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Le mythe d’autochtonie antiquité grecque Platon

Publié le 19/10/2022

Extrait du document

« Le mythe d’autochtonie Le rapport des cités grecques à leur mémoire ainsi qu’à leur histoire et la question de l’identité constituent des notions complexes.

Les cités (une ville avec un territoire limité, équivalent d’Etat, indépendantes les unes des autres) qui veulent définir leur identité, tirent profit de la force des mythes, des généalogies.

Elles ne peuvent cependant faire fi des aspirations dont la prise en compte constitue une manière d’adapter les traditions aux exigences de l’actualité en cours et instaure entre passé et présent une dialectique particulière. Dans cette perspective, le mythe occupe une place toute particulière dans la mesure où il représente moins les valeurs philosophiques générales que celles directement liées à la vie civique. La question du mythe occupe donc, on le voit, une place déterminante pour comprendre le fondement de l’identité civique.

On sait que la matière mythique – tout spécialement à l’époque de la Grèce antique lorsque le mythe exprime totalement son efficacité politique et sociale – peut fournir un savoir commun, une mémoire susceptible de confirmer la conviction de partager une même identité culturelle.

Le mythe en est donc venu à constituer la recherche dans le passé très ancien d’un lien culturel et symbolique, en effet, le mythe, c'est d’abord ce qui relève « d’un consensus relatif » comme l’explique excellemment J.-P.

Vernant, « Les frontières du mythe », in Mythes grecs au figuré, de l’Antiquité au Baroque, Paris, 1996.: un ythe, our nous, c’est un récit traditionnel asse i ortant our a oir été conser é et trans is de génération en génération au sein d’une culture, et qui relate les actions de dieu , de héros ou d tres légendaires dont la geste se situe dans un autre te s que le n tre, dans ; "l'ancien temps", un assé différent de celui dont on traite dans l enqu te historique.

» Je commencerai donc mon étude en traitant ici du rôle joué par certaines figures mythiques dans les revendications de parenté élaborées par les cités grecques et particulièrement Athènes.

En ce qui concerne Athènes, l’examen de ce type de revendications, attachées à faire valoir des liens mutuels qui reposent sur une forme de parenté qu’on peut appeler « légendaire » ou « mythique », conduit à révéler en fait surtout la place que cette cité occupe dans le passé et dans la fondation de la société civile. Le rattachement d’Athènes à certaines figures héroïques ou divines participe de reconstructions idéologiques qui permettent de justifier des liens de parenté, mais aussi de légitimer des valeurs qui servent à définir une identité spécifique : il faut en souligner les connotations aristocratiques, qui apparaissent conformes à ce que certains textes nomment « l’éthique de la cité », telle qu’elle s’exprime aussi à travers le vocabulaire de l’éloge ou des oraisons funèbres (nous aurons à y revenir) qui témoigne d’un souci de valoriser, sur un mode ostentatoire et hyperbolique, des conduites qui définissent le présent « politique » des cités. Certaines figures mythiques apparaissent, dans cette optique, emblématiques, c’est ce que nous allons voir avec le mythe de l’autochtonie analysé par Nicole Loraux dans son ouvrage Les enfants d’Athéna.

Idées athéniennes sur la citoyenneté et la di ision des se es. Les récits ou les allusions à des héros ou des hommes nés du sol peuvent être rassemblés dans un seul motif mythique : celui de la maternité de la terre.

On reconnaîtra que l’essentiel de ce motif est supporté par une métaphore obéissant à la logique du vraisemblable qu’Aristote reconnaissait comme caractéristique du mythe : elle fonctionne tant qu’il y aura des hommes pour penser que la terre produit des fruits comme une mère semble produire des enfants.

Pour rendre compte du mythe de la naissance des citoyens de la terre même de leur cité, mythe participant à l’élaboration de l’idéologie de la cité pensée unifiée dans un présent éternel, Nicole Loraux propose une interprétation enchâssée dans une évidente lutte des sexes : les citoyens d’Athènes, assouvissant leur profond désir d’un monde purement masculin, auraient ainsi trouvé le moyen de se débarrasser symboliquement d’un pouvoir des femmes auquel leur existence était malheureusement contrainte.

Voyons cela. L’ouvrage de l’historienne regroupe un ensemble d’articles consacrés à un des récits fondateurs de la cité démocratique, le mythe d’autochtonie.

De fait, ce travail s’inscrit dans la lignée de l’étude de l’oraison funèbre athénienne, en particulier si l’on admet que « rien ne ressemble plus à l’idéologie que le mythe, lorsqu’il devient politique ».

Le mythe tel un « discours à la cité, pour la cité », constituant « l’une des voix intérieures de l’imaginaire politique » : cette analyse du mythe est très éloigné d’une approche pragmatiste des mythes qui insisterait sur leur articulation à un contexte rituel spécifique, et leur variabilité en fonction de leurs contextes d’énonciation. Il faut donc interroger ici l’ensemble des récits liés à la naissance du premier des Athéniens, Erichthonios.

Remontant aux premiers temps de l’époque archaïque, ces récits n’ont cessé d’être réélaborés au cours du Ve siècle et leur réécriture porte l’empreinte du régime démocratique.

Rappelons brièvement ses principaux éléments.

Le point de départ en est le désir violent qu’Héphaïstos éprouve pour Athéna.

Poursuivie par le dieu forgeron, qui tente de la violer, Athéna lui échappe mais dans sa fuite, elle abandonne le flocon de laine avec lequel elle avait essuyé le sperme d’Héphaistos sur sa jambe, flocon qui tombe au sol.

De la fécondation de cette semence divine dans la terre nait le premier des Athéniens, Erichthonios, qui sera recueilli et élevé par Athéna.

Si ce dernier descend de la vierge Athéna, ce n’est donc que par l’intermédiaire de cette étrange instance que représente Gê, la terre ou le sol.

Or, à partir du Ve siècle, ce mythe acquiert le statut de mythe de fondation pour la communauté des Athéniens qui, en tant qu’Erechthéides, peuvent se dire les fils de la terre d’Athènes. Invoqué dans les oraisons funèbres de l’époque classique, le mythe d’autochtonie éclaire les fonctions idéologiques assurées par ce récit des origines.

En faisant des Athéniens les fils de la terre même (littéralement auto-chthôn) de l’Attique, il légitime tout d’abord le contrôle que la cité exerce sur son propre territoire.

En annulant le temps « dans une incessante recréation de l’origine », le mythe célèbre en outre l’intemporalité du renouvellement de la communauté civique et des lignées qui la composent.

La cité est même pensée comme une seule et même lignée, placée sous la dépendance du héros fondateur Erichthonios.

Dotés d’une égale naissance (isogonia), l’ensemble des citoyens athéniens, parés collectivement de la noblesse de la bonne naissance (l’eugeneia), peut dès lors se penser « tous frères nés d’une même mère », comme l’écrivait ironiquement Platon dans le Ménéxène,( 238 e-239a). “Nous et les n tres, tous frères nés d’une e ère, nous ne nous croyons ni les escla es ni les maîtres les uns des autres, mais une stricte égalité (isogonia) établie par la nature (kata husin) nous oblige à rechercher l’égalité olitique (isono ia) établie ar la loi”. Mais il y a une autre dimension du mythe d’autochtonie qui retient ici l’attention, celle qui voit le premier des Athéniens naître non pas d’une femme, en la personne d’Athéna, mais de la terre attique, à travers la figure mystérieuse de Gê.

« Histoire de l’origine athénienne, où les hommes sortent de la terre pour se donner à la déesse vierge », le mythe d’autochtonie fait signe en ce sens vers une reproduction de la communauté civique qui puisse se passer des femmes, l’intervention de Gê débarrassant « à point nommé les Athéniens de l’autre sexe et de sa fonction reproductrice ».

Le mythe paraît ainsi légitimer l’exclusion des femmes du politique dans la cité : en se proclamant fils de la terre-mère de l’Attique, « les descendants d’Erichthonios atteignent une double visée, dire leur identité de citoyens interchangeables, exclure symboliquement les mères athéniennes de la cité modèle et du discours officiel ».

Le déni de la part féminine dans la reproduction de la communauté civique offrirait en ce sens la clé de lecture de l’inexistence des femmes en tant que sujet politique dans la cité classique : « Ainsi, toutes les instances imaginaires de la cité s’accordent à réduire tendanciellement la place faite à la femme dans la polis : la langue lui refuse un nom, les institutions la cantonnent dans la maternité, les représentations officielles lui retireraient volontiers jusqu’au titre de mère ». Loin d’être reléguée dans le champ infra-politique du domestique ou du privé, la division des sexes apparaît dès lors au fondement même du politique grec : « la stricte séparation du masculin et du féminin n’a vraiment d’autre lieu, d’autres frontières que le politique.

Ou plus exactement, l’idéologie du politique », écrit Loraux.

Le politique athénien ne pourrait ainsi se comprendre qu’à l’aune de la césure entre féminin et masculin, considérée comme la plus fondamentale des opérations de division sociale. Il y a une deuxième compréhension du mythe d’autochtonie, c’est d’en faire un discours d’abord à usage interne tout entier consacré à dire la singularité Athènes et de ses andres et qu’on ne confondra pas avec un mythe d’origine de l’humanité anthr oi. Les enjeux du mythe sont donc double : d'une part c'est un mythe de fondation de la citoyenneté, d'autre part, c'est un mythe qui explique l'exclusion des femmes de la communauté des hommes.

Le topos de l'autochtonie assure la cohésion de la cité, la prééminence de la polis au détriment des individus qui la composent ; d'autre part, il permet de cerner la position paradoxale de la femme athénienne, exclue de la vie politique, d'origine non autochtone, mais aussi indispensable pour que la cité se perpétue.

Le mythe pose ainsi des questions fondamentales : naît-on d'un seul ou de deux ? Naît-on de la terre ou de parents humains ? Et dans le récit de la naissance d'Erichthonios, à la fois redoublé et inversé par la naissance d'Ion, on retrouve la même interrogation : « pourquoi les femmes ? » (p.

75). Le mythe aborde donc les mêmes problèmes mais selon des points de vue différents et selon des textes différents.

«Topique athénienne », l'autochtonie fait l'objet d'une double tradition : celle du mythe de la naissance primordiale sur l'acropole, perpétuée par les céramistes ; celle de l'oraison funèbre, où la cité est à elle-même sa propre origine.

Essence de tous les citoyens et mode d'émergence du premier Athénien, l'autochtonie ne peut cependant refouler entièrement la sexualité : que ce soit le rôle d'Athéna, lors de la naissance d'Erichthonios, où se trouvent condensées les fonctions traditionnelles de la mère, du père, de la nourrice, ou encore l'évolution du genre de l'oraison funèbre qui, au IVe siècle, réintroduit dans le discours civique le lexique de la parenté et de la reproduction sexuée, certains indices montrent les difficultés qu'il y avait à dire et à penser l'autochtonie dans un langage spécifique. Pour ce qui est du langage propre à cette cite originelle, ni athénien ni citoyen ne se disent au féminin alors que la loi péricléenne de 450 AJC précisait qu’il n’était de citoyen que fils de père et de mère athéniens.

Ce jeu de tensions et de contradictions est révélateur du désir de minimiser le rôle des femmes dans la survie de la cité, et du constat que leur présence est fondamentale pour assurer sa perpétuation. Ce qui est intéressant aussi, dans le livre de Nicole Loraux, est constitué des quelques grandes options méthodologiques qu’elle revendique fermement, et dont la valeur heuristique est manifeste. Contre le cloisonnement des disciplines, l'auteur donne au mythe « la place qui lui revient de droit dans le champ d'investigation de l'historien de la Grèce » (p.

7-8).

Lié à la réalité sociale, politique et institutionnelle, le mythe est également présent dans le discours politique comme dans des textes comiques ou tragiques (p.

10), qui jouent un rôle essentiel dans la vie de la cité.

Le théâtre de Dionysos est le « lieu où, par une mise à distance institutionnelle, la cité n'a cessé d'affronter l'un à l'autre le mythe et l'histoire, l'immémorial et le présent ». La perception athénienne de tels textes, aussi bien des comédies que des tragédies, « relèvent aussi d'une histoire » (p.

195).

Cette position théorique est celle de l'école critique de Constance où se développe, depuis plusieurs années, l'étude de la «réception» des œuvres littéraires.

Cette théorie refuse toute banalisation sémantique, et rejette la superficialité d'une approche exclusivement littéraire ou psychologique de l'œuvre tout comme les excès d'un formalisme anhistorique.

En effet, « le lecteur de mythes ne peut à Athènes éviter de se faire l'historien du rapport athénien aux mots du mythe » (p.

20).

Il faut rechercher la « compétence » linguistique, la mémoire culturelle de l'Athénien, en étudiant le sens des mots, les métaphores sous-jacentes, la cohérence du lexique, la détermination des mots par le contexte où ils sont employés : « II n'est pas de mot pour rien, surtout dans un texte tragique, et un mot pour un autre, c'est d'abord un autre mot.» La lecture devient décryptage et tisse un réseau de relations à l'intérieur du texte, entre le texte et les rites, les mythes, d'autres textes, anciens ou contemporains. Mais les textes écrits ne sont pas les seuls à avoir du sens.

La topographie d'Athènes est omniprésente dans ce livre, car elle est porteuse de valeurs symboliques, la mythologie nationale s'enracinant sur le territoire.

Tout se distribue entre deux pôles, le haut et le bas, l'acropole, au centre de la cité, où se déclament les discours honorifiques et le cimetière du Céramique, à ses portes, où se disent les oraisons funèbres.

Cette répartition est signifiante, « comme si chaque lieu produisait son propre langage » (p.

41).

L'enquête doit alors porter sur l'articulation des lieux et des discours (p.

44) et donner lieu à une « cartographie des représentations civiques dans l'espace d'Athènes » (p.

19), ce qui n'exclut pas les zones d'ambiguïté et de recoupement, comme le théâtre de Dionysos ou l’Agora, l'imaginaire étant résolument considéré comme « l'ensemble des circuits qui font et défont les oppositions toutes faites » (p.

18). La topographie de la cité athénienne suggère ainsi ce que pouvait être le stade élémentaire d'une perception athénienne du passé mythique : la distribution même de l’espace civique autour de deux lieux où la communauté perçoit son identité et son origine, où les individus se perdent dans la figure même de la polis, les cérémonies qui scandent le temps : funérailles officielles et Panathénées lors desquelles la cité entière se met en marche du Céramique à l’Acropole, autant de formes d’une expérience quotidienne et vécue de l’histoire mythique d’Athènes.

La topographie inscrit donc dans le présent la mémoire des origines et assure la perpétuation de la cohésion civique.

Autre lieu où se conservaient la mémoire et l’identité : les gradins du théâtre de Dionysos sur les pentes de la colline d’Athéna où, le temps d’une comédie ou d’une tragédie, valeurs et oppositions se brouillent. L’entreprise de Nicole Loraux est donc de lire en historienne les mythes dans leur ancrage civique et politique.

Cette lecture des mythes, et singulièrement des mythes d’autochtonie, n’a qu’un seul objet : le discours que la cité démocratique athénienne a construit à son propre sujet.

En ce sens, le mythe ne s’intéresse pas à « la réalité institutionnelle de la cité [mais aux] représentations qui donnent au politique son assise », ce qui permet d’appréhender l’origine de la cité en termes d’idéologie ou d’imaginaire civique.

Le politique athénien comme discours et, réciproquement, les discours et les représentations comme « théorie et pratique » de la démocratie : une telle approche implique que dans ses fondements mêmes, le politique puisse être analysé comme tout acte de langage en termes d’évitements, de lapsus ou de dénégations puisque « la cité, dans le discours politique des Grecs, pense la cité sur fond de déni, de refoulement, d’oubli, plus volontiers que de conscience ».... »

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