Je disais qu'il va beaucoup plus loin encore que Noé dans la scission, dans le déchirement, dans la logique de la conscience malheureuse.

 

Parce que Nemrod est celui qui ne fait pas confiance à Dieu.

 

Nemrod, à la différence de Noé, n'accepte pas la soumission au divin.

 

La deuxième position qu'analyse Hegel est celle qu'il trouve dans la mythologie grecque, qu'il va opposer point par point au judaïsme en tant qu'elle est, selon lui, non pas le lieu d'un triple déchirement, mais au contraire d'une triple réconciliation, une espèce de symétrique inverse du judaïsme de Nemrod.

 

Ce que vise Hegel, c'est le fameux mythe de Pyrrha et Deucalion qui, bien avant la Bible, met déjà en scène, et pratiquement dans les mêmes termes, l'épisode du Déluge.

 

Il faut d'ailleurs rappeler qu'il existe, en l'occurrence, une origine commune au judaïsme et à la Grèce --- nous l'avions d'ailleurs analysée dans une leçon antérieure sur L'Épopée de Gilgamesh, sans doute écrite au)(Ville siècle avant Jésus-Christ, soit bien avant les mythes grecs et la Bible.

 

pour ainsi dire réintégrée dans le giron de l'humanité.

 

Elle ne vient plus de Dieu, elle ne vient plus d'une source extérieure et supérieure aux hommes.

 

Tout au contraire, elle vient de la raison humaine, de ce que Kant appelle la «raison pratique«.

 

L'équivalent, dans le républicanisme français, c'est tout simplement la création de l'Assemblée nationale : l'Assemblée nationale est le lieu dans lequel la loi va être fabriquée par et pour les humains.

 

On est donc bien à première vue dans l «autonomie« --- le mot désignant étymologiquement le fait de se donner à soi-même (autos) sa loi (nomos).

 

Comme dira Rousseau, la vraie liberté, c'est «l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite«.

 

C'est donc bien d'autonomie qu'il s'agit.

 

On est passé, par rapport au judaïsme, d'une loi qui vient de l'extérieur, du divin radicalement transcendant, à une loi qui est produite par et pour les humains, par leur raison, qui détecte l'intérêt général, et par leur volonté, qui la fait advenir.

 

Pour autant, la scission entre la loi et la nature demeure.

 

Elle a été intériorisée, certes, elle passe désormais à l'intérieur de l'homme, mais elle n'en subsiste pas moins.

 

L'altruisme est l'effet d'un impératif, d'un commandement qui suppose une vertu morale, un courage d'obéir à la loi en luttant contre sa nature, en résistant à ses penchants naturels vers l'égoïsme --- en quoi le kantisme n'est perçu par les romantiques allemands que comme un avatar du judaïsme.

 

dira Hegel, la philosophie kantienne est «une philosophie pour juifs et pour juifs éclairés« (fuir aufgekliirte Juden).

 

C'est en quelque sorte un judaïsme intériorisé.

 

C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles, je l'indique au passage, dans le judaïsme philosophique allemand, que ce soit dans l'École de Marbourg de Hermann Cohen, Cassirer et Natorp, ou encore dans l'École de Francfort, chez Adorno et Horkheimer par exemple, deux écoles profondément marquées par le judaïsme, Kant servira à nouveau de référence, d «ouvre-boîte« contre Hegel.

 

Comme dira Adorno, Kant a raison contre Hegel, il permet de rouvrir le système hégélien.

 

Mais revenons à notre fil conducteur : tout ce détour par le judaïsme, la mythologie et le kantisme nous permet maintenant de mieux comprendre la quatrième position, celle de Jésus dans le Sermon.

 

C'est celle qui va consister à faire d'agapè, l'amour chrétien par excellence, le principal moteur de la synthèse entre la nature et la loi, le trait d'union entre la nature et la loi.

 

Où l'on voit que, grâce à l'amour, la nature cesse d'être hostile.

 

C'est elle qui, d'elle-même, se fait loi.

 

Réconciliation, donc, du sensible et de l'intelligible, du particulier et de l'universel, de la matière et de l'esprit, etc.

 

Et cette réconciliation, c'est ce que les romantiques appellent la «vie« ou la «beauté«.

 

Elle remplit spontanément la loi quand elle prend la forme de l'amour et, d'elle-même, se fait loi.

 

Je voudrais maintenant vous citer quelques extraits de L'Esprit du christianisme et son destin, ouvrage très difficile d'accès, comme je vous l'ai dit, mais dont je pense vous avoir donné malgré tout les principales clés qui vous permettront de le lire.

 

Je vous citerai aussi la description du Déluge par Ovide et le texte de Flavius Josèphe consacré à Nemrod, afin que vous voyiez par vous-mêmes comment s'articulent les différents moments de l'exposé que je viens de faire.

 

Avec le Déluge, la scission entre l'humanité et la nature s'installe et le résultat de cette scission, c'est qu'il faut dominer la nature, soit avec l'aide de Dieu, comme Noé, soit avec l'aide des autres humains, comme Nemrod, c'est-à-dire par les moyens du bord et en défiant Dieu.

 

Mais, de toute façon, il faut la dominer là où dans la mythologie, au contraire, on va se réconcilier avec elle et retrouver la belle totalité grecque.

 

Hegel, L'Esprit du christianisme et son destin, in Premiers écrits (Francfort 1797-1800), trad.

 

amour

« Je vais aujourd'hui vous parler de la théologie chré­ tienne de l'amour, mais je voudrais le faire sous un angle un peu particulier, puisque ce qui m'intéresse dans cette théologie, ce n'est pas simplement ce qu'elle signifie pour les croyants, mais ce qu'elle peut vouloir dire aussi pour les non-croyants, ce en quoi elle va leur léguer un héritage qui sera repris sous diverses formes dans la philosophie qui est, comme je vous l'ai souvent dit, par essence, laïque.

J'écris, au moment où je vous parle, un livre avec le cardinal Ravasi, proche de Benoît XVI puisqu'il est le président du Conseil pontifical pour la culture au Vati­ can, c'est-à-dire le ministre de la Culture du pape.

Nous écrivons ensemble un essai, à quatre mains donc, dans le cadre de ce que l'Église appelle le « Parvis des Gentils » : dans son vocabulaire un peu particulier, la formule désigne tout simplement le dialogue avec les non-croyants, comme je le suis.

Après avoir ouvert un dialogue interreligieux avec l'islam et le judaïsme - Jean-Paul II s'était beaucoup investi dans ce pro­ gramme -, le pape Benoît XVI a décidé d'ouvrir aussi le dialogue avec les athées et les agnostiques.

C'est dans le cadre de ce programme que ce livre s'inscrit.

Il porte donc sur la question de savoir ce que peut signifier le message du Christ pour une pensée laïque, notamment dans le contexte de la philosophie contemporaine.. »

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