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Le nihilisme russe

Publié le 10/11/2018

Extrait du document

• Cette nouvelle classe vit hors des cadres sociaux de l'époque; ses représentants sont des révoltés. Ce véritable prolétariat intellectuel qui court le cachet et occupe des postes administratifs insignifiants prône la religion du bonheur et du progrès avec une détermination fanatique. Ces hommes nouveaux passent rapidement de la passion philosophique à la volonté d'agir.
 
• Dans les universités de Saint-Pétersbourg. de Moscou ou de Kazan se forment des cercles de jeunes gens qui sont des lieux d'opposition. Les universités sont ainsi gagnées par une vague de contestations en 1861-1862.

MATÉRIALISTES, ATHÉES, DETERMINISTES ET RATIONALISTES
• Le nihilisme russe est un mouvement de pensée qui se développe, entre 1855 et 1866 environ, dans la Russie tsariste.
• Forme de socialisme, le nihilisme est matérialiste, athée, déterministe et rationaliste. Essentiellement illustré par de grands publicistes comme Tchernychevski, Dobrolioubov et Pisarev, le nihilisme ouvre la voie en Russie aux populistes comme Lavrov et aux terroristes militants comme Netchaiev.
LES CONDiTIONS D'APPARitiON DU NIHILISME
La dictature du tsar Nicolas ler
• Le règne de Nicolas ler {1825-1855) accentue le retard de l'Empire russe par rapport à l'économie occidentale. La société russe, largement rétrograde, vit dans le système du servage : les serfs, des paysans esclaves, appartiennent physiquement à leurs seigneurs.
• Nicolas 1er, tsar autocrate, met en place un régime répressif : il instaure la censure, limite les échanges avec l'étranger, renforce le pouvoir central. La répression du soulèvement polonais de 1830-1831 est féroce.
• La guerre de Crimée (1853-1855) oppose la Russie à une alliance entre l'Empire ottoman, l'Angleterre et la France. La défaite militaire des Russes signe l'échec d'un gouvernement autoritaire. Symboliquement, la défaite russe coïncide avec la mort du tsar.
• Sous le règne de Nicolas 1er, malgré la dictature, le débat idéologique et politique est en pleine effervescence. Les progrès de l'instruction publique, la création d'écoles secondaires et d'universités favorisent l'apparition d'une élite intellectuelle, ou intelligentsia.
• Une querelle oppose les slavophiles, partisans d'un retour aux valeurs de la Russie ancienne, aux occidentalistes, persuadés que le développement de la Russie passe par son occidentalisation.
• Alexandre Henen (1812-1870) fervent occidentaliste, socialiste radical, constitue à l'étranger un foyer d'opposition au régime de Nicolas Ier. Il définit depuis Londres le programme minimal des réformes à adopter en Russie : abolition du servage et suppression de la censure.
• Vissarion Belinski {1811-1848) est un autre représentant de la nouvelle intelligentsia russe. Théoricien principal du réalisme, créateur de la critique sociale, il estime que les problèmes de morale et de société doivent être au centre de la littérature. Installé à Saint-Pétersbourg à partir de 1839, il dirige deux revues : Les Annales de la patrie {1839-1846) et Le Contempora/n. Sa critique annonce le mouvement d'émancipation intellectuelle qui caractérise le nihilisme russe : il s'agit de se délivrer du romantisme et de l'esthétisme, de mobiliser une vision scientifique du monde pour se transformer soi-même et émanciper une nation asservie.

• Dans un article exemplaire, «Qu'est-ce que l'oblomoverie?», Dobrolioubov s'interroge sur le sens et le message du roman d'Ivan Gontcharov {1812-1891), Oblomov, paru en 1859. Oblomov est un propriétaire foncier qui, de sa vie, n'a jamais quitté sa robe de chambre. Toutes ses activités consistent à dormir et à pérorer. Dobrolioubov érige en concept ce roman, en présupposant que les romans ne délivrent pas des fables sans conséquence. Le roman tend aux hommes un miroir de leur vie, en l'occurrence, ici, une vie de parasite rendue possible par la société féodale qui la soutient.

« • Les autres articles de Dobrolioubov sont aussi des critiques de la vie russe telle qu'elle apparaît dans les œuvres littéraires : «Le royaume des ténèbres>> (sur les premières pièces d'Aieksandr Ostrovski [1823-1886]), «Un rayon de lumière dans le royaume des ténèbres>> (sur L'Orage d'Ostrovski), «Quand donc viendra le vrai jour>> (sur A la veille de Tourgueniev).

• Le but de Dobrolioubov est de créer une intelligentsia démocratique qui serait animée de la foi dans Je progrès et du désir de servir Je peuple, et qui pourrait remplacer l'aristocratie cultivée et romantique dont Je personnage-titre d'Oblomav est l'incarnation.

• Dobrolioubov meurt à vingt-cinq ans, l'année de l'émancipation des serls.

passionnel, portant à la conscience de la société russe sa propre révolte.

Il sera très lu par les révolutionnaires russes.

Par exemple, l'expression «royaume des ténèbres>> , qui désigne la société patriarcale russe, sera reprise par Lénine pour désigner la Russie prérévolutionnaire.

LE CHEF DE FILE.

TCHERNYCHEVSKI • À la tête des nihilistes des années 1860 se trouve Nikolaï Gravilovitch Tchernychevski (1828-1889), autre fils de pope et l'un des principaux rédacteurs du Contemporain.

JI se caractérise par ses tentatives pour élaborer des solutions spécifiques à chaque problème en fonction de données statistiques concrètes.

JI fait preuve d'un pragmatisme constant et exprime ses idées dans un style plat, sec, voire prosaïque.

• Cependant, certaines qualités de Tchernychevski expliquent qu'il ait fondé Je mythe du révolutionnaire russe, héros et martyr : son autodiscipline, son labeur infatigable, passionné, son indubitable sincérité, son indifférence aux exigences de la vie privée, sa capacité à se sacrifier.

• Tchernychevski publie une thèse de doctorat en 1855 sur les Rapports esthétiques de l'art et de la réalité, dans laquelle il soutient que l'art, n'étant qu'une imitation plus ou moins exacte de la réalité, est toujours inférieur à la réalité qu'il représente.

Dans les années qui suivent, il publie des Essais sur l'époque de Gogol qui posent les bases de la critique utilitariste et civique.

QUE FAIRE? • Que faire? le roman de Tchernychevski, est considéré comme la bible du nihilisme.

JI s'agit d'un roman didactique, assez simpliste au niveau esthétique.

Dans ce roman, Tchernychevski défend de nouvelles formes de vie : communautés d'amis excluant tout sentiment possessif, libération de la femme considérée jusque-là comme un objet de plaisir irresponsable, mise en place d'ateliers autogérés.

Le roman fait surtout le portrait d'un homme extraordinaire, le noble repenti Rakhmetov, vouant sa vie à la cause du peuple.

• Que faire? propose des modèles de comportement, se faisant entre autres le champion de l'amour libre.

Coiffures courtes des jeunes filles, capes et chapeaux à larges bords pour les jeunes hommes composent l'uniforme qui achève de conférer Notons que le titre Que faire ? a été repris par Léalft pour un ouvrage publié en 1902 et qui fait office de manifeste du bolchevisme.

de producteurs, qui constitueraient l'embryon de la nouvelle société socialiste.

• Après 1861, mécontent des modalités de l'émancipation des serfs, il passe à une action révolutionnaire plus énergique, et les premières cellules du socialisme révolutionnaire se développent autour de lui.

JI est peut­ être à l'origine d'incendies mystérieux dans Saint-Pétersbourg.

• Le 7 juillet 1862, il est arrêté.

Emprisonné pendant deux ans à la forleresse de Saint-Pétersbourg, il y écrit son roman Que faire? qui parait en feuilleton dans Le Contemporain à partir de mars 1863.

• À la lumière de ce roman, une génération entière de révolutionnaires s'éduque et s'aguerrit pour défier les lois, les conventions existantes, et accepter l'exil et la mort avec une indifférence sublime.

Ce roman devient Je livre de chevet de Lénine.

• Quant à Tchernychevski, en mai 1864, il est exilé en Sibérie, à Tobolsk substitue aux fariboles romantiques �� romanesques un véritable savoir scientifique susceptible de produire des hommes utiles.

• Pisarev se caractérise donc par son apologie inconditionnée des sciences.

Inspiré par le positivisme d'Auguste Comte (1798- 1857), Pisarev publie en 1863 les Chroniques de l'histoire du travail.

Pisarev veut que la Russie parie sur l'industrie.

Mais, parallèlement, il développe nettement la tentation révolutionnaire.

Dans La Lettre sans adresse, il menace Je tsar d'une jacquerie généralisée.

• En 1868, deux ans après sa libération, Pisarev se noie lors d'une baignade.

LES SUITES DU MOUVEMENT NIHILISTE lA MONTÉE EN PUISSANCE DU POPULISME 1-------------� d'abord, puis à Astrakhan.

là, il écrit • les réformes arrivent trop tard.

Le libéralisme d'Alexandre Il, qui ouvre la porte aux rêves de liberté, rencontre une opposition toujours plus rebelle.

Aussi les années 1860 sont-elles une période de troubles : agitation étudiante, émeutes paysannes, publications clandestines révolutionnaires.

Une tentative d'assassinat contre Je tsar, en 1866, entraîne une période de réaction qui accélère la contestation et favorise la montée en puissance du populisme.

• Tchernychevski se livre également à un travail de dépouillement des travaux des économistes d'inspiration collectiviste.

le problème russe est au premier chef économique : Je système du servage est Je pivot de l'autarcie tsariste, régime d'oppression et d'injustice permettant à des Oblomov de mener des vies de pacha dans leur propriété.

• Fortement influencé par les thèses du socialiste utopique Charles Fourier (1772-1837) et par les travaux de louis Blanc (181 1- 1882) sur Je fonctionnement des ateliers sociaux, Tchernychevski croit à la nécessité de préserver la commune rurale et d'étendre ses principes à la production industrielle.

Il préconise, avant la mise en œuvre de réformes politiques, une révolution sociale.

Les paysans et les ouvriers ont plus besoin de nourriture, d'abris et de bottes que du droit de vote.

JI pense aussi que la Russie peut esquiver Je stade capitaliste du développement social et transformer les communes rurales el les coopératives d'artisans en associations agricoles et industrielles énormément et correspond avec des intellectuels dans toute l'Europe.

Ce n'est qu'en juin 1889 qu'il obtient l'autorisation de revenir chez lui, à Saratov.

JI y meurt Je 17 octobre.

PISAREV ET LA PISAREVCHTCHINA • Le dernier grand nihiliste est Dimitri Pisarev (1840-1868), publiciste à l'idéologie proche de celle de Pierre Joseph Proudhon (1809-1865), Je fondateur de l'anarchisme.

Avec les nihilistes, l'esthétique avait quitté la sphère de l'idéal pour s'affronter au monde.

Pour sa part, plus radicalement encore, Pisarev prône une véritable destruction de l'esthétique.

La pisorevchtchina est un nihilisme total en matière d'esthétique.

• Dès 1862, impliqué dans une affaire de diffusion de tracts, Pisarev est condamné à quatre ans de prison.

JI y écrit la plupart de ses articles.

Ainsi J'expression "destruction de J'esthétique>> est le titre d'un article de 1865.

Pour Pisarev, la Russie n'a que faire des poètes dont les productions sont étrangères aux préoccupations de la société.

Dans un autre article retentissant intitulé" Les réalistes>> , Pisarev propose ainsi que l'on • Les populistes Michel Bakounine (1814-1876), Piotr Lavrov (1823-1900) et Nikolaï Mikha"ilovski (1842-1904) théorisent un nouveau radicalisme et adaptent le socialisme à la situation de la Russie.

Ils sont les successeurs des nihilistes, mais ils prônent des actions de plus en plus violentes.

lavrov, dans son œuvre principale, Lettres historiques (1870), explique que tout progrès résulte d'actions d'individualités à l'esprit critique.

LES MULTIPLES FORMES DU NIHILISME • À la fin du XVIII' siècle, l'idéalisme et Je romantisme allemand affirment la toute-puissance du moi face à Dieu et au monde.

En dérivent des formes exacerbées d'individualisme.

l'individu représente la seule valeur et doit envers et contre tous revendiquer son unicité.

le terme nihilisme est un mot que le philosophe Jacobi utilise dans la Lettre (1799) écrite à son ami Fichte pour désigner les philosophies qui, comme celles de Kant, font du moi et de la raison des absolus et en font dériver le monde et Dieu.

Chez les premiers romantiques allemands Novalis et Schlegel (qui utilise Je mot dès 1787), l'activité infinie d'un moi absolu dérive vers J'idée d'une volonté de création illimitée.

• Nietzsche, à la fin des années 1880, reprend Je terme de nihilisme et fait la synthèse de J'ensemble des emplois que le terme a pu connaître.

Avec lui, Je nihilisme accroît son ère Ce livre, où il affirme Je rôle de J'individu dans l'histoire, devient J'évangile de J'action révolutionnaire.

• Sergueï Guennadievitch Netchaïev (1847-1882) est un jusqu'au-bouliste qui prône la destruction de toutes les couches sociales par vagues successives.

JI rédige notamment avec Bakounine, en 1869, le Catéchisme du révolutionnaire où se mêlent Je nihilisme des années 1850, Je maximalisme des premiers manifestes révolutionnaires et aussi l'ascétisme des héros de Tchernychevski.

On appelle dorénavant netchaïevisme les formes les plus radicales du nihilisme.

LA MARCHE VERS LES CAMPAGNES • Les idées des nihilistes russes sont des brûlots qui continuent d'enflammer une grande partie de la jeune intelligentsia russe.

Suivant J'exemple de Rakhmetov, le héros de Que faire?, jeunes hommes et jeunes filles se mettent au service du peuple à J'été 1874 et marchent vers les campagnes.

Se faisant instituteurs et institutrices, infirmiers, sages­ femmes, ces jeunes gens s'enfoncent dans les villages, espérant sous couvert de leurs activités humanitaires susciter chez les moujiks des ardeurs révolutionnaires.

• Ce mouvement échoue.

les paysans ne sont pas mûrs pour la.révolution et, souvent, ils dénoncent les agitateurs à la police.

En 1877, de grands procès voient la condamnation de centaines de jeunes gens et jeunes filles qui sont envoyés en forteresse pendant plusieurs années.

Une frange des opposants évolue vers le terrorisme.

• Commencé dans l'euphorie , Je règne d'Alexandre Il s'achève dans le sang : le tsar périt dans un attentat, déchiqueté par une bombe lancée sur son carrosse le 1� avril 188l.

La répression est terr ible .

Sophia Perovskaïa, qui se trouve à la tête du complot, est pendue avec quatre de ses camarades.

On arrête aussi Netchaïev.

• Peu à peu, les attentats s'espacent.

Mais les grands écrits nihilistes feront partie de la culture révolutionnaire russe puis de celle du régime soviétique.

d'influence.

JI ne désigne plus seulement un courant philosophique, un mouvement littéraire ou une attitude politique, mais il caractérise la civilisation occidentale elle-même.

• le XX' siècle utilise ce terme dans la postérité de N ietzsche.

Pour Ma rlln Heidegger (1889-1976), Je nihilisme occidental s'expliquerait par la domination de la représentation technique et scientifique du monde.. »

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